Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 juillet 2008 4 31 /07 /juillet /2008 09:18

Le verbe ‘aimer’ à l’impératif pourrait paraître très étrange, mais il se conjugue ainsi dans bien des villages de France.


La route des vacances, le chaud soleil d’été, la fatigue nerveuse de la conduite… voici des marronniers bien chauds pour la saison à défaut des marrons chauds de l’hiver…

Puisque la route et la sécurité routière sont d’actualité (récurrente donc), surtout dans l’interface entre juillettistes et aoûtiens, voici un petit coup de gueule contre un panneau qui, pourtant, se veut salutaire et consensuel.


Rouler versus habiter

Alors qu’il y a de nombreuses décennies, les routes se faisaient un devoir de traverser le plus de villages possible afin d’interconnecter tous les villageois, le mouvement s’est inversé depuis une vingtaine d’années.

Chaque année, des nouveaux tronçons de contournements sont réalisés afin, d’une part, de fluidifier la circulation sur les routes, et d’autre part, la plus importante, de renforcer la sécurité des habitants.

En effet, de nombreux villages sont encore traversés par de brutales routes nationales, simples lieux de dense passage, où les vitesses sont parfois excessives.

Le panneau de limitation de vitesse à 50 km/h et le panneau d’entrée dans une agglomération devraient suffire à faire ralentir les automobilistes.

Depuis le temps que la sécurité routière communique, il devient de plus en plus inutile d’argumenter sur cette nécessité. Et si l’argumentation ne convient pas, la maréchaussée est là pour réveiller l’esprit civique à grand renfort de belles technologies.

Pourtant, depuis de nombreuses années, certains villages ont adopté un panneau à leur entrée pour renforcer cette communication visant à faire ralentir les automobilistes.


Un panneau très étrange

C’est un panneau très fréquent, sans doute issu du même fournisseur (dont j’ignore le nom mais qui semble protégé par la propriété intellectuelle), qui contient trois couleurs : une partie verte et une partie blanche, avec quelques traits bleus.

Le motif d’arrière-plan est barré en diagonale (bas gauche vers haut droit), séparant un fond vert d’un fond blanc.

Le blanc symbolise la route vue en perspective. Une voiture stylisée (sans conducteur ?) arrive de la droite et devant elle, courant de gauche à droite, un garçon d’une dizaine d’année s’approche d’un ballon au milieu de la chaussée.

L’enfant est vêtu plutôt chaudement pour faire du sport (pull-over, pantalon long) et bien sûr, il ne voit pas le véhicule arriver vers lui.

C’est vrai que beaucoup d’automobilistes ont oublié leurs capacités de perception lorsqu’ils étaient eux-mêmes enfants : d’une part, un enfant est plus petit qu’un adulte, sa vue s’en trouve donc handicapée par le fait qu’il manque de recul dans une situation donnée ; d’autre part, il a beaucoup de mal à apprécier les distances, et encore plus les vitesses.

Sur le panneau, dans la partie blanche, en lettres vertes, est écrit sur trois lignes : « Roulez doucement Merci ».

Dans la partie verte, en lettres blanches, est inscrite une sorte de slogan consensuel : « Aimez nos enfants ».


L’amour comme argument ultime

L’objectif du panneau est évidemment de faire ralentir voire de faire freiner les véhicules. Sans doute en y provoquant un peu de mauvaise conscience par ce message subliminal inversé : ‘si vous ne roulez pas doucement, vous n’aimez pas les enfants’.

Je dis ‘les enfants’ car ‘leurs enfants’, les automobilistes de passage, ils ne les connaissent pas.

Et c’est là que la communication se fait pantelante.

Doit-on intimer l’ordre d’aimer ? Et plus encore, aimer des personnes qu’on ne connaît même pas ?

Il existe par exemple des personnes qui, loin de détester ou de haïr les enfants, croient qu’elles n’aiment pas les enfants (souvent, parce qu’elles sont mal à l’aise avec des enfants).

Voilà donc un panneau qui demande, en une seconde, d’aimer des enfants, chose que parfois des parents, après de longues années et de la bonne volonté, peuvent avoir du mal à atteindre !

S’il y a bien une action qu’on ne peut pas imposer, même dans les régimes totalitaires, c’est bien celle d’aimer ou de ne pas aimer. Cela ne se commande pas, cela se vit, cela se sent, cela se ressent.


