Longtemps de sept ans, la durée du mandat présidentielle fut un serpent de mer pendant une trentaine d’années avant d’être réduite à cinq ans. Une réforme très acceptée par l’opinion publique mais pas forcément très saine pour la bonne marche de notre démocratie. Suite.
J’ai proposé, dans un précédent article (aussi sur Agoravox), une petite histoire du septennat et du quinquennat. Maintenant, regardons les différents arguments.
Pourquoi fallait-il le quinquennat en 2000 ?
Le temps va de plus en plus vite de nos jours…
Le principal argument en faveur du quinquennat, plébiscité par l’opinion publique, est que le temps s’est accéléré. À tous points de vue : technologique, donc économique et forcément politique.
Prenons ne serait-ce que l’informatique : un Mitterrand ignorant ce sujet et épaté devant de très jeunes petits informaticiens, puis un Chirac ignorant ce qu’est la souris d’un ordinateur. S’il y a bien eu un changement avec la campagne présidentielle de 2007, c’est que chacun des trois principaux candidats (Sarkozy, Royal, Bayrou) savait ce qu’est un ordinateur et les ouvertures que permet internet.
Par conséquent, maintenir à sept ans le mandat présidentiel serait non seulement une aberration, mais aussi anti-démocratique dans la mesure où les électeurs changent très vite de camps. Il y a sept ans, c’était avant les attentats du 11 septembre 2001. Bref, la préhistoire. La situation était mille fois différente de celle d’aujourd’hui. Le renouvellement du mandat présidentiel, c’est aussi le renouvellement des idées, des programmes et des projets politiques. Et aussi le rajeunissement supposé de la classe politique.
C’est pour cette même idée que le Sénat a reconnu que la durée du mandat des sénateurs de neuf ans était beaucoup trop longue et a consenti de lui-même (pour éviter une réforme plus importante de l’extérieur) à sa réduction à six ans, qui est une durée assez classique pour les mandats locaux (conseillers municipaux, généraux, régionaux).
Éviter les cohabitations génératrices d’immobilisme…
L’autre argument massue présenté en 2000 fut aussi la nocivité institutionnelle de la cohabitation (nocivité reconnue désormais mais prévue dès 1984 par Raymond Barre). C’est-à-dire la coexistence d’un Président de la République d’un bord et d’une majorité parlementaire du bord opposé.
Or, le contexte de 2002 était particulièrement intéressant : le mandat des députés finissait la même année que celui du Président de la République. Une loi électorale (surtout revendiquée d’ailleurs par François Bayrou à l’époque) a donc été adoptée pour faire élire les députés après le Président de la République (alors que leur mandat se terminait en mars et celui du Président en mai).
Ceux qui contestent cette loi oublient qu’elle n’a fait que reprendre l’esprit des institutions qui veut que la prééminence revienne au Président de la République.
Cette inversion du calendrier électoral est tellement cohérente qu’elle n’a fait que formaliser ce qui se faisait en pratique par François Mitterrand, à savoir dissoudre l’Assemblée Nationale systématiquement après une élection présidentielle (comme en 1981 et en 1988).
Une pratique qu’auraient dû sans doute prendre en compte également Valéry Giscard d’Estaing en 1974 (qui fut vite prisonnier du nouveau RPR de Jacques Chirac dès 1976) et Jacques Chirac en 1995 (cohabitant avec une majorité d’origine balladurienne).
Ainsi, sur la lancée de l’élection présidentielle, les députés se font désormais systématiquement élire ou réélire.
C’est sur cette ‘opération magique’ (aux législatives, les Français ne désavoueraient pas leur vote à l’élection présidentielle) que François Bayrou a misé pour répondre à son talon d’Achille le plus discréditant pour lui : ‘s’il était élu, il ne pourrait pas obtenir de majorité à l’Assemblée’.
Dans l’optique de ce quinquennat sec, une élection de François Bayrou en mai 2007 aurait sans doute engendré des ralliements dans l’autre sens, centripète et pas centrifuge (vers l’UDF) et les candidats estampillés ‘majorité présidentielle’ (de droite ou de gauche d’ailleurs) auraient sans doute eu plus de chance d’être élus.
