Un article à lire absolument sur le Journal d'un Avocat (maître Eolas) même si je ne partage pas ses positions sur le sujet :
http://www.maitre-eolas.fr/2008/05/30/969-n-y-a-t-il-que-les-vierges-qui-puissent-se-marier
Le texte du jugement du 1er avril 2008 du Tribunal de Grande Instance de Lille :
Prétentions des parties : - Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 31 octobre 2007, X... sollicite : l' annulation du mariage sur le fondement de l'article 180 du code civil, que chacune des parties supporte ses propres dépens. Il indique qu'alors qu'il avait contracté mariage avec Y... après que cette dernière lui a été présentée comme célibataire et chaste, il a découvert qu'il n'en était rien la nuit même des noces. Y... lui aurait alors avoué une liaison antérieure et aurait quitté le domicile conjugal. Estimant dans ces conditions que la vie matrimoniale a commencé par un mensonge, lequel est contraire à la confiance réciproque entre époux pourtant essentielle dans le cadre de l'union conjugale, il demande l' annulation du mariage.
Selon ses dernières écritures signifiées le 4 septembre 2007, Y... demande au tribunal de : lui donner acte de son acquiescement à la demande de nullité formée par X..., dire que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens, ordonner l'exécution provisoire du jugement.
La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 8 janvier 2008. Après avoir reçu communication de l'affaire, le Ministère public a visé la procédure le 26 octobre 2007 et a déclaré s'en rapporter à justice.
Sur ce :
- Attendu qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article 180 du code civil, s'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage ; que, par ailleurs, l'article 181 - dans sa rédaction issue de la loi du 4 avril 2006 applicable à la cause - précise qu'une telle demande n'est plus recevable à l'issue d'un délai de cinq ans à compter du mariage ou depuis que l'époux a acquis sa pleine liberté ou que l'erreur a été par lui reconnue ;
- Attendu qu'il convient en premier lieu de constater qu'en l'occurrence, l'assignation a été délivrée avant l'expiration d'un délai de cinq années suivant la célébration du mariage et la découverte de l'erreur ; que l'action en annulation du mariage s'avère dès lors recevable ;
- Attendu qu'en second lieu il importe de rappeler que l'erreur sur les qualités essentielles du conjoint suppose non seulement de démontrer que le demandeur a conclu le mariage sous l'empire d'une erreur objective, mais également qu'une telle erreur était déterminante de son consentement ;
Attendu qu'en l'occurrence, Y... acquiesçant à la demande de nullité fondée sur un mensonge relatif à sa virginité, il s'en déduit que cette qualité avait bien été perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement de X... au mariage projeté ; que dans ces conditions, il convient de faire droit à la demande de nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint ;
Sur les dépens : - Attendu que conformément à l'accord des parties, chacune conservera à sa charge les dépens qu'elle a exposés dans le cadre de la présente instance ;
Sur la demande d'exécution provisoire : - Attendu que les parties s'accordant pour voir prononcer l' annulation de leur mariage, l'exécution provisoire du jugement sera ordonnée ainsi que l'a requis Y... ;
Par ces motifs, le tribunal, statuant en audience publique, contradictoirement et en premier ressort, après communication de l'affaire au ministère public, prononce l' annulation du mariage célébré le 8 juillet 2006 à [...] (acte n° 50) entre X... et Y..., ordonne la transcription du présent jugement en marge de l'acte de naissance des parties et de l'acte de mariage [...].
Source :
http://www.maitre-eolas.fr/tgi-lille-1er-avril-2008
Un autre article qui parle du même sujet :
Essentiel, mais pour qui ?
L’annulation d’un mariage par le Tribunal de Grande Instance de Lille a déjà fait couler beaucoup d’encre – y compris ici-même.
Les indignations, les justifications, l’évocation des conséquences induites (l’augmentation de certaines pratiques chirurgicales…) ont déjà été largement publiées et commentées.
Ceux qui dénoncent ce jugement s’indignent souvent d’une annulation pour défaut de virginité.
Au contraire, ceux qui défendent cette décision mettent en avant le mensonge. Ce serait pour eux la tromperie qui est condamnée et non l’absence de virginité : comment construire un couple sur une base de défiance ?
