En mai 2008, il est à la mode en France de commémorer les 40 ans de la révolte étudiante de mai 1968. Pourtant, il y a 50 ans, en mai 1958, se passait une vraie révolution. Première partie.
On a l’habitude de dire que le Général De Gaulle est revenu au pouvoir avec l’aide des putschistes d’Alger et on a l’habitude également de dire que le 13 mai 1958 était la face noire du gaullisme par opposition à la face blanche du 18 juin 1940.
Pourtant, s’il y a eu un coup d’État en France, qui mit les institutions républicaines en émoi, ce n’était pas le 13 mai 1958 sous téléguidage gaulliste, mais à mon sens… il y a exactement cinquante ans, le 29 mai 1958, par le bon et inoffensif René Coty.
1. René Coty, un brave homme
D’abord, rappelons qui était René Coty.
« Une absence totale de fanatisme, le respect de la position adverse, et tout au fond le sentiment que la vérité n’est peut-être pas tout entière du même côté. » selon André Siegfried (dans son ‘Année Politique’ de 1953).
Avocat du Havre spécialiste en droit maritime et commercial, René Coty s’est voulu l’héritier des grands démocrates laïques tels que Léon Gambetta, Jules Ferry et Waldeck-Rousseau. D’abord élu local du Havre, puis engagé volontaire pendant la Première Guerre Mondiale, et à ce titre, participant à la bataille de Verdun (il fut exempté du service militaire en 1900 pour maigreur), il fut élu député en juin 1923, succédant dans sa circonscription à Jules Siegfried (député-maire du Havre).
Il devint dix jours Secrétaire d’État à l’Intérieur du 13 eu 23 décembre 1930 (gouvernement de Théodore Steeg), puis sénateur en 1936.
C’est à ce dernier titre que René Coty a voté pour les pleins pouvoirs au maréchal Philippe Pétain le 10 juillet 1940 (comme Joseph Laniel, Antoine Pinay et Robert Schuman), contrairement à son futur prédécesseur à l’Élysée, Vincent Auriol (Ministre socialiste des Finances de Léon Blum), qui, lui, vota contre.
Réhabilité en 1945, René Coty participa à trois gouvernements du 24 novembre 1947 au 11 septembre 1948 (ceux de Robert Schuman et André Marie) comme Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme.
Une faible expérience ministérielle qui se termina par une sorte de retraite à une vice-présidence du Sénat à partir de 1948.
2. L’élection improbable du 23 décembre 1953
Lorsque le 17 décembre 1953, les parlementaires se sont réunis pour désigner le successeur de Vincent Auriol, le premier Président de la IVe République, personne n’imaginait que l’élection présidentielle allait durer… sept jours et treize tours, un nombre symbolique qui portera finalement malheur puisque ce fut la dernière élection présidentielle de cette République.
L’élection fut en effet polluée par un climat politique peu facile : beaucoup de renversements de gouvernements et les prises de position sur la Communauté européenne de défense (CED) ou sur l’Indochine achevaient de cliver la classe politique.
Initialement, tout était pourtant assez clair sur la probable victoire du Président du Conseil en titre, l’indépendant Joseph Laniel. Face à lui, le socialiste Marcel Naegelen savait qu’il n’aurait pas la possibilité d’obtenir une majorité absolue de parlementaires sur son nom.
Au premier tour, les différents camps se comptèrent : à gauche, Naegelen fit 160 voix (en tête, mais sur 928, on était donc loin du compte) et le communiste Marcel Cachin 113 voix tandis que la droite et le centre se répartissaient à jeu quasi-égal entre l’indépendant Joseph Laniel avec 155 voix, le MRP Georges Bidault avec 131 voix, le radical Yvon Delbos avec 129 voix, le gaulliste Paul-Jacques Kalb avec 114 voix, le républicain indépendant Jean Médecin (père de l’ancien maire de Nice Jacques Médecin) avec 54 voix, et l’indépendant Jacques Fourcade. Comme on le voit, il y eut une forte déperdition de voix, très symptomatique des débats stériles de la IVe République.