Nul ne peut aujourd’hui assurer que ce scénario aurait fonctionné, mais il demeurait au moins dans la logique des institutions. D’ailleurs, il suffisait d’avoir juste une majorité relative pour gouverner, comme ce fut le cas pour François Mitterrand entre 1988 et 1993.
Malgré ces deux arguments, je n’ai pas du tout été convaincu en 2000.
Par conséquent, ce 24 septembre 2000, je fis partie d’une très faible minorité d’électeurs (30,2%) à s’être déplacés pour participer au référendum visant à adopter le quinquennat et je fis partie d’une minorité encore plus faible (26,9% soit 6,8% du corps électoral, abstention comprise) à avoir voter non, c’est-à-dire, contre la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans.
Pourquoi avoir voté contre le quinquennat ?
Tradition de la République française…
J’avoue que le principal argument des laudateurs du septennat fut longtemps la tradition républicaine, bref, la longévité de cette disposition.
Mais, dans mon précédent article, j’expliquais que la durée fixée à sept ans en 1873 fut le résultat d’un concours de circonstances tout à fait anecdotique et n’était pas la conséquence d’une longue réflexion constitutionnelle : il s’agissait d’attendre la mort du Comte de Chambord qui aurait mis fin aux divisions chez les monarchistes. Sept ans correspondait à un bon délai ! Dix ans aurait trop rappelé le Consulat ou le début du Second Empire.
Donc, l’argument principal est vite balayé.
Concomitance des élections présidentielle et législatives…
Reste une sorte de rigueur absolue du dogme gaullien : des personnalités aussi différentes que Raymond Barre, Christian Poncelet, Charles Pasqua ou Pierre Mazeaud (futur Président du Conseil Constitutionnel de 2004 à 2007) avaient refusé ce quinquennat couplé à une législature pour cette même allégeance au principe gaullien redit le 31 janvier 1964 par De Gaulle : « Parce que la France est ce qu’elle est, il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère (…) de sa fonction de chef d’État. ».
Mais Pompidou, pourtant partisan du quinquennat, disait la même chose le 10 septembre 1973 : « Aussi est-il souhaitable de ramener le mandat présidentiel à l’avenir à cinq ans, sans pour autant lier la date des élections présidentielles à la date des élections à l’Assemblée Nationale, ce qui remettrait en cause l’esprit même des institutions et l’équilibre des pouvoirs publics. ».
Même Jacques Chirac, qui fit finalement le quinquennat, déclarait un an auparavant, le 14 juillet 1999 : « Le quinquennat conduit presque automatiquement au régime présidentiel. Moi, je suis hostile au régime présidentiel. ».
L’argument est en effet de poids. Le Général De Gaulle avait réussi à faire élire en 1958 (quelques semaines avant son élection à l’Élysée) une majorité parlementaire gaulliste. Puis, il faut attendre François Mitterrand pour refaire (dans le sens inverse du calendrier) la même chose en 1981 et en 1988.
Or, depuis 1981 (et même, depuis 1974 si on considère que les Républicains indépendants formaient un parti suffisamment puissant pour porter son leader à l’Élysée), le candidat élu à la magistrature suprême a toujours été le chef du parti majoritaire : Mitterrand premier secrétaire du PS, Chirac président du RPR et Sarkozy président de l’UMP.
Pire, l’absence de leadership dans son propre parti a handicapé considérablement des candidats comme Raymond Barre en 1988, Jacques Delors et Édouard Balladur en 1995, et évidemment, Ségolène Royal en 2007.
Contrairement à la volonté gaullienne, la Ve République a glissé progressivement dans les années 1970 vers le régimes des partis tant honni avant 1958. Par chance, les institutions ont paradoxalement permis une stabilité d’autant plus forte que le Président gardait la maîtrise de son (ex-)parti (Mitterrand avait perdu le contrôle du PS dès 1990 au congrès de Rennes et Chirac en décembre 2004 avec la conquête de l’UMP par Nicolas Sarkozy).
