Deux articles du Figaro du 4 juin 2008 intéressant à propos d'Obama.
Barack Obama sera le candidat démocrate
O.W. (lefigaro.fr) avec AP
04/06/2008 | Mise à jour : 16:04 | Commentaires 52
Après les dernières primaires Barack Obama a assez de délégués pour revendiquer l'investiture. Mais Hillary Clinton ne reconnaît toujours pas sa défaite.
Barack Obama est devenu mardi le premier Noir à avoir une chance de gagner la Maison Blanche. Le sénateur de l'Illinois a en effet décroché mathématiquement l'investiture démocrate pour la présidentielle de novembre aux Etats-Unis. Mais Hillary Clinton, donnée gagnante dans le Dakota du Sud selon les résultats partiels quand son rival emportait le Montana, refusait toujours de s'avouer vaincue, indiquant qu'elle ne prendrait «pas de décision» ce soir.
«Ce soir, je peux me tenir là et dire que je serai le candidat démocrate pour l'élection présidentielle américaine», a lancé Barack Obama à des milliers de supporters en délire réunis dans un stade à St Paul, Minnesota, en conclusion d'une longue campagne restée longtemps incertaine.
«Amérique, c'est notre heure», a poursuivi celui qui devient le premier candidat noir à représenter son parti à l'élection présidentielle. «Notre heure est venue. Notre tour de tourner la page des politiques du passé».
Dans la journée de mardi, Barack Obama avait vu affluer vers lui de nouveaux soutiens. Il avait ainsi glané 11,5 voix de «superdélégués» (certains ne disposent que d'une demi-voix)dont celle de l'influent représentant de Caroline du Sud James Clyburn, le numéro trois des démocrates au Congrès.
Barack Obama disposerait donc de 2 151 délégués (superdélégués inclus), largement plus que les 2 118 nécessaires pour décrocher l'investiture, contre 1 915,5 pour Hillary Clinton, selon un décompte de l'Associated Press après dépouillement partiel des bulletins mardi. Le sénateur de l'Illinois a remporté au moins 15 délégués dans le Dakota du Sud et le Montana, tandis que sa rivale s'en voyait attribuer au moins 13. Il restait trois autres délégués du Montana à départager entre les deux candidats.
L'essentiel du discours d'Obama été consacré à une attaque contre son adversaire républicain John McCain qu'il a accusé de vouloir poursuivre la politique de George W. Bush. «Il est temps de tourner la page des politiques du passé», a-t-il dit. Quelques heures plus tard, le président Bush a félicité le sénateur d'être devenu le premier noir d'un grand parti candidat à la Maison-Blanche, estimant que cela démontrait que les Etats-Unis "avaient beaucoup évolué".
«Commençons à travailler ensemble», a lancé Barack Obama à la foule rassemblée autour de lui mardi. «Unissons-nous dans un effort commun pour dessiner une nouvelle route pour l'Amérique». Rendant un hommage appuyé à Hillary Clinton, il a assuré que le parti démocrate serait uni en novembre. «La sénatrice Clinton a fait l'histoire dans cette campagne (...) Notre parti et notre pays sont meilleurs grâce à elle, et je suis un meilleur candidat pour avoir eu l'honneur de faire campagne contre Hillary Rodham Clinton», a-t-il dit sous les applaudissements.
Les spéculations allaient d'ailleurs bon train mardi sur un possible «ticket présidentiel» entre les deux rivaux, d'autant qu'Hillary Clinton s'était dite prête dans la soirée à se présenter à la vice-présidence. Les collaborateurs de Barack Obama restaient néanmoins vagues. «Il est évident que c'est une personne incroyable. Nous le savions déjà», a remarqué David Axelrod, responsable de la stratégie dans l'équipe de campagne du sénateur de l'Illinois. Mais «il est beaucoup trop tôt pour parler de ça».
En meeting à New York, l'ancienne First Lady se refusait toujours à admettre sa défaite. «La campagne a été longue, et je ne prendrai aucune décision ce soir», a-t-elle déclaré à ses supporters, avant de préciser qu'elle passerait les prochains jours à déterminer «comment avancer en se basant sur l'intérêt de notre pays et de notre parti». Mais «je suis déterminée à unir notre parti pour que nous puissions avancer plus fermement et je suis plus prête que jamais à décrocher la Maison Blanche en novembre», a-t-elle ajouté.
Un peu plus tôt mardi, Hillary Clinton avait dit à des parlementaires new-yorkais qu'elle serait prête à devenir candidate à la vice-présidence aux côtés de Barack Obama, affirmant qu'elle était «ouverte à cela» si cela aidait les démocrates à conquérir la Maison Blanche.
