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4 août 2008 1 04 /08 /août /2008 09:58

Prix Nobel de Littérature 1970, Soljenitsyne s’est éteint à 89 ans dans un monde très différent de celui qui l’avait fait connaître, celui de la guerre froide.


Une image restera dans les mémoires de l’histoire : la rencontre, le 12 juin 2007, entre Alexandre Soljenitsyne et Vladimir Poutine, encore Président de la Fédération de Russie. Poutine s’était rendu chez l’écrivain pour lui remettre le Prix d’État, une récompense exceptionnelle, et avait esquissé sur son visage l’expression d’un petit enfant très impressionné de se retrouver aux côtés d’un si grand écrivain.

Cette image est tout en contraste. Poutine, continuateur d’un État russe fort, continuateur de la puissance de l’Union Soviétique tant honnie, ou préservateur de la démocratie ?…


La disparition d’un monstre de la littérature internationale

Né le 11 décembre 1918, soit un mois après la fin de la Première Guerre Mondiale et une année après le début de la Révolution russe, Alexandre Soljenitsyne vient de disparaître à Moscou d’une insuffisance cardiaque aiguë le dimanche 3 août 2008 à 23 heures 45 (heure locale).

Gorbatchev, le dernier des dirigeants de l’Union Soviétique, a rendu hommage à l’écrivain : « Il a traversé des épreuves difficiles comme des millions de citoyens du pays. (…) Il fut l’un des premiers à parler à voix haute du caractère inhumain du régime stalinien et de ceux qui l’ont connu mais n’ont pas été brisés. ».


Prisonnier politique pour une simple lettre

Après des études de littérature et de mathématiques à Rostov, Soljenitsyne devint artilleur contre les Allemands en 1941 mais fut condamné dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale à huit ans de camps de travail pour avoir critiqué Staline et sa stratégie pendant la guerre. Soljenitsyne considérait que Staline était bien plus responsable que Hitler des millions de morts soviétiques pendant la guerre.

À sa sortie de prison, peu avant la mort de Staline, Soljenitsyne fut exilé définitivement au Kazakhstan. Il fut finalement ‘réhabilité’ (après avoir été considéré comme un traître) en 1957 (au moment de la déstalinisation) et eut l’autorisation de s’installer à Riazan (sud de Moscou) pour enseigner la physique.


Le début d’une belle carrière littéraire

Nikita Khrouchtchev lui permit de publier dans ‘Novi Mir’, une revue littéraire soviétique, en 1962, son premier ouvrage célèbre, ‘Une journée d’Ivan Denissovitch’.

Pour ses autres livres, ‘Le Premier Cercle’ et ‘Le Pavillon des Cancéreux’, Soljenitsyne fut censuré dès 1964 mais il réussit à les faire publier en Occident où sa réputation devenait grandissante à tel point qu’il obtint en 1970 le Prix Nobel de Littérature qu’il chercha à Stockholm seulement en 1974, après son expulsion.


Censuré et expulsé de son pays

Épié, surveillé, cambriolé, Soljenitsyne fut même victime d’une tentative d’assassinat en 1971 et ses proches également (une collaboratrice se suicida même après avoir avoué au KGB où se trouvait un de ses manuscrits).

Entre temps, de 1958 à 1967, il écrivit ‘L’Archipel du Goulag’, son chef d’œuvre très connu, sur des petits feuillets remis à des amis et copiés en double pour une parution en France.

Le livre fut publié en décembre 1973 à Paris et provoqua un événement politique important en ce sens qu’il présentait pour la première fois les camps de concentration soviétiques, dans lesquels il avait été interné, et l’extrême totalitarisme du régime communiste. L’historien français François Furet considéra cette œuvre comme l’un des livres majeurs du XXe siècle (dans son livre ‘Le Passé d’une illusion’).

Cette parution lui valut deux mois après son expulsion d’Union Soviétique, déchu de sa citoyenneté soviétique.

De février 1974 à mai 1994, Soljenitsyne vécut en exil, en Allemagne, en Suisse puis surtout aux États-Unis où il poursuivit son œuvre littéraire (avec l’écriture notamment de ‘La Roue rouge’) tout en donnant de nombreuses conférences internationales.

Il se montrait assez sévère contre la société de consommation et apparut comme un orthodoxe très conservateur.


Un retour d’exil remarqué

Le 27 mai 1994, Alexandre Soljenitsyne, de nouveau russe, retrouva sa Russie grâce à Boris Eltsine. Pendant quatre ans, il multiplia ses interventions dans les médias russes et dans la population russe.

Beaucoup de ses compatriotes crurent qu’il jouerait un rôle politique important dans la Russie post-soviétique, mais la maladie l’a fait un peu oublier.

La Russie moderne lui a rendu un hommage vibrant par l’intermédiaire de Poutine l’année dernière.


