D’un côté, un Sénat qui va désigner un probable nouveau Président en début octobre 2008, de l’autre côté, un Alain Juppé, 62 ans, redoré de l’onction du suffrage universel. De quoi faire cogiter bien des cerveaux…
La rumeur était déjà dans les tuyaux depuis plusieurs mois, mais la brillante réélection à la mairie de Bordeaux la remet au goût du jour.
L’intelligence est-elle bonne représentante ?
Alain Juppé fait partie de ces hommes politiques un peu exceptionnels. Selon Jacques Chirac, « le meilleur d’entre nous » serait l’homme politique le plus intelligent de sa génération, un peu comme l’a été, pour la sienne, Valéry Giscard d’Estaing.
Alors que l’ancien Président de la République était X ENA, l’ancien Premier Ministre était Normale Sup. ENA.
Laurent Fabius pourrait sans doute contester le titre, mais qu’importe, un classement de l’intelligence a toujours été impossible à réaliser, trop subjectif, et surtout, l’intelligence est de moins en moins un critère pour être aimé des électeurs et surtout, pour les représenter.
Une carrière politique en dents de scie
Dauphin déclaré de longue date de Jacques Chirac, Alain Juppé a connu une belle ascension nationale : Ministre délégué au Budget (l’un des postes de renseignements les plus importants avec l’Intérieur) à 40 ans, Ministre des Affaires Étrangères à 47 ans, Premier Ministre à 49 ans (en mai 1995) après être devenu le président du plus grand parti de France. Il en profita pour conquérir la mairie de Bordeaux, chasse gardée d’un lointain prédécesseur, Jacques Chaban-Delmas, après sa carrière d’élu parisien (et un échec à Mont-de-Marsan aux législatives de mars 1978).
Hélas pour lui, cette belle trajectoire a été brisée à deux reprises.
Son impopularité naissant de son plan de réforme de la sécurité sociale (et de son peu de concertation) et des longues grèves de l’hiver 1995 aidée d’une antipathie très forte vis-à-vis de Philippe Séguin a engendré la désastreuse dissolution de 1997, encouragée par un Dominique de Villepin encore Secrétaire Général de l’Élysée. Cela a abouti à son départ de la présidence du RPR remplacé par… Philippe Séguin (qui était pourtant l’homme de la situation au printemps 1997) à la présidence et par… Nicolas Sarkozy au secrétariat général (à l’époque, encore en disgrâce pour cause de balladurisme).
Après la fin de la cohabitation avec Lionel Jospin, Alain Juppé a réussi à rebondir en fondant à la vitesse de l’éclair, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002, sous le coup de l’émotion de voir un Jean-Marie Le Pen présent au second tour, l’UMP, fusion du RPR et d’une partie de l’UDF (celle menée par Philippe Douste-Blazy et Pierre Méhaignerie).
Malgré une impopularité persistante (parallèle au cursus de Laurent Fabius sans doute), Alain Juppé tenait donc avant 2004, avec le contrôle de l’UMP, la clef du succès pour l’élection présidentielle de 2007. Normalement, ‘la sienne’.
Mais dès 2004 (30 janvier puis 1er décembre 2004), ses condamnations dans des affaires politico-financières (notamment une inéligibilité d’une année) lui imposa de renoncer à tous ses mandats électifs et à s’écarter de la vie politique. Il renonça aussi à la présidence de l’UMP qui fut ainsi reprise opportunément par Nicolas Sarkozy et il s’exila dans l’enseignement universitaire au Québec, comme le fera quatre années plus tard son ancien rival Philippe Séguin.
Voulant rebondir, Alain Juppé décida le 29 août 2006 de revenir dans la vie politique en provoquant une élection municipale à Bordeaux et en la gagnant dès le premier tour avec 56,2% et, réaliste avec la situation politique, découragea les chiraquiens à ne pas soutenir la candidature (devenue incontournable) de Nicolas Sarkozy.
Son come back national se fit le 18 mai 2007 par son retour au gouvernement comme unique Ministre d’État, chargé de l’Écologie, numéro deux après François Fillon.
Nouvelle brisure : le 17 juin 2007, Alain Juppé fut battu aux législatives (avec 49,1%), ce qui l’obligea à quitter le gouvernement. Il envisagea alors de nouveau d’abandonner la politique et hésita avant de se relancer dans la bataille des municipales.
