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19 mars 2008 3 19 /03 /mars /2008 18:24


Affaire de l’esthésioneuroblastome : faut-il légiférer sur l’euthanasie ?


Docteur, faites-moi une piqûre que j’en finisse ! Quel médecin n’a jamais entendu cette phrase chez un malade en phase terminale d’une longue et douloureuse maladie ? Chantal Sébire, une patiente atteinte d’une tumeur faciale rarissime, demande judiciairement une dérogation afin de bénéficier d’une euthanasie. Examinons les faits :

Chantal Sébire, patiente de 52 ans, ancienne enseignante et mère de trois enfants est atteinte depuis plusieurs années d’un esthésioneuroblastome, rarissime tumeur développée aux dépens du nerf olfactif, ayant pour conséquence un envahissement des sinus et de la face. Actuellement, elle est atteinte d’une déformation monstrueuse et épouvantable de la face, qui a pu être vue par tous aux actualités télévisées, déformation compliquée de cécité complète, d’anosmie et de douleurs intenses et permanentes. Cette maladie est incurable selon les données actuelles de la médecine, et va entraîner avec certitude une mort douloureuse dans un délai plus ou moins bref.

Mercredi, l’avocat de Chantal Sebire a annoncé avoir déposé une demande d’euthanasie de la part de sa cliente. La justice rendra sa décision lundi sur cette requête. Sur France 3, Chantal Sebire a expliqué qu’elle n’était pas un cas isolé et souhaite un référendum sur la question en déclarant : "Faisons un référendum, et demandons au peuple ce qu’il en pense". "Je n’ai absolument pas l’impression que les politiques se moquent de moi, seulement si eux ne veulent pas avancer, la France ne peut avancer", a-t-elle insisté.

Le chef de l’Etat, "très touché" par la lettre que lui a adressée Mme Sebire, a demandé à son conseiller sur les questions de recherche et de santé, le Pr Arnold Munnich, d’entrer en contact avec elle, selon le porte-parole de l’Elysée, David Martinon. "Il lui a proposé qu’un nouvel avis soit donné sur son cas par un collège de professeurs d’université du plus haut niveau". Cette réunion, destinée à "prouver que toutes les ressources de la médecine sont épuisées", "aura lieu dans quelques jours si Mme Sebire accepte le principe". Le porte-parole de l’Elysée a rappelé "le cadre juridique fixé par la loi Leonetti du 22 avril 2005 sur les droits des malades et la fin de vie", selon laquelle "l’intervention des médecins ne saurait en aucun cas mettre fin à la vie du patient". "Pour le moment nous restons dans le cadre de cette loi Leonetti", a-t-il souligné, parlant d’un "bon équilibre".

La garde des Sceaux (ministre de la Justice), Rachida Dati, a fait part de son opposition à cette demande d’euthanasie. "Cette dame demande à la justice de pouvoir exonérer de la responsabilité pénale le médecin pour lui administrer une substance létale, qui l’aidera à mourir. Ce n’est pas notre droit", a-t-elle expliqué sur France-Inter. "Nous avons fondé notre droit, et aussi bien la Convention européenne des droits de l’homme, sur le droit à la vie."

En l’absence de législation autorisant l’administration de substances létales (penthotal), à l’instar de la législation helvétique, que peut faire le médecin traitant d’une telle malade ? On avait vu il y a quelques mois un reportage télévisé concernant un patient suisse incurable, entouré de sa famille proche, auquel une équipe venait apporter un cocktail létal, et ce reportage montrait la procédure du début à la fin. C’est le patient lui-même qui absorbait le fatal breuvage, l’équipe médicale se contentant de le fournir et d’en donner le mode d’emploi, en restant sur place jusqu’au décès. En tant que médecin, je dois avouer que cette émission m’avait provoqué un certain malaise. Néanmoins, ayant été confronté à ce genre de situations, il faut dire que le problème n’est pas si insoluble que cela.

Tout d’abord, il faut analyser la demande du patient. Un patient qui demande à mourir est, la plupart du temps, en fait, en demande de soins palliatifs efficaces. Ce qu’il demande en réalité, c’est de ne pas avoir mal, de ne pas être angoissé, et qu’on s’occupe bien de lui, dans le respect de sa dignité.

Or, bien rares sont les cas ou des soins palliatifs efficaces sont impossibles. En effet, bien utilisée, à doses suffisantes et parfois très importantes, et en administrant simultanément un traitement préventif de ses effets secondaires, la morphine peut contrôler la plupart des douleurs cancéreuses. Lorsqu’elle est mal tolérée ou impossible à prendre par voie orale, la morphine peut être avantageusement remplacée par des patchs d’un puissant dérivé morphinique, le fentanyl (patchs de "durogésic"). Ces patchs réalisent l’équivalent d’une perfusion continue de morphine. Ces traitements contrôlent quasiment toutes les douleurs cancéreuses à l’exception des douleurs neuropathiques ou de désafférentation qui surviennent lorsque la maladie envahit des nerfs. Dans ces cas, il existe d’autres traitements (certains antidépresseurs tricycliques, certains antiépileptiques ou apparentés, certains appareils de stimulation électriques, certaines procédures neurochirurgicales). Dans le cas de Chantal Sébire, bien que je ne connaisse pas le dossier, il est probable que l’inefficacité de la morphine résulte d’un envahissement tumoral des nerfs crâniens (situés dans cette zone), réalisant un "syndrome de Garcin". Auquel cas, les ressources thérapeutiques non morphiniques précédemment mentionnées peuvent souvent être efficaces.

