(tiré du site gend-ouvea.asso.fr)
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On sait donc où se situe la grotte mais on ne sait encore rien de sa configuration, du dispositif de défense mis en place. Ce qui est sûr, par contre, c’est que les ravisseurs savent se servir des postes de radio qu’ils ont dérobés à Fayaoué puisqu’ils en font usage pour clamer bien haut leur détermination et leur fanatisme.
Alphonse Dianou va même se payer le luxe, le soir de la capture de Bianconi et Legorjus, d’appeler personnellement le général Vidal et de l’invectiver en ces termes: “Toi et tes hommes, on t’emm… Dégagez de la tribu! On ne veut plus voir la gueule d’un militaire dans l’île. La Kanaky, toi, avec tes étoiles, t’en a rien à foutre. Retourne donc chez toi, on t’a pas demandé de venir ici!”.
Finalement, pour catastrophique qu’elle ait pu paraître au départ, la capture de Legorjus, et Picon va se révéler déterminante, en ce sens qu’elle va permettre au général Vidal de dramatiser la situation et d’obtenir de Paris le “feu vert” pour mettre sur pied une action militaire, accord qu’il aurait sans doute eu les pires difficultés à obtenir si les nouveaux captifs n’avaient pas eu une pareille notoriété.
A l’intérieur de la grotte, Alphonse Dianou souffle le chaud et le froid. Tantôt il menace d’exterminer les otages si on ne lui désigne pas sur-le-champ le capitaine Picon, l’assassin d’Eloi Machoro, son héros, qu’il suspecte d’être au nombre des captifs.
Tantôt il se lance dans une diatribe passionnée d’où il ressort que le colonialisme français a détruit l’âme des Canaques, en les réduisant à la condition d’esclaves.
Et de prôner le retour à un mode de vie ancestral, strictement régi par la coutume, avec un minimum d’ouverture sur le monde extérieur, ce monde perverti par le matérialisme et la soif effrénée du gain.
Le substitut Bianconi ne craint pas de lui donner la réplique, de risquer quelques timides objections. Alors le discours s’enfle, prend des allures de sermon mystique.
La religion des Blancs est mis au rend des accusés, l’avenir doré qui attend la Kanaky libérée du joug impérialiste est décrit avec exaltation.
Alphonse Dianou veut que le monde entier sache que la libération du “peuple kanak” est imminente et il exige que le Président Mitterand en personne vienne signer l’indépendance ici, dans la grotte!
Il exige aussi, accessoirement, qu’une équipe de la télévision française vienne dans un premier temps filmer pour retransmettre son message urbi et orbi.
Si l’on ne se soumet pas à ses exigences, il tuera les otages et nul ne pourra rien contre lui dans cette grotte sacrée où l’esprit des ancêtres monte la garde, prêt à repousser toutes les balles.
Fin diplomate, Philippe Legorjus va être le premier à discerner un fond de désarroi dans ce discours irréaliste. Dianou a été trahi. Certains des siens, sur lesquels il pensait pouvoir compté en toute circonstance, ont révélé l’emplacement de la grotte. On vient par ailleurs de lui apprendre que les otages du Sud avaient été libérés par la simple vertu de la négociation, et cette nouvelle l’a plongé dans la consternation de même qu’il ne comprend pas que les dirigeants du F.L.N.K.S. se refusent apparemment à prendre le relais de son action, à exploiter politiquement son coup d’éclat. Que peut-il faire, lui tout seul, au fond de son trou, au cœur de la forêt, cible de l’armée d’une des nations les plus puissantes du monde?
Relayé par Jean Bianconi, Philippe Legorjus lui fait valoir que sa position est des plus inconfortables, qu’il n’arrivera à rien en demeurant terré ici, qu’il lui faut trouver des interlocuteurs et que pour ce faire, il a besoin d'intermédiaires.
Lui, Legorjus, précisément, se propose de transmettre ses conditions aux stratèges d’en face. Qu’il le laisse sortir à sa guise de la grotte et y revenir et, parole d’officier, il fera tout pour dénouer l’imbroglio. Dianou réfléchit un instant puis finit par consentir.
Libre de ses mouvements, le capitaine Legorjus regagne donc Gossanah à travers la forêt et se trouve en mesure, lui qui a soigneusement observé les lieux, de faire un premier comte-rendu de la situation au général Vidal.
Ce n’est guère réjouissant: les otages sont détenus à l’intérieur d’un cratère de forme grossièrement ellipsoïdale.
A l’extrémité Nord de son grand axe, qui peut mesurer dans les cent cinquante mètres, s’ouvre la gueule béante d’une grotte au fond de laquelle sont enfermés les captifs. Le cratère est transformé en véritable camp retranché et si bien protégé par la végétation qu’il faut pratiquement tomber dessus pour l’apercevoir.