L’annulation du mariage ayant été prononcée parce qu’une qualité essentielle avait été cachée, une question essentielle me semble largement passée sous silence : qu’est-ce qu’une « qualité essentielle » ? Et, surtout, pour qui ladite qualité doit-elle être considérée comme essentielle ?
Cet article se concentrera sur cette interrogation qui me semble fondamentale. En effet, puisque la tromperie (non contestée) seule n’est pas suffisante pour annuler un mariage, c’est l’objet de la tromperie qui est déterminant. Juger du caractère de « qualité essentielle » de l’objet de la tromperie devrait donc être au centre du débat.
Trois interprétations me semblent envisageables.
1) Le juge déciderait de ce qui constitue ou non une « qualité essentielle » en droit français – indépendamment des convictions ou croyances des intéressés. La « qualité essentielle » le serait alors pour la société – ou à tout le moins la justice – française.
Dans ce cas, la décision du tribunal signifierait bien que la justice française considère la virginité comme une qualité essentielle de la femme.
On ne pourrait donc plus alors défendre le jugement du tribunal en ne considérant que la condamnation du mensonge : il y aurait bien décision de justice sur le caractère essentiel de la virginité. Les indignations exprimées quant à la sacralisation de cette virginité ne se tromperaient donc pas d’objet.
2) Le caractère « essentiel » serait à apprécier non par le juge, mais par les intéressés. C’est semble-t-il ce qui a été retenu par le tribunal lorsqu’il affirme que « sa virginité (..) avait bien été perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement de son époux » (cf. Le Figaro).
Le problème de la décision du tribunal ne porterait effectivement plus alors sur la place de la virginité dans la société - mais les conséquences de cette décision n’en seraient pas moindres. En effet, en suivant cette interprétation, si des époux considéraient une quelconque qualité comme essentielle, le juge serait – selon cette interprétation – tenu de la tenir également comme telle. Cela signifierait que tout et n’importe quoi pourrait être prétexte à annulation de mariage : il suffirait au demandeur d’affirmer que la moindre peccadille est « essentielle » pour lui.
En particulier, le respect scrupuleux de tous les préceptes religieux ou de toutes les coutumes communautaires pourraient être évoquées comme « qualité essentielle » par des époux. Si c’est uniquement sur le ressenti de l’intéressé qu’il fallait se fonder, cela induirait l’obligation de pratique religieuse sous peine d’annulation de mariage : « mon époux/épouse a déjà mangé du porc/de la viande le vendredi alors que cette pratique religieuse est essentielle pour moi, je demande l’annulation du mariage » !
Il y aurait là un risque important de faire entrer les règles religieuses ou communautaires dans le droit français. Et d’instaurer une justice communautaire (les règles appliquées étant différentes en fonction de la communauté/religion d’origine du justiciable).
3) le tribunal aurait à prendre en compte la sensibilité (religieuse, coutumière…) des intéressés, mais, entrant dans le système de valeur des intéressés, il devrait également lui-même évaluer le degré d’importance pour le demandeur. Le caractère « essentielle » ne serait alors défini ni selon la sensibilité seule du tribunal ni selon la seule déclaration du demandeur. Mais le tribunal aurait à décider si, compte tenu des croyances du demandeur, telle qualité est bien « essentielles » selon les convictions de ce dernier. La décision serait alors prise en fonction du jugement qu’aurait le tribunal des croyances du demandeur.
En particulier, si le demandeur estime qu’il s’agit d’une « qualité essentielle » selon sa religion, le tribunal serait-il alors habilité à décider si tel ou tel acte est ou n’est pas réellement essentiel selon cette croyance ? Cela serait demander au juge de trancher si une pratique est essentielle ou non en religion. On aurait alors le risque inverse du précédent : ce serait l’Etat « laïc » qui s’immiscerait dans la sphère religieuse – le juge décrétant que tel « commandement divin » est « essentiel » ou non pour une religion donnée.
En conclusion, la décision du Tribunal de Grande Instance de Lille me semble bien être lourd de conséquences quelle que soit la manière dont on veut comprendre la « qualité essentielle ». Si ce n’est la place de la virginité, c’est la relation entre l’Etat et les religions qui s’en trouve atteinte.
(de Oudeis)