Cette perversion était d’ailleurs autant le fait des socialistes (qui n’avaient pas pour référence le gaullisme) que les gaullistes eux-mêmes puisqu’en décembre 1974, Jacques Chirac, alors Premier Ministre, s’empara du secrétariat général de l’UDR puis en mars 1986, redevenu Premier Ministre, Jacques Chirac voulut conserver sa présidence du RPR. Même schéma en mai 1995 quand Alain Juppé cumula Matignon et la présidence du RPR.
Au moins, François Mitterrand considérait incompatible les fonctions gouvernementales avec les fonctions de premier secrétaire du PS, fonctions qu’a ainsi abandonnées Lionel Jospin à François Hollande (au départ, il aurait préféré Daniel Vaillant, mais ce dernier était trop friand d’un ministère) lorsqu’il fut nommé Premier Ministre en juin 1997.
Cette dérive renforça la dépendance des parlementaires de la majorité vis-à-vis de l’Élysée. La pratique de la fonction présidentielle depuis mai 2007 montre encore plus clairement cette hypothèse : les parlementaires sont systématiquement écartés au profit de commissions soi-disant expertes sur les sujets les plus graves (rapport du Comité Balladur pour la réforme des institutions, rapport de Jacques Attali pour le retour à la croissance etc.).
"Assujettissement" définitif des députés de la majorité…
Mais la dérive est bien plus grave à mon sens.
S’il y a bien une motivation (compréhensible) pour un député, c’est de pouvoir être réélu député aux prochaines élections. Pour de nombreuses raisons, non seulement politiques (évidentes) et psychologiques (amour propre, besoin de reconnaissance du travail accompli etc.) mais également financières (surtout pour les non-cumulards, évidemment).
Or, les députés sont fréquemment au contact de leurs électeurs (et donc de la base), dans leurs permanences etc. Ils peuvent mieux que d’autres sentir les mesures gouvernementales qui fâchent, ou qui ne sont pas comprises, ou encore qui sont mal décidées.
Lorsqu’il y a des élections législatives en cours de mandat présidentiel, le député de la majorité aura alors forcément le courage de s’opposer au gouvernement s’il considère que ça diverge trop par rapport à l’opinion publique. Ce rôle de résistance est sain dans une démocratie. Il en va de la survie du député.
Sans élection intermédiaire, les députés ne sont élus ou réélus plus qu’avec le label du Président de la République nouvellement élu (ou en s’y opposant). Ils n’ont plus la capacité de résister, s’ils sont au sein de la majorité, car ils doivent tout au Président : leur investiture (le Président depuis près de trente ans contrôlant le parti majoritaire), leur campagne et leur élection.
Le quinquennat mettrait-il fin aux cohabitations ?
Cette concomitance a-t-elle au moins l’efficacité qu’on lui attribue ? Pas du tout.
Rien n’indique que le quinquennat sec puisse empêcher le retour de la cohabitation. Ne serait-ce que parce que le Président de la République peut très bien écourter son mandat pour diverses raisons (démission, décès, destitution selon une récente modification de la Constitution dont l’interprétation restera bien ardue) et ce dernier peut toujours, le cas échéant, prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale.
Le moindre écart redécalerait définitivement toutes les élections (ce qui serait une bonne chose selon moi) et rendrait possible de nouveau la cohabitation.
Le quinquennat mettrait-il fin aux mandats trop longs ?
Là encore, rien n’est moins sûr.
François Mitterrand a duré quatorze ans, Jacques Chirac douze ans. Combien de temps durera Nicolas Sarkozy ? Cinq ans ? Dix ans ? Quinze ans ? La dernière hypothèse n’est pas idiote. En 2022, Nicolas Sarkozy n’aura que 67 ans finalement, âge généralement en début de mandat (à quelques ans près) pour De Gaulle, Mitterrand et Chirac !
Au contraire, si le septennat empêchait d’envisager raisonnablement un troisième mandat, le quinquennat l’encouragerait plutôt. D’où sans doute la volonté actuelle de Nicolas Sarkozy de limiter à deux mandats consécutifs (mais serait-ce si démocratique que cela, si un ‘homme providentiel’ s’avérait indispensable sur du long terme ?).
