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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 09:19

Le 19 avril 2008, deux jours après un autre monstre sacré de l’écriture, Aimé Césaire, la résistante et ethnologue Germaine disparaissait à presque 101 ans à Saint-Mandé, près de Paris.



Il est assez étrange que l’annonce de la disparition de Germaine Tillion, une ‘grande dame’ de notre République ait été entourée d’une aussi grande discrétion, mais sans doute était-ce ce départ sur la pointe des pieds que Germaine Tillion voulait.

 

J’avais retracé très rapidement son existence bien remplie lors de son centième anniversaire, le 30 mai 2007 (aussi sur Agoravox). Je ne retiendrai aujourd’hui que deux images d’elle.

Avec Lucie Aubrac le 14 mars 2007, c’est aussi un grand symbole des femmes courageuse engagées dans la Résistance qui s’éteint.

Parmi les qualificatifs qui reviennent souvent au sujet de Germaine Tillion, il y a la passion de comprendre, la « tendresse sans borne qu’elle a toujours portée à ses semblables », l’humour, la malice et la dérision. Elle se définissait elle-même comme « une patriote de la justice, de la vérité et de la vie ».

La riche existence de Germaine Tillion pourrait, à mon sens, se résumer à deux facettes essentielles : l’ethnologie et la Résistance.


L’universitaire engagée

Après de brillantes études (notamment à l’École du Louvre et à la Sorbonne) de 1925 à 1932, elle se consacra à fond dans la voie de l’ethnologie avec de nombreux séjours en Algérie, en Mauritanie, au Niger, en Haute-Volta, en Libye, au Moyen-Orient et en Inde.

Elle étudia une ethnie berbère dans le cadre d’une thèse de doctorat, entre 1934 et 1940 puis poursuivit ses périples après 1954.

Elle porta la lutte sur tous les fronts de la dignité humaine, notamment dans les prisons françaises où elle a encouragé l’enseignement et en Algérie où elle s’est opposée à la torture (avec l’historien Pierre Vidal-Naquet disparu le 29 juillet 2006), à la condition déplorables des femmes et à la ‘clochardisation’ du peuple algérien avec la construction de centres sociaux.

Elle l’expliqua ce terme dans son livre ‘La Traversée du mal’ : « La clochardisation, c’est le passage sans armure de la condition paysanne (c’est-à-dire naturelle) à la condition citadine (c’est-à-dire moderne). J’appelle ‘armure’ une instruction primaire ouvrant sur un métier. En 1955, en Algérie, j’ai rêvé de donner une armure à tous les enfants, filles et garçons. ».

C’était un peu cela la ‘méthode Germaine Tillion’ : une recherche pertinente de diagnostic des maux qui rongent la société, et surtout, la mise en pratique de solution concrète.

C’est sans doute pour cette raison qu’un des rêves (irréalisés) de Germaine Tillion fut de modifier l’ordre de la devise républicaine en y plaçant ‘fraternité’ en tout premier.

Ses derniers combats furent un appel contre la torture en Irak en 2004 et son adhésion à un comité de sans-papiers.

Elle continua à recevoir des étudiants, universitaires, journalistes, intellectuels etc. jusqu’en 2004 (à 97 ans !).


La grande résistante

Peu encline à accepter la politique du Maréchal Pétain (« Ce fut pour moi un choc si violent que j’ai dû sortir de la pièce pour vomir. »), Germaine Tillion s’engagea ‘naturellement’ dans la Résistance dès 1940 et commanda en 1941 le réseau du Musée de l’Homme qui se focalisait sur le renseignement et l’aide à l’évasion des prisonniers.

Elle fut hélas arrêtée le 13 août 1942 sur dénonciation, détenue à Fresnes puis déportée le 21 octobre 1942 à Ravensbrück. Sa mère (également résistante) la rejoignit en 1944.

Elle perdit tous ses manuscrits pour sa thèse, mais continua à écrire en cachette une opérette pour préserver sa survie ‘Le Verfügbar aux enfers’ (publiée en 2005 et jouée pour la première fois au Châtelet à Paris le 2 juin 2007) : il s’agissait de présenter la difficile vie en détention avec un humour lyrique et populaire. Pour donner un exemple de cet humour, une future déportée parle d’un : « camp modèle, avec tout le confort, eau, gaz, électricité » et le chœur insiste alors : « gaz surtout ».

Son œil d’ethnologue lui a permis aussi de passer cette dure période : « Si j’ai survécu, je le dois à coup sûr au hasard, ensuite à la colère, à la volonté de dévoiler ces crimes et, enfin, à la coalition de l’amitié, car j’avais perdu le désir viscéral de vivre. ».

L’amitié notamment de Geneviève Anthonioz-De Gaulle (disparue le 14 février 2002), d’Anise Girard (épouse Postel-Vinay) et de Denise Jacob (épouse Vernay, la sœur de Simone Veil). Germaine Tillion était devenue « l’animatrice d’une sorte d’opération survie ».

Mais en mars 1945, peu de temps avant la libération des camps, elle y perdit sa mère, Émilie Cussac (qui fut aussi écrivaine), choc qu’elle n’a évidemment jamais pu oublier par la suite.

Après la guerre, pendant une dizaine d’années, Germaine Tillion enquêta sur les crimes de guerre allemands et les camps de concentration soviétiques.

En 1946, elle fut parmi les premiers anciens déportés à exprimer la vie des camps. Comme l’a rappelé Simone Veil dans son dernier livre (‘Une Vie’), les témoignages des anciens déportés étaient peu entendus, peu écoutés ou même peu crus.

