Aurons-nous avec le génocide rwandais une effervescence identique à celle des attentats du 11 septembre 2001 avec des thèses conspirationnistes, à la différence près que ce serait la France et pas les États-Unis qui serait au cœur de la polémique ?
L’horrible génocide rwandais d’avril à juillet 1994 a abouti aux massacres d’au moins 800 000 Rwandais, essentiellement des Tutsis mais également des Hutus modérés.
Une époque qui avait connu aussi des massacres dans l’ex-Yougoslavie (l’un de ses auteurs, Radovan Karadzic, vient même d’être arrêté et extradé à La Haye) mais qui, surtout, n’avait rien appris des leçons de l’histoire : massacres au Cambodge, en Arménie, sans parler des exactions staliniennes ou hitlériennes.
Le Darfour et d’autres endroits du monde connaissent ou connaîtront, hélas, les mêmes récurrences de l’histoire.
Un rapport mettant en cause des hommes politiques français
Ces conflits ethniques sont-ils fatals ? C’est un peu la vraie question que soulève le rapport de la « Commission nationale indépendante chargée par la République du Rwanda de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 ».
Ce rapport, finalisé le 15 novembre 2007 mais publié seulement ce mardi 5 août 2008, est rédigé de façon étrange : le but même de la commission était d’instruire à charge contre la France, et pas de confronter des éléments étayant ou démentant l’éventuelle responsabilité de l’État français dans les massacres rwandais.
Dans ce rapport, pas moins de treize hauts responsables politiques ou administratifs et vingt militaires ont été mis nommément en cause, notamment, pour les plus connus d’entre eux : François Mitterrand, Président de la République, Édouard Balladur, Premier Ministre, Alain Juppé, Ministre des Affaires Étrangères, Dominique De Villepin, directeur de cabinet du Ministre des Affaires Étrangères, Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée… (quelques années plus tard, Juppé et De Villepin deviendront Premiers Ministres, et De Villepin et Védrine deviendront Ministres des Affaires Étrangères).
Fatalisme et dissension ?
Ce rapport laisse entendre qu’Édouard Balladur aurait été fataliste, qu’il faudrait, selon lui, se résoudre à accepter cette fatalité des massacres interethniques (p. 138) et qu’il aurait dit : « Ils se sont toujours massacrés ainsi ! Pourquoi voulez-vous que cela cesse ? ».
Mais aussi, ce rapport évoque une véritable dissension au sommet de l’État (en pleine cohabitation) entre un François Mitterrand interventionniste, voulant séparer le Rwanda et sa capitale Kigali en deux entités ethniques, et un Édouard Balladur non-interventionniste, refusant que la France s’immisçât dans ce conflit, ce qui aboutira finalement à une opération militaire tardive, l’opération Turquoise déployée l’été 1994.
Le problème de ce rapport, c’est qu’il y a beaucoup de verbes au conditionnel, peu de preuves irréfutables mais beaucoup de témoignages. Il est rédigé avec beaucoup de partialité (ne serait-ce que par le but de la commission), en particulier lorsqu’il parle de « gouvernement de droite » pour s’opposer à un Président de gauche, ce qui induit une méconnaissance de la politique intérieure française où les sujets internationaux recueillent généralement un large consensus au sein des grands partis gouvernementaux (de la majorité ou de l’opposition). On lit par exemple (p. 177), en parlant d’Alain Juppé : « De façon assez particulière, ce ministre de droite s’alignera aux positions du Président MItterrand. ».
De graves accusations contre la France
Le rapport porte des accusations très lourdes contre l’État français.
Selon lui, des militaires français auraient commis eux-mêmes directement des assassinats de Tutsis et de Hutus accusés de cacher des Tutsis et des viols sur des rescapées tutsies. Les militaires français auraient laissé en place les infrastructures du génocide.
Le Ministère français des Affaires Étrangères a immédiatement démenti ces accusations (dans un communiqué le 6 août 2008), remettant en cause la légitimité et l’objectivité de cette commission et a affirmé : « Il y a dans ce rapport des accusations inacceptables portées à l’égard de responsables politiques et militaires français. Nous rappelons qu’un très important travail d’investigation sur le rôle de la France au Rwanda pendant ces années-là ont été réalisé en 1998 dans le cadre de la mission d’information parlementaire présidée par Paul Quilès. Nous nous en tenons à l’analysé de cette commission et à ses conclusions. ».
De son côté, le Ministère français de la Défense a déclaré : « La France assume pleinement son action au Rwanda en 1994 et notamment celle de ses forces armées. Elle soutient sans réserve l’action de la justice pénale internationale et s’en remet à son appréciation conformément aux exigences légitimes de l’État de droit. ».