Obama, l'homme pressé qui a détrôné Hillary
Philippe Gélie, correspondant à Washington
04/06/2008 | Mise à jour : 07:52 | Commentaires 7
Le jeune sénateur de l'Illinois, apparu il y a à peine trois ans sur la scène nationale, a construit sa victoire comme un savant exercice de stratégie.
Il y avait quelque chose d'un peu raide dans la posture de Barack Obama, en ce matin froid de février 2007, lorsqu'il s'est lancé à la conquête de la Maison-Blanche depuis les marches du capitole de Springfield (Illinois), dans le sillage d'Abraham Lincoln. Que cachaient ce visage grave, ce regard posé sur la ligne d'horizon, cet enthousiasme sautillant, ce discours inspiré dit avec des accents de technocrate ?
Phénomène politique apparu à peine trois ans plus tôt sur la scène nationale américaine, Obama ne faisait pas figure de favori face à l'armada du couple Clinton, puissances tutélaires du Parti démocrate depuis près de vingt ans. La sénatrice de New York partait avec un avantage sur tous les plans : les réseaux, l'argent, l'expérience, la notoriété. Son collègue de l'Illinois avait pour lui des atouts plus fragiles : le charme, la nouveauté, la jeunesse et un air de changement. Seize mois plus tard, alors qu'il terrasse Hillary Clinton au terme de primaires homériques, on s'aperçoit que ces attributs n'ont été que les accessoires de sa victoire, construite comme un savant exercice de stratégie.
La raideur d'Obama sur les marches de Springfield n'était pas défensive, sa prudence dans les débats n'était pas due à un manque d'agilité. C'est plutôt le symptôme d'une ambition inflexible, qui a pu le faire passer pour élitiste, mais lui a permis de traverser les tempêtes sans se renier.
Le sénateur de 46 ans ne s'est pas laissé ballotter au gré des circonstances, il n'a pas plié l'échine sous les attaques aux relents parfois racistes. Il a scrupuleusement respecté un plan de campagne mis au point à l'avance, combinant son message de changement avec une stratégie de terrain qui ne laisse rien au hasard.
En dévoilant ses faiblesses, l'épreuve des primaires a aussi révélé ses forces. «Il a démontré le talent le plus mystérieux et le plus précieux en politique, souligne David Ignatius du New York Times : la grâce sous la pression.»
La victoire de ce challenger doit beaucoup au sang-froid et à la cohésion d'une équipe pourtant jeune et d'expérience inégale. Le principal auteur des discours du candidat n'a que 26 ans. Deux fois plus âgé, son conseiller stratégique, David Axelrod, affiche un palmarès électoral envié. Avec tous, le patron fait preuve d'une qualité d'écoute et d'une équanimité qui impressionnent. «Je ne l'ai entendu hausser le ton que deux fois en quatre ans», raconte à Newsweek l'un de ses compagnons de route.
Le calme et la maîtrise de soi seraient sa façon de rester concentré sur l'objectif. Il avait mis les choses au point dès le départ : «On ne joue pas des coudes et l'on ne distribue pas les blâmes. Nous nous élèverons ou nous chuterons ensemble.» Dans l'avion de campagne, son état-major porte souvent des Tee-shirts «Stop the drama, Vote Obama».
Le candidat a su échapper à l'étiquette de «girouette» qui avait coulé John Kerry en 2004. Quand il a promis de dialoguer directement avec les ennemis de l'Amérique, notamment le régime iranien, les analystes ont crié à l'inexpérience, et Clinton a pris le contre-pied. Pourtant, il ne s'est pas dédit, se contentant d'assurer qu'il y mettrait les formes pour préserver le prestige de la nation.
Lorsque les tirades enflammées de son pasteur Jeremiah Wright ont réveillé les vieux clivages raciaux, il ne s'est pas précipité pour couper les ponts, s'efforçant d'abord d'élever le débat, avant d'entériner la rupture «avec douleur».
Quand Clinton a proposé de dispenser temporairement les Américains de taxes sur l'essence, il n'a pas cédé au populisme d'une mesure considérée par les économistes comme de la poudre aux yeux.
Et quand son patriotisme a été mis en doute, Obama n'a pas accroché illico un pin's de la bannière étoilée à sa boutonnière pour apaiser la vox populi, même si l'insigne y a fait depuis quelques apparitions.
Ainsi, en dépit des accès de fièvre médiatique, l'opinion américaine n'a pratiquement pas varié à son sujet. Beaucoup a été dit sur sa base électorale composée de jeunes, d'Afro-Américains et de «cols blancs» (les couches supérieures de la classe moyenne). Presque par définition, elle ne pourrait s'élargir aux «cols bleus» de l'Amérique ouvrière blanche ralliée à Hillary Clinton ni aux «démocrates reaganiens» qui votent tantôt à gauche sur l'économie, tantôt à droite sur les valeurs. Mais le paradoxe Obama résiste aux anciennes catégories. Classé comme le sénateur le plus «libéral» (à gauche) en 2007, cela ne l'empêche pas de séduire largement les indépendants, réputés au centre de l'échiquier politique.
