Fillon et Sarkozy sont dans un bateau. Sarkozy tombe à l’eau… Qui reste-t-il ?
Le 5 juillet 2007, j’avais rédigé un papier pour refuser de croire au caractère falot de François Fillon, comme voulaient nous le faire croire les médias à l’époque.
Depuis début janvier 2008, les sondages ont marqué un véritable point d’inflexion dans le couple au pouvoir.
Impopularité présidentielle
Alors que dans ses premiers mois de présidence, Nicolas Sarkozy bénéficiait d’une incroyable popularité, presque d’une invincibilité, en raison de la grande attente qu’il avait suscitée chez ses électeurs (et même au-delà), et que le Premier Ministre, François Fillon, comme c’est de coutume sous la Ve République, commençait à essuyer les pots cassés avec des mesures difficiles comme la réforme des régimes spéciaux des retraites, voici que le mouvement s’inverse.
Dans les sondages, Nicolas Sarkozy est maintenant en chute libre (un peu ralentie ces derniers jours) alors que son Premier Ministre …grimpe ! Jusqu’à 25% d’avance dans le dernier sondage IFOP-Paris Match.
L’impopularité de Nicolas Sarkozy être le résultat de son comportement personnel. Il l’a d’ailleurs reconnu lui-même le 26 février 2008 et encore ce 6 mars 2008.
Quelques conjectures sur les causes
Notamment sa manière ostentatoire d’étaler une sorte de richesse matérielle personnelle typique du ‘nouveau riche’ (yacht à l’île de Malte, vacances dans la Vallée des Rois en Égypte, visite de Pétra en Jordanie) alors que le pouvoir d’achat des Français baisse et que la croissance n’est pas au rendez-vous malgré les incantations habituelles des pouvoirs publics.
Sans doute aussi ses histoires conjugales, qui, normalement, ne regarderaient que lui-même s’ils ne les avaient pas étalées précédemment pour accompagner sa propre ambition présidentielle : l’abstention au second tour de Cécilia, son divorce à l’amiable (juridiquement le seul possible pour le chef de l’État), sa nouvelle compagne Carla Bruni mariée deux mois plus tard et ses amours furent même évoquées lors de sa première conférence de presse le 8 janvier 2008 (un fait sans précédent).
Sûrement son comportement général de Président de la République. S’il est positif de vouloir restreindre la distance qu’il a avec le peuple (en évitant la condescendance maladroite d’un Valéry Giscard d’Estaing ou la mépris distant d’un François Mitterrand), les Français peuvent regretter son manque de hauteur, son manque de recul et son manque de retenue.
Ainsi, ses insultes, résultat de sa spontanéité et de son énervement, tant avec un marin pêcheur qu’avec un agriculteur au Salon de l’Agriculture, son tutoiement sans réserve, et d’autres petits gestes maladroits répercutés à la vitesse grand V sur internet commencent à indisposer sérieusement les Français, et plus particulièrement son électorat traditionnel, même s’ils illustrent une certaine sincérité et absence (patente) de langue de bois.
Bouger les lignes, tout est possible, rien n’est tabou… Dans une République aux équilibres aussi fragiles, avec une fracture sociale loin d’être colmatée par Jacques Chirac malgré son thème de campagne en 1995, l’absence de tabou implique nécessairement l’absence de principes fermes sur lesquels repose la cohésion nationale, comme la laïcité, la Constitution, le creuset républicain, l’égalité des chances qui font du modèle français un système diamétralement opposé au modèle américain, à savoir que le citoyen français est considéré pour ce qu’il est individuellement, par son mérite, en dehors de toute autre considération alors qu’aux États-Unis, patrie du melting-pot et de la ‘diversity’, on encourage le communautarisme et la discrimination positive (‘affirmative action’ lancée par Kennedy) mais sans fixer de quotas (reconnus incompatibles par la Cour suprême en 2003 avec l’égalité devant la loi et la libre concurrence).
C’est d’ailleurs ce volontarisme qui a séduit les Français, alors qu’un ton de fatalisme était tombé sur la classe politique dirigeante depuis une vingtaine d’années.
Et même un hyperactivisme que Nicolas Sarkozy assume pleinement avec l’argument simpliste mais convaincant qu’on ne l’a pas élu pour ne rien faire.
Parmi ses premières mesures, deux lois sont très contestables sur le plan des valeurs, celle qui institue des tests ADN pour le regroupement et celle, promulguée le 25 février 2008, qui propose la rétention de sûreté.
Ces deux lois, qui ne reposent sur aucun fondement juridique pertinent, ne seront quasiment pas applicables, mais ne servent que de vitrine à l’émotion suscitée par un sentiment d’insécurité et de rejet de l’immigration qui reste visiblement très populaire en France.
Même le principe de rétroactivité, condamné pour la seconde fois par le Conseil Constitutionnel (la première fois concernait l’exonération fiscale des intérêts d’emprunt), a été, pour Nicolas Sarkozy, l’occasion de chercher avec le premier Président de la Cour de Cassation un moyen de contourner cette décision qui s’impose pourtant à tous (heureusement, ce dernier a su, sans surprise, rester sage).