Des postes de tir ont été disposés à sa périphérie, avec un art militaire consommé, et des sentinelles y montent la garde, 24 heures sur 24.
On se trouve par ailleurs en présence de gens farouchement déterminés, qui peuvent être rangés en trois catégories.
La première est constituée par les meneurs qui sont politisés à fond et que l’on pourrait comparer à des ayatollahs. Il s’agit des frères Dianou, Alphonse et Hilaire, exaltés au dernier degré, et de Venceslas Lavelloi que ses compagnons appellent “Rambo” et qui s’est glissé dans la peau du personnage.
Ce dernier manipule en permanence des armes et se plaît à mettre les otages en joue à tout propos. Les signes de son exaltation sont évidents et sa dureté apparaît sans limites.
Le second groupe compte une quinzaine d’individus que l’on peut considérer comme des militants actifs, bien entraînés et fanatisés.
Le troisième, enfin, donne beaucoup moins d'inquiétude. Il est constitué de “seconds couteaux” qui se contentent d’obéir aux ordres sans manifester d’états d’âme.
Et puis il y a les incontrôlables, qui vont et viennent autour de la grotte, ceux que les journalistes baptiseront plus tard les “porteurs de thé”.
Il s’agit maintenant pour le capitaine Legorjus de donner un gage de sa sincérité, de sa bonne volonté à Alphonse Dianou. Pas question pour les militaires, évidemment, de quitter l’île comme le réclame le chef des ravisseurs.
Gossanah en revanche… Le général Vidal, peu pressé de faire ce geste, pour le moins va s’y résoudre à contrecœur.
Il déplace donc son P.C. à Saint-Joseph, dont il fait par la même occasion une base opérationnelle. C’est donc avec la conscience parfaitement tranquille que le patron du G.I.G.N. reprend la chemin de la forêt pour retrouver Dianou à qui il est en mesure d’annoncer que Gossanah vient d’être évacué.
Et d’ajouter:” Si tu ne me crois pas, demande confirmation à tes ravitailleurs, ils te diront que j’ai tenu parole. Au fait, j’ai trouvé des interlocuteurs, grâce à mes relations. Tout devrait pouvoir s’arranger dès le moment que le sang n’a pas coulé dans cette partie de l’île. Ce n’est pas si grave que ça, après tout. Tu risques de t’en tirer avec quelques mois de prison, pas d’avantage. Réfléchis bien. Pour ma part, je ne saurais trop te conseiller de te rendre après avoir été filmé par les cameramen de la chaîne nationale de télévision qui sont en route”.
Dianou, dès lors, aura une relative confiance en Legorjus et le laissera faire des navettes entre la grotte et Saint-Joseph. Chacune de ces rotations est l’occasion d’ajouter un élément au descriptif de la grotte: “C’est impressionnant, une position quasi imprenable. Impossible d’en approcher discrètement. Si l’on y a carrément, nos hommes seront vite repérés et ce sera un bain de sang”.
Le soir du 30 avril, le lieutenant-colonel Benson est envoyé en mission à Nouméa pour expliquer la situation à un aréopage de hauts responsables, dont le haussaire Clément Bouhin, le commandant en chef de la gendarmerie territoriale, le colonel Allès, le général de gendarmerie Jérôme, le ministre Bernard Pons et le général Norlain.
Calmement, il va leur exposer les faits et leur redonner les caractéristiques de la redoute, en insistant sur la présence de l’arme automatique au débouché du sentier que les “porteurs de thé”, ainsi baptisés parce qu’ils assurent le ravitaillement des reclus des deux bords, empruntent pour s’en venir de Gossanah.
Tout autre forme d’accès s’avère problématique, voire impossible, tant la végétation est dense et l’objectif bien dissimulé. Différentes hypothèses d’école sont alors envisagées.
Les uns proposent de mélanger des substances narcotiques à la nourriture pour prolonger ravisseurs et otages dans un profond sommeil.
D’autres envisagent le largage au-dessus du cratère - encore faudrait-il que celui-ci soit visible du ciel - d’un “paquet-cadeau” (sic), constitué d’un mélange de grenades éblouissantes, pyrotechniques et lacrymogènes, pour “sonner” les agresseurs au moment de l’assaut.
Certains parlent de caméras thermiques qui permettraient de situer la grotte avec une parfaite exactitude. On évoque aussi le bruit que feraient inévitablement les troupes d’assaut lors de leur approche de l’objectif, en butant sur des racines, sur des aiguilles de corail ou sur des troncs d’arbres morts.
Bref, un beau galimatias dont il ne sort finalement rien de positif. Le lieutenant-colonel Benson regagne donc Ouvéa sans qu’aucune décision n’ait été prise.
Pendant ce temps, le capitaine Legorjus poursuit ses va-et-vient et se heurte à l’impatience grandissante d’Alphonse Dianou qui veut qu’on lui propose enfin des interlocuteurs valables, de préférence des hommes de son bord.