Elle témoigna ainsi dans son ouvrage ‘À la recherche de la vérité’ qu’elle publia dès 1946 et qu’elle compléta en 1973 et en 1988 sous le titre ‘Ravensbrück’ en expliquant l’aspect économique des camps d’extermination.

Entre autres, le 21 avril 1982, face aux dérives révisionnistes de certains, Germaine Tillion fonda et présida l’Association pour l’étude des assassinats par gaz sous le régime national-socialiste dont le but fut de « rechercher et contrôler les éléments apportant la preuve de l’utilisation des gaz toxiques par les responsables du régime national-socialiste en Europe pour tuer les personnes de différentes nationalités » où l’on retrouve dans le bureau Geneviève Anthonioz-De Gaulle, Anise Poste-Vinay, Pierre Vidal-Naquet (attention : le lien présentant les statuts de cette association provient d’un site révisionniste).


Les réactions sur cette « femme d’exception »

Le Président Nicolas Sarkozy a rappelé « le courage, l’engagement et l’humanisme » de Germaine Tillion, « l’auteur prolixe et la femme engagée dans le combat politique pour l’émancipation des femmes et contre toutes les formes de torture ».

Le Premier Ministre François Fillon a évoqué son « parcours lumineux et courageux qui n’a jamais renoncé à aucune de ses valeurs ».

La Ministre de la Recherche Valérie Pécresse a parlé de « la figure scientifique majeure du XXe siècle » qui « a participé, en pionnière, à la fondation de l’ethnologie française », ajoutant que Germaine Tillion « mena tous ses combats avec toujours le souci de mettre les sciences de l’Homme au service d’une société plus juste et plus respectueuse ».

Le Secrétaire d’État Jean-Marie Bockel a, lui aussi, rendu hommage à cette « résistante de la première heure » à la « carrière dédiée à l’enseignement et à l’écrituren avec une œuvre riche et dense » en concluant ainsi : « Avec Germaine Tillion, s’éteint une conscience de notre siècle, une grande humaniste qui fut de tous les combats pour la justice et les droits de l’Homme au XXe siècle. ».


L’honneur de la République

Germaine Tillion est l’honneur de la République et l’honneur du XXe siècle.

Elle fut une grande dame qui mériterait sans doute le Panthéon, mais qui n’en aurait sans doute pas voulu (pas plus qu’Aimé Césaire). Qu’importe d’ailleurs, car ce fut déjà de son vivant qu’elle fut honorée par la France, l’une des cinq (uniques) femmes à avoir reçu la Grand-croix de la Légion d’honneur, et aussi bien d’autres décorations (dont la Croix de guerre et la médaille de la Résistance), ainsi que par la biographie que Jean Lacouture lui a consacrée en 2000 (‘Le Témoignage est un combat’).

« Je pense, de toutes mes forces, que la justice et la vérité comptent plus que n’importe quel intérêt politique. »

Une grande conscience du siècle dernier s’est éteinte ce week-end, brillante de son intelligence pratique, de son courage exceptionnel et de ses engagements éclairés.

Espérons que notre nouveau siècle nous offre également ces êtres de lumière avec la même intensité et la même détermination.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (21 avril 2008)


Pour aller plus loin :

France Culture lui consacrera ses soirées à 20 heures toute cette semaine.

Une exposition à ne pas manquer sur Germaine Tillion :
- Du 24 janvier 2008 au 4 mai 2008 au Musée de Bretagne (10 cours des Alliés à Rennes), puis
- Du 30 mai 2008 au 8 septembre 2008 au Musée de l’Homme (17 place du Trocadéro à Paris 16e).

Article sur France Télévision du 20 avril 2008.

Le siècle de Germaine Tillion.

(Article du Monde du 29 mai 2007 pour le centenaire de Germaine Tillion.)

Le site officiel sur Germaine Tillion.

Bibliographie sélective de Germaine Tillion.

 

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=39008

http://www.centpapiers.com/Germaine-Tillion-l-ethnologue,3606

http://www.lepost.fr/article/2008/04/21/1183906_germaine-tillion-l-ethnologue-passionnee-de-la-dignite-vient-de-s-eteindre.html

 
http://www.lexpressiondz.com/article/8/2008-04-24/52010.html

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commentaires

M
La Maison du Rire et de l’Humour, à Cluny,a appris avec grande émotion et beaucoup de tristesse, ce 19 avril, l’envol de Germaine TILLION vers un monde assurément meilleur que celui où, sa vie durant, elle s’est battue contre la bêtise et la bassesse dont les hommes sont capables.Elle souhaite lui rendre hommage pour tous ses fraternels et si courageux combats en faveur de la dignité et la liberté de l’être humain, en particulier par son admirable capacité à la pratique partagée de<br /> « L’HUMOUR DE RESISTANCE »que son Opérette bouffe, écrite à Ravensbrück :« LE VERFÜGBAR AUX ENFERS»symbolise avec grande force<br />  <br /> Il s’agit d’un des textes les plus singuliers parmi ceux qui proviennent des camps nazis de la mort.Déportée au camp de Ravensbrück en octobre 1943 avec sa mère qui y sera gazée, Germaine Tillion choisit d'aider ses camarades en les entraînant dans la création d'une oeuvre: Cachée au fond d'une caisse d'emballage, elle rédige une "opérette-revue" consacrée à la vie au camp - comédie loufoque et en même temps analyse lucide de l'univers concentrationnaire.<br />
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