L’un des principaux responsables politiques mis en cause, Alain Juppé, parle de « falsification inacceptable » du rôle de la France dans le génocide.
Realpolitik versus vérité historique ?
Ce qui est étrange, c’est le fait que ce long rapport de 331 pages, écrit en français, ait été rendu public en plein été, au cours d’une conférence de presse à Kigali faisant intervenir pas moins de trois ministres rwandais (Tharcisse Karugarama, le Ministre de la Justice, Rosemary Museminari, la Ministre des Affaires Étrangères et de la Coopération, et Louise Mushikiwabo, la Ministre déléguée à l’Information).
Le site Rue89 voit dans ce nouveau pavé dans la mare l’occasion d’une « polémique entre tenants de la realpolitik et partisans de la vérité historique » en rappelant que les militaires français ont toujours été plus bavards que les hommes politiques français sur ce sujet et que certaines archives sont inaccessibles aux journalistes et aux historiens en France et au Rwanda.
Je suis bien entendu incapable de savoir lequel des deux rapports, celui de Paul Quilès en 1998 ou celui de cette commission rwandaise de 2007, a raison, et si des responsabilités françaises sont réelles ou seulement supposées.
Objectifs diplomatiques de la manœuvre
En lisant la conclusion du rapport rendu public cette semaine, on y lit également cet indice : « Au regard de la gravité des faits (…), la Commission demande au Gouvernement rwandais de se réserver le droit de porter plainte contre l’État français pour sa responsabilité dans la préparation et l’exécution du génocide de 1994 au Rwanda devant les instances judiciaires internationales habilitées. ».
Mais aussitôt, le rapport continue immédiatement ainsi : « La Commission recommande au Gouvernement rwandais de trouver un règlement diplomatique de la question avec l’État français dans la mesure où ce dernier est prêt à reconnaître l’entière étendue de sa responsabilité dans la préparation et l’exécution du génocide au Rwanda et de prendre les mesures de réparation conséquentes en accord avec le Gouvernement rwandais. ».
On ne peut pas alors ne pas mettre en relation ces demandes de mise en accusation judiciaire ET de règlement diplomatique (qui à mon sens, sont antagonistes) et la demande du juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière en 2006 de poursuivre pénalement le Président actuel du Rwanda, Paul Kagamé, pour sa « participation présumée » à l’attentat contre l’avion de son prédécesseur, Junéval Habyarimana, le 6 avril 1994, élément déclencheur du génocide.
Encore en avril 2008, le Président rwandais Paul Kagamé avait réaffirmé qu’il n’était pas « question de séparer le diplomatique du judiciaire ».
La France de Sarkozy réchauffe les relations franco-rwandaises
En novembre 2006, le Rwanda avait réagi à cette demande en rompant les relations diplomatiques avec la France. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, la France essaie cependant de recoller les morceaux avec l’État rwandais.
Le 8 décembre 2007, Nicolas Sarkozy avait rencontré Paul Kagamé à Lisbonne et lui avait « exprimé avec force notre volonté de réconciliation et aussi notre souci de faire face aux faiblesses et aux erreurs de la communauté internationale, France comprise, face au génocide rwandais ».
Ce rapport, d’ailleurs, ne devrait pas affecter cette volonté, puisque, ce 6 août 2008, la France continue « à placer [sa] relation avec le Rwanda dans cette perspective d’avenir » en expliquant : « Notre détermination de construire une nouvelle relation avec le Rwanda, au-delà de ce passé difficile, reste intacte. ».
Les perdants, toujours les victimes et la vérité historique
En clair, le Rwanda veut instrumentaliser le génocide et la présupposée responsabilité de quelques hauts dirigeants politiques français encore vivants (je le répète, pas les moindres : Balladur, Juppé, De Villepin, Védrine) comme monnaie d’échange diplomatique pour arrêter les éventuelles poursuites contre son propre Président accusé d’avoir participé à l’assassinat d’un de ses prédécesseur (déclenchement du génocide).
Dans tous les cas, ce nouveau rapport n’éclairera pas plus les historiens sur la vérité historique de ce terrible drame et n’est qu’une pierre supplémentaire dans une polémique qui risque de s’amplifier dans les semaines qui vont suivre.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (8 août 2008)
Pour aller plus loin :
Accès aux rapports concernant le génocide rwandais (dont celui de 1998 par la Commission Quilès).
Communiqué du quai d’Orsay (6 août 2008).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=43066
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080808/tot-genocide-rwandais-la-france-est-elle-89f340e.html
http://www.lepost.fr/article/2008/08/08/1240443_genocide-rwandais-la-france-est-elle-toute-blanche.html