Nouveau rebond : le 9 mars 2008, Alain Juppé fut brillamment réélu maire de Bordeaux dès le premier tour avec 56,6% (légèrement supérieur à 2006).
Alain Juppé, un nouveau recours de l'UMP ?
Depuis ce retour en grâce électorale, et parallèlement à une impopularité de plus en plus criante de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé laisserait dans l’esprit de bien des élus de l’UMP un arrière-goût d’homme providentiel.
Intéressant d’ailleurs de lire le billet qu’a écrit non sans humour Alain Juppé lui-même sur le sujet le 19 avril 2008 :
« On ne cesse de me demander: "Alors, maintenant, qu'est-ce que vous allez faire ? Qu'allez-vous choisir : le gouvernement ? l'UMP ? l'Europe ? le vaste monde ?"
Je réponds invariablement: "Bordeaux !"
Les questionneurs reviennent à la charge.
Alors, de guerre lasse, je m'en tire par une boutade : "Voyez Berlusconi, 71 ans, ou McCain 72 ans... J'ai tout le temps..."
Et cela devient : "Juppé s'intéresse à 2012."
Un peu d'imagination, que diable ! Il y a aussi 2017. Je n'aurai que 72 ans. Si Dieu le veut... »
Un peu d’humour avec un peu d’amertume.
Pourtant, d’autres hypothèses peuvent s’échafauder.
Rumeurs et hypothèses…
Évoquée très discrètement dans le blog très enrichissant d’un assistant parlementaire (Le Journal d’un assistant parlementaire, que je vous conseille de lire régulièrement tant il fourmille d’informations précises et parfois croustillantes), l’hypothèse d’un retour parlementaire d’Alain Juppé plus rapide que prévu n’est pas à exclure.
En effet, le département de la Gironde fera partie, le 21 septembre 2008, des départements renouvelables pour les élections sénatoriales. Une occasion en or pour Alain Juppé de retrouver une tribune nationale.
Mais un autre fait accréditerait une idée encore bien plus ambitieuse.
Une bataille du plateau à l’issue très incertaine
Actuellement, la bataille du plateau (l’équivalent sénatorial du perchoir) va être très disputée en automne. L’enjeu est à la fois protocolaire (le Président du Sénat est le deuxième personnage de l’État) et politique (fonction qui permettrait d’influencer éventuellement le Président de la République Nicolas Sarkozy sur certains sujets).
« Les manœuvres ne commenceront qu’après les élections municipales et cantonales. » avait déclaré Christian Poncelet.
J’avais déjà présenté ici quelques candidats.
Aujourd’hui, tout reste possible : l’actuel Président du Sénat Christian Poncelet, malgré ses 80 ans et sa promesse de ne faire que deux mandats (il finit son troisième mandat), semblerait vouloir prolonger ses fonctions en misant sur la division des autres prétendants.
Qui sont-ils ?
Raffarin versus Larcher… et les autres
L’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin et l’ancien Ministre du Travail Gérard Larcher (également maire de Rambouillet) qui a préféré refuser le Ministère de l’Agriculture au printemps 2007 pour se faire réélire sénateur. Les deux sénateurs sont déterminés et ont chacun des atouts.
Certains considéreraient d’ailleurs que cette rivalité ferait resurgir la bataille classique entre l’ex-UDF (dont est issu Jean-Pierre Raffarin qui poursuit activement le dialogue avec les 31 sénateurs centristes, dont 3 renouvelables seulement, qui pourraient bien faire la différence) et l’ex-RPR (dont est issu Gérard Larcher). Bataille qui avait déjà eu lieu pour la succession (tant attendue) d’Alain Poher en 1992 entre René Monory et Charles Pasqua puis en 1998 entre Christian Poncelet (soutenu par les balladuriens) et René Monory.
Certes, d’autres candidats pourraient se profiler comme Jean-Claude Gaudin (réélu de justesse maire de Marseille et qui pourrait avoir la préférence de Nicolas Sarkozy) ou Alain Lambert (qui avait déjà fait un essai en 2004), et surtout, les résultats des dernières élections municipales et cantonales pourraient renforcer le groupe socialiste au Sénat qui pourrait jouer également un rôle non négligeable dans le choix (le PS ne devrait pas obtenir cependant la majorité sénatoriale avant 2011 au moins).
Juppé candidat de la réconciliation ?