Collusions poutiniennes ?

Poutine et Soljenitsyne alliés ? Sûrement un peu : le premier en admiration devant le talent du second, ce dernier approuvant la politique de retour à une Russie forte et fière après la décennie Eltsine d’humiliation et de décomposition des structures étatiques et économiques. Par exemple, Soljenitsyne s’opposait à l’OTAN en 2006 et à ce qu’il appelait « l’encerclement total de la Russie et la perte de sa souveraineté ».

Il parlait ainsi de Poutine en avril 2008 : « Poutine a reçu en héritage un pays pillé et à genoux, avec une majorité de la population démoralisée et tombée dans la misère. Et il a commencé sa reconstruction (…) petit à petit, lentement. Ces efforts n’ont pas été remarqués et appréciés tout de suite. ».


Un libéral…

Soljenitsyne fut avant tout une figure libérale : inspiré par Tocqueville, il croyait beaucoup en la démocratie locale et au pouvoir associatif. Certains le prirent pour un nationaliste slave mais lui se considérait plutôt comme un patriote heureux d’un pouvoir central fort (ce qui n’est pas contradictoire avec son libéralisme politique puisqu’il voulait un pouvoir présidentiel fort uniquement pour les compétences régaliennes de l’État).

Ne réfutant pas sa tentation royaliste (beaucoup de Russes après la fin de l’Union Soviétique devinrent des nostalgiques du Tsar), Soljenitsyne condamna la guerre en Tchétchénie.


Et un conservateur…

Critiquant le national-étatisme de Soljenitsyne, l’historien américain Richard Pipes le soupçonnait d’antisémitisme en ces termes : « Chaque culture a une forme propre d’antisémitisme. Dans le cas de Soljenitsyne, celui-ci n’est pas racial. Cela n’a rien à voir avec le sang. Il n’est pas raciste, la question est fondamentalement religieuse et culturelle. Il présente de nombreuses ressemblances avec Dostoïevski, qui était un chrétien fervent, un patriote et un antisémite farouche. Soljenitsyne se place incontestablement dans la vision de la Révolution défendue par l’extrême-droite russe, comme une création des Juifs. » (‘New York Times’ du 13 novembre 1985).

Soljenitsyne a cependant toujours réfuté les accusations d’antisémitisme portées contre lui.

Une comparaison avec Dostoïevski reprise curieusement par le Président français Nicolas Sarkozy qui déclara : « Son intransigeance, son idéal et sa vie longue et mouvementée, font d’Alexandre Soljenitsyne une figure romanesque, héritière de Dostoïevski. Il appartient au panthéon de la littérature mondiale. Je rends hommage à sa mémoire, l’une des plus grandes consciences de la Russie du XXe siècle. ».


Un symbole de la dissidence contre le communisme

L’année dernière, s’adressant à Poutine, Soljenitsyne espéra ceci : « À la fin de ma vie, je peux espérer que le matériel historique (…) que j’ai collecté entrera dans les consciences et la mémoire de mes compatriotes. ».

Auteur de près d’une quarantaine de livres, Alexandre Soljenitsyne fut, avec le grand physicien Andreï Sakharov (mort il y a presque vingt ans, le 14 décembre 1989, et Prix Nobel de la Paix 1975), l’un des symboles les plus célèbres internationalement de la dissidence politique contre le régime totalitaire de l’Union Soviétique.

Ses idées cependant pourraient être qualifiées de rétrogrades et passéistes mais constituent peut-être une bonne base pour mieux comprendre la grande popularité dont jouit aujourd’hui encore Vladimir Poutine au sein de la population russe.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 août 2008)


Pour aller plus loin :

'Le Cri' de Soljenitsyne (L'Express, 4 septembre 1972).

'Le Déclin du Courage' (Harvard, 8 juin 1978).

Article ‘Les barbouilleurs ne cherchent pas la lumière’ par Soljenitsyne (revue ‘Litératournaïa Gazeta’).

Dépêche de presse du 4 août 2008.

Encyclopédie en ligne Wikipédia.





http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=42933

Une du 4 août 2008 d'Agoravox.
http://www.agoravox.fr/edition_du_jour.php3?date_du_jour=2008-08-04


http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080804/tot-alexandre-soljenitsyne-le-geant-de-l-89f340e.html






http://www.lepost.fr/article/2008/08/04/1236631_alexandre-soljenitsyne-le-geant-de-la-litterature-contre-le-goliath-du-communisme.html

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commentaires

G
Connaissez-vous ce témoignage sur l'origine de la vocation de Soljenitsyne dans le goulag : http://pour-que-tu-croies.blogspot.com/2007/01/boris-nikolaevitch-kornfeld.htmlIl est aussi paru sur le site Le Post.frSalutations
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