Vouloir s’asseoir sur l’histoire juridique et institutionnelle de la France, c’est aussi, par exemple, vouloir prononcer un discours devant une chambre du Parlement, prohibée depuis Thiers pour éviter la pression présidentielle physique sur les décisions du Parlement. C’est aussi participer aux congrès de l’UMP, rassembler les députés de la majorité à l’Élysée, et même si c’est accessoire, c’est voler une (très belle) résidence du Premier Ministre (la Lanterne à Versailles).
Pareillement sur des idées typiques d’adolescent sans connaissance historique ni psychologique, avec une improvisation extraordinaire, une absence de réflexion en amont, et une imprudence fautive comme vouloir systématiser des émotions auprès des enfants avec la lecture de la dernière lettre de Guy Mocquet et le parrainage d’enfants morts de la Shoah (heureusement, tout cela bien circonscrit par le milieu éducatif).
Ce qui est positif, c’est que malgré certains déboires, Nicolas Sarkozy continue de communiquer. Même s’il communique trop sans doute, c’est plus respectueux que de rester silencieux comme le faisaient Mitterrand ou Chirac.
Et dans son interview dans le journal Le Parisien du 26 février 2008, Nicolas Sarkozy a l’honnêteté et l’humilité de reconnaître que si François Fillon est populaire et pas lui, cela veut dire que sa politique garde un accueil encore favorable.
Fillon, nouvelle super-star
Du coup, à quelques jours des élections municipales, François Fillon est très sollicité pour soutenir les différents candidats de la majorité comme Fabienne Keller à Strasbourg, François d’Aubert à Laval, Françoise de Panafieu à Paris, Nicolas Perruchot à Blois, Dominique Perben à Lyon, et aussi à Caen, à Rennes… etc. Au moins deux déplacements électoraux par semaine en plus de son job de chef du gouvernement.
J’avais ici, lors de sa nomination à Matignon, exprimé quelques doutes sur le soi-disant effacement politique de François Fillon.
Au contraire, en regardant son parcours qui n’a rien à envier à celui de Nicolas Sarkozy, je me disais que le plus habile n’est pas forcément celui auquel on croit.
Certes, la situation est aujourd’hui très temporaire.
Les élections municipales et cantonales et l’inévitable remaniement ministériel apporteront une nouvelle donne dans le paysage politique français. Si Jacques Chirac a eu la chance de ne pas avoir eu d’élections locales avant les législatives qu’il a lui-même provoquées, on a pu constater que les élections cantonales de mars 1982 puis municipales de mars 1983 ont considérablement transformé, par leurs échecs, la politique gouvernementale impulsée par François Mitterrand.
Et les sondages peuvent évoluer très vite.
Pourtant, la comparaison entre François Fillon et Nicolas Sarkozy ne plaide pas en faveur du Président de la République.
Il suffisait d’observer le visage de François Fillon entre l’élection de Nicolas Sarkozy et son investiture (6 au 17 mai 2007), un visage ‘cerné’ de cernes. Face à un Sarkozy faisant du bronzage en croisière. Le décalage était frappant.
L’un travaille, bosse. L’autre joue à la star.
Captation de l’héritage gaulliste
Depuis 2004 et sa captation d’héritage en conquérant l’UMP de manière très professionnelle (il suffit de regarder comment Emmanuelle Mignon, sa directrice de cabinet, a mené la réflexion pour bâtir son projet présidentiel sur trois ans), Nicolas Sarkozy a cassé toutes les ambitions présidentielles issues de l’UMP autres que les siennes : Alain Juppé, le dauphin discrédité par les affaires de Paris, Dominique de Villepin consumé par la crise du CPE en 2006, Michèle Alliot-Marie trop hésitante pour l’affronter, même Jacques Chirac affaibli par sa santé et son impopularité.
En faisant le vide au sein de la droite, Nicolas Sarkozy a réussi à rendre sa candidature naturelle et son investiture évidente. Mais il a mis aussi en danger son propre parti. Car il n’y a plus de solution de rechange. Un peu comme au PS il y a vingt ans : seul Mitterrand a pu gagner l’Élysée.
Ce vide était d’ailleurs palpable dès mai 2002, puisque Jacques Chirac avait dû lancer Jean-Pierre Raffarin peu connu des Français pour désigner son Premier Ministre.
À l’UMP, nombreux sont les parlementaires peu proches de Nicolas Sarkozy qui cherchent à trouver une indépendance. François Goulard, qui avait même voté pour François Bayrou au premier tour en 2007, cherche maintenant à débaucher une vingtaine de députés pour constituer un groupe autonome. Jean-Louis Borloo, élu président du Parti radical valoisien en novembre dernier, voudrait aussi rassembler des centristes autour de lui et hors de l’UMP.
L’impopularité de Nicolas Sarkozy a un effet forcément salutaire dans l’équilibre des pouvoirs : si la marque Sarkozy fait perdre au lieu de faire gagner, les élus UMP n’ont plus d’intérêt à rester silencieux dans leur flagornerie. À part les candidats (nombreux) au prochain remaniement ministériel, bien sûr. Cela peut être le point de départ d’un réel débat interne au sein de la majorité.