Alors, l’information publiée le 1er octobre 2007 n’est pas anodine. Lors de sa rentrée sénatoriale, Gérard Larcher (qui fut le benjamin du Sénat en 1986, élu à l’âge de 37 ans) a déclaré que « seule, une candidature d’Alain Juppé à la Présidence du Sénat pourrait lui faire retirer sa propre candidature ».
Évidemment, cette hypothèse n’avait jusque là jamais été émise publiquement, ni d’ailleurs reprise alors qu’Alain Juppé jouit maintenant de sa confortable réélection de maire.
Il ne peut s’agir, de la bouche de Gérard Larcher, que d’une boutade pour exprimer sa détermination. Ou d’une sonde pour évaluer l’impact de l’idée, Gérard Larcher n’étant dans ce cas que le ‘sous-marin’ pour tenir les positions et empêcher Jean-Pierre Raffarin de prendre le contrôle de la place.
Rumeur fondée ou pas, la situation sera vite éclaircie lors des dépôts de candidatures. Alain Juppé ne cesse aujourd’hui de répéter qu’il veut être maire de Bordeaux à plein temps, qu’il n’a qu’un souci de politique local et qu’il se garde bien d’intervenir au niveau national.
Amitiés centristes et doutes sénatoriaux
Pourtant, tout le monde avait observé à quel point Alain Juppé avait fait les yeux doux à François Bayrou et au MoDem, en faisant l’union UMP-MoDem à Bordeaux (contre une liste du Nouveau Centre !) et en soutenant la candidature de François Bayrou à Pau (malgré la forte opposition de l’UMP), ce dernier soutenant également la candidature du chiraquien (et ex-collaborateur) Xavier Darcos à Périgueux (Xavier Darcos, ancien sénateur comme François Fillon et Michel Barnier).
Beaucoup d’éléments écarteraient toutefois cette hypothèse : d’une part, jamais les sénateurs n’éliraient à leur tête un sénateur fraîchement élu, ils préfèrent une personnalité qui connaît très bien la maison.
D’autre part, une élection d’Alain Juppé au Sénat après son échec aux législatives de juin 2007 ne serait pas en mesure de redorer le blason du Sénat considéré trop souvent (et à juste titre) comme la chambre de rattrapage des échoués du suffrage universel direct.
L’élection en septembre 2004 de Dominique Voynet (qui cherchait un mandat, et qui, maintenant, persiste à cumuler avec la mairie de Montreuil, ce qui ne lui est pas juridiquement interdit), ainsi que les rumeurs qui feraient de Jean-Pierre Chevènement un nouveau sénateur après ses échecs législatifs de 2002 et 2007 (le Territoire de Belfort est un département renouvelable, mais cette opération ne pourrait être possible qu’en cas de retrait du sénateur sortant Michel Dreyfus-Schmidt) renforcent ce sentiment de ‘cour de la seconde chance’ aux élus battus.
Et Chirac dans tout ça ?
Une autre rumeur (encore plus farfelue) ferait état d’une candidature aux sénatoriales de Jacques Chirac lui-même en Corrèze (département aussi renouvelable avec un sénateur sortant qui ne se représenterait pas) qui pourrait ainsi postuler à la Présidence du Sénat.
Farfelue car Jacques Chirac n’a jamais semblé intéressé par la présidence d’une assemblée (il en avait la possibilité en mars 1993 pour mieux contrôler l’action d’Édouard Balladur) et aussi parce qu’il semble avoir vraiment tourné la page (Jacques Chirac aurait même dissuadé son épouse Bernadette de se présenter au Sénat). De plus, la Corrèze a des fortes probabilités de faire élire deux sénateurs socialistes (en raison du grand succès du PS aux municipales dans ce département).
Alors, Alain Juppé prochain Président du Sénat ?
Sans doute pas, mais qui sait ?
L’avenir n’est jamais écrit…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (2 mai 2008)
Pour aller plus loin :
Biographie illustrée par Le Monde (1eroctobre 2007).
Questionnaire de Proust (28 novembre 2006).
Alain Juppé contre la sinistrose ambiante (12 janvier 2007).
Blog d’Alain Juppé.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=39466
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080502/tot-alain-juppe-serait-il-le-prochain-pr-89f340e_1.html
http://www.centpapiers.com/France-Alain-Juppe-serait-il-le,3696
http://www.lepost.fr/article/2008/05/06/1190036_alain-juppe-serait-il-le-prochain-president-du-senat.html
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