Néanmoins, certains patients peuvent légitimement dire (et cette légitimité est manifeste dans le cas de Chantal Sébire), que leur vie ne vaut plus d’être vécue. On est en droit de refuser d’accepter de se retrouver aveugle, atrocement défiguré, et promis à une mort certaine dans d’horribles souffrances dues à l’inefficacité de traitements pourtant bien conduits. Néanmoins, est-on pour autant en droit de demander au médecin, dont ce n’est pas le métier, et dont c’est contraire à la déontologie, de vous administrer la potion fatale ? Il faut rappeler qu’en droit français, le suicide n’est ni un crime ni un délit. Par contre, administrer une substance mortelle à un patient est considéré comme un homicide, et regarder un patient prendre une substance mortelle peut être considéré comme "non-assistance à personne en danger". En conséquence de quoi, l’argument "on fait bien une piqûre aux animaux, pourquoi pas à moi", n’est pas recevable. Pourquoi finalement demander au médecin ce qu’on peut parfaitement faire soi-même ? Cette demande de transfert de responsabilité n’est-elle pas un peu abusive de la part du patient ?

Quand certains patients demandent une injection fatale pour une maladie fatale, il faut d’abord faire sortir l’entourage familial de la pièce afin de respecter le colloque singulier entre le médecin et son malade, lui expliquer que c’est impossible, lui expliquer qu’on fera tout pour qu’il ne souffre pas et que, si malgré tout il veut en finir, rien ne l’empêche de mettre d’un coup tous ses patchs de durogésic ou de prendre tous ses comprimés de morphine du mois simultanément, en y ajoutant sa boîte de somnifères d’un seul coup, ce qui procure une mort rapide, certaine et indolore, analogue à celle de la potion suisse. Jusqu’ici, aucun patient auquel j’ai indiqué cette façon de procéder ne l’a jamais utilisée, comme si, en fait, ils avaient plus peur de ne pas savoir comment faire pour se suicider, que de l’évolution de leur maladie.

Prenons maintenant le cas des malades en fin de vie hors d’état d’exprimer leur consentement, mais qui semblent souffrir fortement. C’est le cas par exemple de malades au dernier stade de l’Alzheimer, couverts d’escarres dont les pansements sont douloureux. Là aussi, le colloque avec la famille proche est de première importance. On avertit l’entourage que l’augmentation des doses de durogésic, nécessaire pour combattre la douleur, comporte un certain risque d’arrêt respiratoire ou de mourir quelques semaines plus tôt que l’évolution fatale inéluctable, et on leur demande s’ils acceptent néanmoins ce risque inhérent aux augmentations de posologie (ce risque est pratiquement toujours accepté par les familles). Ceci est parfaitement conforme aux textes législatifs en vigueur, le décès qui peut survenir parfois rapidement dans ces cas ne saurait être assimilé à une injection létale.

Reste le cas épineux, heureusement exceptionnel, des malades ayant perdu toute motricité, et donc toute faculté de mettre eux-mêmes fin à leurs jours. La loi Léonetti prévoit qu’ils sont parfaitement en droit d’exiger de faire débrancher tous appareillages les maintenant en survie, ce qui suffit dans la plupart des cas.

Enfin, je me rappelle une anecdote que m’avait racontée il y a une trentaine d’années un vieux confrère, alors que je commençais mes études médicales. Un jour, il avait été appelé pour signer le constat de décès d’un enfant d’une dizaine d’années, enfant monstrueusement malformé qui avait vécu toute sa vie une vie végétative. Les parents étaient effondrés, en larmes. Mon confrère vit des marques rouges autour du cou, témoignant d’une strangulation, néanmoins, il signa le certificat de mort naturelle en feignant de n’avoir rien vu. "Tu comprends", me déclara-t-il ,"il y a des cas où la justice ne sert à rien". "La vie de ces parents depuis la naissance de cet enfant était déjà une punition, à quoi bon tenter d’en faire rajouter une autre par la justice en faisant un certificat de mort suspecte ?". Pour moi, ce confrère était dans le vrai, l’humanité consiste parfois à savoir opportunément fermer les yeux...

Au vu de cette anecdote, les personnes, en particulier celles privées de motricité, souhaitant une assistance pour leur suicide n’ont en fait aucun intérêt à médiatiser leur demande. En effet, le médecin appelé pour signer le constat de décès d’un patient en fin de vie après un suicide "assisté par la famille ou un ami" aura toutes les chances de conclure à une mort naturelle, et n’ira pas prescrire une autopsie pour recherche de toxiques. En cas de médiatisation, un procureur sourcilleux peut se mêler de l’affaire et provoquer d’absurdes poursuites judiciaires...

En conclusion, l’arsenal législatif existant ne me semble pas devoir être modifié, car cela constituerait un risque de bouleverser un système de valeurs, certes imparfait, mais qui fonde notre société. L’intelligence des médecins, du malade et de son entourage suffit pratiquement toujours...

(par Docdory)

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