Dominique de Villepin, qui ne représente plus rien politiquement et qui a des soucis judicaires avec l’affaire Clearstream, a même évoqué la nécessité de redonner un président à l’UMP aujourd’hui dirigé par un secrétaire général Patrick Devedjian et trois vice-présidents, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Gaudin et Pierre Méhaignerie, ce dernier, déçu, comptait d’ailleurs recevoir un peu plus d’honneurs l’an dernier pour avoir affiché son sarkozysme dès 2004.
Mais revenons à François Fillon.
Fillon, une ambition ?
Sa nouvelle popularité, qui ne peut être que temporaire quand on voit les problèmes qui l’attendent (nouvelle réforme du régime général des retraites, croissance pas au rendez-vous etc.), lui donne cependant une stature nouvelle, évidente.
On ne rappellera jamais assez qu’une fois qu’une personnalité franchit le seuil de Matignon, il pense tout de suite à l’Élysée.
Connaissant son compère, Fillon a judicieusement préservé sa réserve et sa discrétion, tellement même qu’on a critiqué ses silences. Capable de ne pas faire de surenchère de l’ego, François Fillon a gardé pour lui les humiliations médiatiques qu’il a souvent subies (la principale, à mon sens, fut une interview de Claude Guéant dévoilant le programme du gouvernement juste avant son discours de politique générale devant les députés).
Aujourd’hui, François Fillon peut devenir un point de ralliement et de référence pour les élus de la majorité qui apprécient de moins en moins le comportement présidentiel.
Les maires UMP qui seraient sauvés aux municipales ou vainqueurs face à un sortant issu de l’opposition le seraient grâce à François Fillon qui seul pourrait être à l’origine de ces victoires. Et en cas d’échec, il serait mis au passif de l’impopularité de Nicolas Sarkozy.
En clair, quels que soient les résultats des municipales, François Fillon devrait en sortir politiquement gagnant. Un peu à l’instar de Nicolas Sarkozy lors du référendum du 29 mai 2005 sur le Traité constitutionnel européen.
Les mariages politiques ne durent pas vraiment
Évidemment, un Premier Ministre trop populaire ne peut faire qu’ombrage à un Président de plus en plus impopulaire et un tel tandem ne peut durer longtemps dans ce cas de figure.
Pompidou, pourtant vainqueur des élections législatives anticipées, a été remercié le 10 juillet 1968 par De Gaulle. Chaban-Delmas, qui venait d’obtenir à nouveau la confiance des parlementaires, a aussi été remercié par Pompidou le 5 juillet 1972. Même Rocard le 15 mai 1991 par Mitterrand.
Deux ‘piliers’ politiques qui s’allient ne peuvent que devenir rivaux un jour ou l’autre. Ce fut le cas de Valéry Giscard d’Estaing et de Jacques Chirac pour lesquels la lune de miel a duré deux ans (1974-1976). Ou celui de Jacques Chirac et d’Édouard Balladur (1993-1995).
François Fillon est bien sûr un ‘pilier’ de la politique française. Depuis près de vingt ans.
En avril 1989, il s’était même embarqué dans la démarche des ‘rénovateurs’ (finalement vaine) pour créer une liste autonome aux élections européennes du 15 juin 1989 pour s’opposer à la rivalité entre ces mêmes Giscard d’Estaing et Chirac. Avec lui, s’étaient engagés aussi François Bayrou, Philippe Séguin, Charles Million, Philippe de Villiers, François d’Aubert, Michel Noir, Dominique Baudis, Alain Carignon, Bernard Bosson, Michel Barnier, et Étienne Pinte (le maire sortant de Versailles).
Que d’eau coulée pour ces douze personnalités !
Aujourd’hui, François Fillon est l’élément le plus solide de la majorité et de la politique gouvernementale. Loin du bruit médiatique, il est un fin connaisseur des mécanismes politiques.
Fillon, un gage de cohérence politique
Si certaines rumeurs pouvaient laisser entendre que d’autres personnalités pourraient le remplacer à Matignon (comme Xavier Bertrand, très habile ministre au grand avenir, mais dont la révélation récente de son appartenance à la franc-maçonnerie n’est sans doute pas un hasard), il semblerait évident que ce serait une faute majeure pour Nicolas Sarkozy de le décider maintenant.
C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Président dans son interview dans le journal Le Figaro du 6 mars 2008, réaffirmant une nouvelle fois que François Fillon était « le meilleur pour mettre en œuvre sa politique ».
François Fillon, fort de sa nouvelle autorité au sein de la majorité, et Nicolas Sarkozy, Président de la République pour encore quatre ans, sont pour l’instant dans l’obligation de poursuivre le tandem exécutif.
Jusqu’à ce que les tensions centrifuges ne soient, un jour, trop fortes.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (6 mars 2008)
Pour aller plus loin, à lire :
Blog de François Fillon.
Extrait du livre : "La France peut supporter la vérité" (2006).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=37044
http://www.lepost.fr/article/2008/03/09/1112579_francois-fillon-le-sauveur-de-la-majorite-presidentielle.html#
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