Début mai dans l'Indiana, il a glané 40 % du vote blanc : Clinton n'y devrait sa courte victoire qu'à une campagne républicaine en sa faveur, orchestrée par des commentateurs qui voyaient en elle un adversaire plus facile à battre par John McCain.
Pour le magazine Time, la recette du succès de Barack Obama tient à sa faculté «de représenter des choses différentes pour des gens différents» : un réformateur coopté par l'establishment, un Afro-Américain financé par des libéraux blancs, un membre de l'élite qui s'est pourtant fait tout seul.
À l'heure de l'affrontement final contre McCain, beaucoup d'Américains ne vont pas manquer de s'interroger : qui est vraiment le premier Noir jamais choisi par un grand parti pour le représenter dans la course à la Maison-Blanche ? Vient-il du Kenya, où se trouvent ses racines paternelles ? D'Hawaï, où il est né et où il a grandi ? Du Kansas, berceau de sa famille maternelle blanche ? De Harvard, où il fut le premier président de couleur de la prestigieuse Law Review ? Ses conseillers exaltent «un homme global à l'heure de la globalisation», capable, par la seule vertu de son histoire personnelle atypique, de réconcilier l'Amérique avec le reste du monde.
Mais la réponse politique est sans doute plus simple : le candidat Obama arrive tout droit de Chicago. C'est là qu'il a appris à mettre sur pied une base militante, à s'appuyer sur les intérêts particuliers de ceux qu'il courtise, à conjuguer le travail de terrain avec le parrainage des puissants, à diffuser un message d'espoir tout en rendant coup pour coup. Chicago, connue pour ses mœurs politiques brutales, constitue le creuset où le jeune homme qui se faisait appeler Barry a trouvé son identité.
Il y a débuté modestement dans les années 1980, comme «organisateur communautaire» dans des quartiers déshérités, mais déjà mu par de hautes ambitions politiques. Il y a rencontré sa femme, Michelle, qui contrairement à lui a vécu l'expérience sociale des Noirs dans les ghettos urbains d'Amérique. Il y a choisi une église et un mentor, le révérend Wright, qui lui a certes causé des soucis durant les primaires, mais lui a donné un «enracinement».
Le jeune homme pressé est ainsi devenu une sorte de reflet de Bill Clinton. À l'instar du sudiste blanc adopté par les Noirs déshérités, le métis de l'Illinois est reconnu comme l'un des leurs par les Blancs les plus aisés. Comme le «petit gars de Hope», il prêche le changement contre l'expérience. Comme lui, il promet de transformer la politique à Washington.
L'ironie veut que la victime du stratagème soit l'épouse de l'ancien président. Cette «tête politique» clairvoyante s'est laissé leurrer comme un papillon devant une lampe : pendant qu'elle dénigrait le discours scintillant d'Obama, elle ne voyait pas l'armée des volontaires se soulever à travers le pays. Le jeune sénateur ne l'a pas battue à la télévision ni dans de grands meetings : il l'a écrasée sur le terrain, en levant plus d'argent qu'elle auprès d'un million et demi de sympathisants et en remportant la majorité des caucus, ces comités électoraux qui donnent la prime à l'organisation.
Barack Obama n'est pas un candidat sans défauts. «Renégat», le nom de code que lui ont choisi ses gardes du corps du Secret Service, en dit long sur le travail de reconnaissance qu'il lui reste à accomplir auprès de la nation. Il compte peu de réalisations concrètes à son actif, aucune loi au Sénat ne porte son nom.
À sa promesse d'un changement radical répond un parcours prudent et calculé, jalonné de compromis avec ses adversaires. Son programme est plutôt centriste, sauf sur l'engagement de rapatrier les troupes d'Irak en seize mois. La révolution politique qu'il annonce, c'est d'abord une réconciliation entre démocrates et républicains modérés, au nom du pragmatisme. Le candidat métis se voit comme un catalyseur : son élection suffirait à faire basculer le pays dans une ère nouvelle, au-delà des clivages sociaux et raciaux actuels ; sa génération rénoverait le système politique ; son visage changerait la perception de l'Amérique à l'étranger.
Mais la conquête de la Maison-Blanche reste un immense défi. S'il parvient à surmonter une méfiance parfois nourrie de racisme, l'élection du 4 novembre devrait se résumer à un choix entre le candidat de l'avenir et celui du passé. S'il reste prisonnier des divisions du pays, il risque d'être battu par plus rassembleur que lui.
» Le parcours de Barack Obama en images sur www.lefigaro.fr/USA2008
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