Charité chrétienne

« Aimez nos enfants », c’est aussi une vieille réminiscence du sain slogan (et saint slogan) chrétien avec cette variante plus connue : « Aimez-vous les uns les autres ! » ou encore : « Aime ton prochain comme toi-même ! ».

Un programme, ma foi, fort sympathique mais qui risque de ne pas convaincre les sceptiques et les incroyants.

C’est une communication typiquement basée sur l’émotion alors que la raison devrait envahir le complet champ de vision de la conduite automobile, trop sujette aux soubresauts des susceptibilités et des énervements.

En effet, je n’ai pas besoin d’aimer une personne pour tout faire pour éviter de la blesser ou de la tuer.

Il y a d’abord la loi (le code de la route et le code pénal), puis il y a la raison et l’intérêt (ne pas faire d’accident), puis évidemment certaines valeurs morales intangibles (ne pas tuer, ne pas porter corporellement atteinte à des personnes physiques), et c’est seulement après qu’il y a la barrière sentimentale et l’émotion, les tripes.

Par ailleurs, n’aimer que ‘leurs’ enfants, c’est aussi oublier les autres, les adultes, les autres piétons, les autres habitants du village, auxquels il faut aussi penser, qu’il ne faut pas plus renverser pour autant.


Les trois amours

Certes, le mot ‘aimer’ en français est l’un des mots les plus ambigus puisqu’il recouvre trois réalités très distinctes :

- l’amour philia (jilia) qui désigne l’aimer-bien sans connotation sexuelle et peut se rapporter aux personnes (pour l’amour d’amitié), aux choses, aux actions etc. (d’où la mauvaise construction du mot ‘pédophile’ qui devrait signifier ‘celui qui aime les enfants’ – ce que ces villages nous demandent justement ! – au lieu de la définition communément admise de ‘celui qui abuse sexuellement des enfants’).

- l’amour éros  (eroV) qui désigne l’amour sexuel ou sentimental, est à l’origine des jeux ‘érotiques’ et que la Bible a délaissé au contraire des auteurs grecs.

- enfin, l’amour agapè (agaph) qui englobe une notion un peu plus délicate, qu’on pourrait (mal) traduire par ‘charité’ et qui est une sorte d’amour comportemental, sans doute la meilleure signification de l’expression chrétienne « Dieu est amour » qu’explique notamment la première lettre encyclique du pape Benoît XVI (‘Deus Caritas Est’, Rome le 25 septembre 2005).

Et c’est sans doute dans ce dernier sens (agapè) qu’il faut comprendre cet impératif « Aimez nos enfants » qui, sinon, pourrait constituer le paradoxe que je dénonçais.


Tout doux dans tous les cas

En ce sens, ce panneau révèle, mais ce n’est pas un secret, l’origine chrétienne de la France et sa tradition bien ancrée de mettre en avant des valeurs morales et chrétiennes plutôt que des valeurs légales et rationnelles.

Est-ce plus efficace ? Je n’ai aucune réponse et n’ai trouvé aucune étude statistique sur ce sujet (effet de ces panneaux sur le nombre d’accidents).

Dans tous les cas, que vous acceptiez les termes de ces panneaux ou pas (on préférera d’ailleurs des panneaux plus neutres et moins équivoques, comme le panneau mis sous ce texte), en agglomération urbaine et en-dehors… roulez doucement !

Et pas seulement durant l’été.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (31 juillet 2008)


Pour aller plus loin :

Le panneau en question.

Un autre panneau moins ambigu.

Encyclique ‘Deus Caritas Est’ par Benoît XVI (25 septembre 2005).




http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=42805

http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080731/tot-aimez-vous-nos-enfants-89f340e.html





http://www.lepost.fr/article/2008/07/31/1234060_aimez-vous-nos-enfants.html



Partager cet article
Repost0

commentaires


 




Petites statistiques
à titre informatif uniquement.

Du 07 février 2007
au 07 février 2012.


3 476 articles publiés.

Pages vues : 836 623 (total).
Visiteurs uniques : 452 415 (total).

Journée record : 17 mai 2011
(15 372 pages vues).

Mois record : juin 2007
(89 964 pages vues).