Dès le 2e tour, Naegelen rassembla toutes les voix de gauche (SFIO et PCF) et même au-delà, chez les radicaux. Naegelen largement en tête au 2e tour avec 299 voix sur 918, Laniel prit de l’ascendance avec 276 voix sur Delbos (180 voix) et Bidault (143 voix) qui se retirèrent de la course respectivement au 4e et 3e tour.
À partir du 3e tour, Laniel fut en tête mais jusqu’au 10e tour, ne réussit pas à convaincre 100 à 200 de parlementaires qui se fourvoyaient dans des candidatures secondaires (Jean Médecin puis l’indépendant Pierre Montel).
Étrangement, au fil des tours de scrutins, les parlementaires se séparèrent en deux clans, entre Laniel et Naegelen, un bipartisme spontané qui vit son apogée au 8e tour où des indépendants ou des centristes refusant Laniel se reportèrent sur la candidature de Naegelen.
Joseph Laniel a failli être élu mais le Président de l’Assemblée Nationale, le socialiste André Le Troquer, qui supervisait l’organisation de ces élections en tant que Président du Congrès, lui refusa les bulletins de vote ‘Laniel’ sans mention du prénom qui pouvaient être confondus avec son frère René Laniel, sénateur (les candidats n’étaient pas obligés de se présenter pour avoir des voix). Il n’obtint officiellement que 430 voix sur 909.
Au 11e tour, Joseph Laniel se désista en faveur d’un autre indépendant, Louis Jacquinot, mais ce dernier ne parvint pas à faire le plein des votes autres que celles de la coalition socialo-communiste soutenant Naegelen.
Pour le 12e tour, on alla alors chercher le vice-président du Sénat René Coty. Pourquoi le vice-président et pas le Président du Sénat ? Parce que tout simplement ce dernier s’appelait Gaston Monnerville et que les parlementaires imaginaient mal élire à l’Élysée un homme de couleur. Alors, on demanda à René Coty de se porter candidat et il faillit l’emporter dès ce tour-là (avec 431 voix sur 882) pour gagner largement au 13e tour, le 23 décembre 1953 vers 18 heures, avec 477 voix sur 871.
René Coty avait bénéficié alors d’un avantage extraordinaire. Pour des problèmes de prostate, il avait dû s’éclipser au moment du vote au Sénat de la CED. Ne l’ayant donc pas votée, René Coty a pu recevoir des suffrages de parlementaires de gauche fortement hostiles à la CED.
Peut-être l’une des raisons secrètes qui fait que certains parlementaires hésitent à être présents lors de certains votes cruciaux (écartelés entre le désir de leurs électeurs et les consignes de leur parti, sans évoquer, bien sûr, leur propre conscience). Comme pour la ratification du Traité de Lisbonne, où de nombreux parlementaires socialistes ont joué à cache-cache.
René Coty adopte alors sa devise présidentielle : « En avant avec le sourire ».
Quelques jours après son investiture du 16 janvier 1954, René Coty ouvrit devant le gouvernement de Joseph Laniel (confirmé par un vote de confiance) son premier Conseil des Ministres par ces mots : « J’espère que mon septennat sera heureux et qu’il n’y aura pas beaucoup de gouvernements. ».
Dans le prochain article, on verra comment cet homme élu par hasard doit se débrouiller avec une situation politique désastreuse.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 mai 2008)
Pour aller plus loin :
‘De Gaulle, La Vie, La Légende’ de Philippe Ratte, éd. Larousse (novembre 2000).
La conférence de presse du Général De Gaulle du 19 mai 1958.
La Constitution de la Ve République (4 octobre 1958).
Liste des articles du sujet :
Premier article : un brave homme élu par hasard.
Deuxième article : la crise de mai 1958.
Troisième article : le coup de force de René Coty.
NB : j’ai évoqué dans ce texte le ‘Sénat’ pour une simplification du langage et une meilleure compréhension, mais il va sans dire que l’appellation exacte de la seconde chambre entre 1946 et 1958 est le ‘Conseil de la République’.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=40435
http://www.lepost.fr/article/2008/06/05/1203368_le-veritable-coup-d-etat-de-mai-1-3-un-brave-homme-elu-par-hasard.html