Dans la pure pratique gaullienne, un mandat présidentiel ne se légitime pas uniquement au moment de l’élection, au début du mandat, comme un chèque en blanc, mais tout au long de ce mandat, aux échéances cruciales pour la nation : référendum (on ne déplace les électeurs que sur des sujets importants), élections législatives notamment, permettant sans arrêt de ressourcer la légitimité présidentielle à la base.
Évidemment, la pratique a changé dès les année 1970. François Mitterrand n’avait eu aucune intention de démissionner lors de ses échecs législatifs de 1986 et de 1993 et Jacques Chirac non plus lors de son échec législatif de 1997 ni lors de son échec référendaire de 2005. Valéry Giscard d’Estaing avait prévu le même schéma en cas d’échec législatif en 1978 (en se repliant à Rambouillet !).
Vers un changement caché de régime
En fait, l’institution du quinquennat a conduit très discrètement la Ve République à un véritable changement de régime. Et cela sans aucun débat national de grande envergure.
D’abord, en formalisant le fait que désormais, nous sommes bien dans un régime des partis (et particulièrement des partis majoritaires, à savoir l’UMP et le PS).
Ensuite, en insérant dans la Constitution le germe du régime présidentiel pur et dur.
Constitutionnaliste de renom, Didier Maus ne disait pas autre chose en septembre 2000 : « Si la logique du quinquennat s’impose au profit de la primauté restaurée du Président de la République, l’interprétation parlementaire de la Constitution, favorable au Premier Ministre, aura de moins en moins de chance de s’affirmer. ».
Depuis le printemps 2007, l’affaire tourne encore plus clairement avec un Président de la République qui veut décider de tout à la place de tout le monde (Premier Ministre, ministres, Parlement), avec un Premier Ministre qui accepte de n’être qu’un « collaborateur » du Président et qui est lui-même favorable au régime présidentiel et favorable à la suppression… de son propre poste, et surtout, avec cette volonté affichée de réformer les institutions (volonté également formulée par les autres candidats Ségolène Royal et François Bayrou).
Nous en parlerons dans un autre article, mais le projet de loi adopté au Conseil des ministres du 23 avril 2008 est loin d’être rassurant à ce titre : si le Parlement obtient davantage d’influence (peut-on parler de pouvoirs ?), le Président termine renforcé par une telle réforme, notamment avec la possibilité de s’exprimer formellement devant les parlementaires, revenant sur une disposition datant de 1873 pour s’opposer à l’homme providentiel Thiers (voir l’article précédent).
Boîte de Pandore ouverte
Le quinquennat a complètement déséquilibré une Constitution qui a été savamment construite il y a bientôt cinquante ans, et a ouvert la boîte de Pandore.
Maintenant, chacun s’y sert et chacun y va de sa petite idée.
Mais une Constitution, c’est une loi fondamentale. Qui doit être stable pour enrichir la nation.
Depuis 1787, la France a connu seize régimes alors que les États-Unis vivent avec une seule et même Constitution, et ce n’est pourtant pas un pays qui est en retard sur son temps (il est même plutôt à la pointe des innovations technologiques même s’il y a beaucoup à redire depuis Bush junior voire avant).
Or, tout le monde sait bien que si nos institutions sont bien sûr largement améliorables, l’oxygène dont a besoin aujourd’hui notre démocratie représentative, ce ne sont que les femmes et les hommes qui la font fonctionner qui peuvent le lui donner.
Sûrement pas la pénultième révision de la Constitution.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 avril 2008)
Pour aller plus loin :
Les 14 documents qui ont abouti au quinquennat (de 1958 à 2000).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=39183
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080425/tot-mandat-presidentiel-2-les-derives-pa-89f340e.html
http://www.centpapiers.com/Mandat-presidentiel-en-France-2,3648
http://www.lepost.fr/article/2008/04/29/1187227_mandat-presidentiel-2-les-derives-partisanes-du-quinquennat.html