Lecture commentée du projet de loi constitutionnelle sur la modernisation des institutions adopté au Conseil des ministres du 23 avril 2008. Suite et presque (!) fin.
Dans le premier article, j’avais évoqué les conditions de cette réforme qui veut moderniser les institutions de la Ve République, qui ne sont pas celles qu’on aurait souhaitées pour impliquer une large partie du peuple français. Dans un deuxième article, j’ai énuméré la plupart des mesures qui ont trait à l’Exécutif et aux droits du citoyens.
Dans ce troisième article, je présente les dispositions qui ont été prévues pour renforcer les droits et pouvoirs du Parlement. Inutile de dire que le gouvernement considère que c’est cette partie qui est l’essentiel de l’esprit de cette réforme, savamment préparée par le Comité Balladur.
Dans un quatrième et dernier article, je présenterai ce qui a été ‘oublié’ dans ce texte de révision.
7. Le Parlement rénové dans ses droits et pouvoirs
Voyons donc la plupart de ces mesures en faveur du Parlement.
7.1. Des nominations mieux contrôlées (art. 4, 25, 28 et 31 du projet de loi)
La tendance de ces dernières années (fortement accentuée avec l’arrivée de François Mitterrand à l’Élysée) a été de rendre le Président de la République maître des nominations de plus en plus de hauts fonctionnaires de l’État. Cette tendance, qu’en d’autres lieux et autres temps on appelait népotisme, n’est pas de nature à rendre la confiance des citoyens à leurs représentants. La réforme prévoit donc, pour certaines nominations, que ce pouvoir de nomination ne puisse s’exercer que « après avis d’une commission constituée de membres des deux assemblées du Parlement ».
Cette disposition s’appliquerait également à d’autres nominations comme celle du Défenseur des droits du citoyens (qui regrouperait les fonctions actuelles du Médiateur de la République, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité), celle de certains membres du Conseil Supérieur de la Magistrature, ainsi que celle des membres du Conseil Constitutionnel.
Mon avis : Très favorable. Cette mesure qui encadrerait le pouvoir présidentiel empêcherait ainsi des nominations totalement déplacées de proches du pouvoir dans des fonctions pour lesquelles ils n’auraient aucune compétence. Par ailleurs, notamment pour la nomination des membres du Conseil Constitutionnel dont l’importance serait grandissante, il résulterait de cette disposition la fin des polémiques souvent naissantes lors du renouvellement du Conseil Constitutionnel (nomination de Roland Dumas à sa présidence en 1995 etc.).
7.2. Énonciation officielle des missions du Parlement (art. 9 du projet de loi)
La réforme comblerait une « lacune significative » de l’actuelle Constitution qui ne mentionne nulle part les missions du Parlement. Elle les énoncerait clairement dès le début du titre IV concernant le Parlement (article 24 de la Constitution) : « Le Parlement vote la loi et contrôle l’action du Gouvernement. ».
Mon avis : Pour. Si le vote de la loi paraît une mission évidente du Parlement (et est rappelé à l’article 34 de la Constitution), le contrôle de l’action gouvernementale l’est beaucoup moins en France. En l’énonçant explicitement dans la Constitution, la réforme donnerait aux parlementaires le cadre constitutionnel de leurs éventuelles investigations.
7.3. Représentativité des députés et des sénateurs (art. 9 et 10 du projet de loi)
Il ne s’agirait pas ici d’évoquer le mode de scrutin, mais de créer aussi une représentation des Français établis hors de France pour l’Assemblée Nationale (actuellement seulement pour le Sénat) ainsi que de créer une Commission indépendante (une loi fixerait ses règles d’organisation et de fonctionnement) pour se prononcer « par un avis public sur les projets et propositions tendant à délimiter les circonscriptions pour l’élection des députés ou des sénateurs ou à répartir les sièges entre elles ».
Mon avis : Pour. L’absence de députés représentant les Français de l’étranger est en effet une lacune, mais le plus important reste le fait de contrôler tout nouveau ‘charcutage électoral’. Le problème est très important, car le dernier redécoupage des circonscriptions législatives date de… 1988. Or, en vingt ans, la démographie a considérablement évolué et de très fortes inégalités de représentation ont été observées de part et d’autre. Malgré cela, aucun gouvernement n’avait osé s’attaquer au redécoupage de peur d’être attaqué sur ce registre. Cette commission pourrait faire en sorte que cette opération, qui devrait être régulière, soit réalisée de manière plus consensuelle.
7.3. Possibilité de voter des résolutions (art. 12 du projet de loi)
Là encore, la ‘mode anglo-saxonne’ est très forte dans ce type de disposition qui prévoit « la faculté, à l’instar de la grande majorité des Parlements étrangers, d’adopter, en tout domaine, des résolutions n’ayant pas de valeur contraignante, mais marquant l’expression d’un souhait ou d’une préoccupation ». L’objectif est de décharger la loi de « cette fonction tribunitienne ».
Mon avis : Pour. Cette disposition séparerait les résolutions des lois (la France en produit beaucoup trop). Il suffit, pour se le rappeler, d’évoquer l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui n’avait rien à y faire dans une loi (aspect positif de la colonisation). Il resterait cependant à bien encadrer cette nouvelle possibilité offerte aux parlementaires pour ne pas, par exemple, mettre le gouvernement en porte-à-faux diplomatique.
7.4. Augmentation du nombre des commissions permanentes (art. 17 du projet de loi)
Chaque assemblée du Parlement s’organise jusqu’à maintenant avec six commissions permanentes. Ce nombre est porté à huit. Objectif : élargir le champ des commissions permanentes et resserrer leur composition pour rendre leur travail plus efficace.
Mon avis : Pour. Les commissions ont un certain nombre de prérogatives intéressantes (comme celui de demander des audiences parfois publiques). On peut aisément envisager l’instauration d’une commission chargée de l’écologie et du développement durable et d’une commission chargée des nouvelles technologies par exemple. Cette disposition ne préjugerait pas de ce que les assemblées décideraient d’en faire.
7.5. Généralisation des lois de programmations (art. 11 du projet de loi)
La réforme élargirait constitutionnellement le champ d’application des « lois de programmes » qui deviendraient « lois de programmation » au-delà de la seule action économique et sociale de l’État.
Mon avis : Pour. Des lois de programmation avaient déjà été envisagées sur d’autres sujets qu’économiques et sociaux, comme une loi de programmation militaire mais était interdite par le Conseil Constitutionnel. Ces lois de programmation stabiliserait la gestion de l’État et permettrait à tous les acteurs plus d’anticipation dans leurs projets.
7.6. Implication du Parlement en cas d’intervention des forces armées à l’étranger (art. 13 du projet de loi)
La réforme imposerait au Gouvernement d’informer systématiquement et le plus rapidement possible toute intervention des forces armées à l’étranger, éventuellement avec un débat sans vote à la suite. Après un délai de six mois (ou, le cas échéant, au début de la session suivante si c’était hors session), le Parlement devrait autoriser la prolongation de l’intervention.
Mon avis : Pour. Cette disposition remédierait à une critique récurrente de l’opposition chaque fois que des troupes françaises sont engagées à l’étranger (Kosovo, Côte d’Ivoire, Koweït, Liban, Afghanistan etc.). Jusqu’à maintenant, seule la « déclaration de guerre » était autorisée par le Parlement.
7.7. Examen du Conseil d’État des propositions de loi (art. 14 du projet de loi)
Voici encore une disposition nécessaire pour mettre sur le même pied d’égalité le Gouvernement (qui rédige des projets de loi) et le Parlement (qui rédige des propositions de loi). Le Président d’une assemblée pourrait soumettre pour avis au Conseil d’État une proposition de loi déposée par un de ses membres. La réforme prévoit aussi la possibilité au Président d’une assemblée d’opposer l’irrecevabilité d’une proposition ou d’un amendement qui ne serait pas du domaine de la loi (pour l’instant, seul le Gouvernement peut opposer l’irrecevabilité).
Mon avis : Pour. Cela éviterait que certaines propositions de loi soient anticonstitutionnelles ou mal rédigées. Il est cependant dommage que n’aient pas été pris en compte les éventuels amendements d’origine parlementaire dont la rédaction pourrait être, elle aussi, erronée (comme l’amendement Mariani sur le recours aux tests ADN pour la loi Hortefeux).
7.8. Texte de base pour la discussion parlementaire (art. 16 du projet de loi)
Là encore, l’expérience sénatoriale de la première lecture de la loi Hortefeux (sur les tests ADN entre autres) a été intéressante. La réforme obligerait de prendre comme texte de base à une discussion en séance le texte éventuellement modifié par la commission parlementaire chargée de l’étudier et pas celui du Gouvernement (sauf pour les lois de finances et révisions constitutionnelles).
Mon avis : Pour. Ce serait sans doute la principale avancée de ce projet de loi : les travaux des parlementaires ne seraient plus inutiles et le Gouvernement serait dans ce cas en retrait dans l’élaboration de la loi.
7.9. Droits des partis se disant d’opposition (art. 1 et 24 du projet de loi)
La première mesure indiquerait dès l’article 4 de la Constitution (sur les partis qui « concourent à l’expression du suffrage ») la phrase suivante : « Des droits particuliers peuvent être reconnus par la loi aux partis et groupements politiques qui n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement. ». Les garanties spécifiques visées seraient par exemple « les règles de financement ou les règles protocolaires ».
De plus, serait ajouté l’article 51-1 de la Constitution ainsi rédigé : « Le règlement de chaque assemblée détermine les droits respectifs des groupes parlementaires selon qu’ils ont ou non déclaré soutenir le Gouvernement. ».
Mon avis : Plutôt contre. Cette mesure (qui imiterait la tradition britannique du ‘shadow cabinet’) renforcerait la bipolarisation du système politique français. S’il est relativement facile de savoir si l’UMP ou le PS sont dans la majorité ou dans l’opposition, il est moins évident pour le MoDem (encore que sa représentation parlementaire soit très faible actuellement). C’était notamment le cas lors de la précampagne présidentielle où le temps de parole de François Bayrou ne pouvait être décompté ni du temps de la majorité (puisqu’il avait voté une motion de censure en 2006) ni du temps de l’opposition (qui refusait d’être amputée d’autant). Cela dit, ces droits spécifiques permettraient à l’opposition de créer des commissions d’enquête et autres missions de contrôle du Gouvernement qui nécessitent aujourd’hui un accord de la majorité. Cette possibilité aurait pu être obtenue sans évoquer de différences entre les partis mais en autorisant la création de telles commissions par seulement 20 ou 30% des parlementaires d’une même assemblée.
7.10. Autres mesures sur le Parlement
Il est très difficile de présenter de façon exhaustive ce projet de loi car il contient de nombreuses mesures très positives pour redonner des prérogatives au Parlement.
Je les cite donc ici rapidement :
- Possibilité par le Parlement de refuser la déclaration d’urgence faite par le Gouvernement (art. 19 du projet de loi).
- Questions au Gouvernement également pendant les sessions extraordinaires (art. 22 du projet de loi).
- Partage de l’ordre du jour à moitié-moitié pour le Gouvernement et le Parlement (art.22 du projet de loi).
- La Cour des Comptes assisterait le Parlement dans sa mission de contrôle (art. 21 du projet de loi).
- Limitation du 49-3 aux lois de finances et à un texte par session (art. 23 du projet de loi).
Assurément, toutes ces dispositions visant à redorer le Parlement sont très positives et apporteraient une avancée majeure dans le fonctionnement des institutions de la Ve République.
Il aurait sans doute fallu, pour éviter toute polémique inutile, faire de ce seul recueil de dispositions facilitant le travail parlementaire un projet de loi constitutionnelle à lui tout seul et séparer la discussion de ce texte (consensuel) des autres mesures indiquées dans mon précédent article qui font parfois l’objet de fortes contestations.
Dans le prochain article, je terminerai l’étude de ce projet par les dispositions qui ne sont pas (justement) dans ce projet.
À suivre…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 avril 2008)
Pour aller plus loin :
Texte intégral du Projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.
Constitution de la Ve République.
http://www.AgoraVox.fr/article.php3?id_article=39385
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080430/tot-reforme-des-institutions-3-un-parlem-89f340e.html
http://www.centpapiers.com/Reforme-des-institutions-en-France,3693
http://www.lepost.fr/article/2008/05/06/1190016_reforme-des-institutions-3-un-parlement-aux-prerogatives-renforcees.html