Mais, sans compter que le premier ministre n’est guère chaud pour donner la vedette au F.L.N.K.S., les ténors du mouvement se font toujours tirer l’oreille.
Jean Bianconi a bien pensé à Franck Wahuzue, une relation de longue date, mais ce dernier, aussitôt contacté par Legorjus, s’est plus ou moins dérobé. Il lui faut, argue-t-il, l’aval du bureau politique.
Or celui-ci a du mal à se rassembler… Bref, la situation est à ce point explosive que personne n’accepte de se compromettre. On s’achemine donc inéluctablement vers l’épreuve de force et, de fait, celle-ci ne va pas tarder à s’engager.
Pendant que les politiques jouent à la guerre en chambre, les militaires de métier, eux, n’ont pas perdu de temps.
Du matériel sophistiqué a été acheminé sur la Nouvelle-Calédonie: arme, munitions, grenades à effets spéciaux et même lance flammes qui pourraient servir à neutraliser la mitrailleuse et ses servants, la plus redoutée des armes aux mains des rebelles.
Parallèlement à cette montée en puissance de la logistique, le site des Pléiades du nord, un chapelet d’îles coralliennes, hautes, choisies en raison de leur éloignement, sert de cadre à un entraînement intensif des commandos qui ont à se familiariser avec un terrain bien particulier.
Des tirs à balles réelles y ont lieu, sans que l’on ait à craindre que leur écho soit perçu jusqu’a Gossanah. Philippe Legorjus, lui vient de se voir interdire par ses supérieurs hiérarchiques de retourner à la grotte et Alphonse Dianou se perd en conjectures quant à cette absence prolongée.
Jean Bianconi s’efforce de le rassurer en lui expliquant qu’il s’est sans doute rendu à Nouméa pour y trouver de nouveaux médiateurs, qu’il lui faut se montrer patient.
Puis, sautant sur l’occasion, il propose d’aller lui même aux nouvelles, promettant de revenir rapidement au bercail. Le précédent Legorjus est là pour montrer à Alphonse Dianou qu’il peut compter sur la parole des “Blancs”.
Ce dernier va une nouvelle fois consentir. Le substitut gagne donc Saint-Joseph, pas mécontent de se dégourdir les jambes, et confirme à son tour la situation des otages: “Dans l’ensemble ceux-ci endurent un véritable martyre psychologique. A force de s’entendre répéter par les uns et les autres qu’ils n’ont aucune chance de s’en sortir vivants, ils finissent par perdre espoir”.
Pour ce qui est de la capacité des rebelles à tenir, celui-ci la juge illimitée puisque les gens de la tribu de Gossanah continuent à les ravitailler avec régularité.
Une conclusion se dégage très vite de son exposé: il faut agir sans tarder si l’on veut préserver la vie des otages, car Alphonse Dianou ne tolérera guère plus longtemps qu’on le mène en bateau.
Le P.C. du général Vidal est désormais en liaison directe par fax avec la salle des opérations du ministère de la Défense à Paris. Le capitaine Legorjus, de son côté, est décidé à jouer la carte de l’Elysée, si bien que deux clans se sont formés, qui poursuivent des objectifs diamétralement opposés.
Le clan Elysée-Gendarmerie est partisan de temporiser, de rechercher à tout prix une solution négociée, tandis que le clan Matignon-Armée, convaincu que toutes les cartes de la démocratie ont été abattues, n’attend plus que le feu vert de la présidence pour passer à l’action.
L’ambiance à Saint-Joseph est celle des veillées d’armes.
Les renseignements qu’apporte Jean Bianconi font état d’une surexcitation grandissante d’Alphonse Dianou qui exige le retour du capitaine Legorjus et l’arrivée de l’équipe de télévision d’Antenne 2.
Courageusement, Bianconi va courir le risque de provoquer sa fureur en lui annonçant qu’il ne fallait plus compter sur le retour de Legorjus, retenu à Nouméa par décision de l’autorité militaire.
De plus, Alphonse Dianou se montre violemment contre la présence de Mgr Calvet, le nouvel émissaire que vient de proposer Jean Bianconi…
Bref, la situation est bloquée. Tout donne à penser qu’elle va dégénérer à très brève échéance.
La date de l’opération est bientôt fixée au 4 mai. Il a plus à verse durant toute la nuit et il continue à pleuvoir. L’autorisation a été demandée à Paris et, comme aucun contrordre n’est tombé sur le télécopieur dont dispose le général Vidal à Saint-Joseph, les éléments du groupe d’assaut ont commencé à se mettre en place.
Hélas, au moment où la colonne va s’ébranler, un message tombe comme un couperet: refus de la présidence, l’intervention doit être reportée à une date ultérieure. C’est la consternation parmi les hommes qui n’ont plus qu’à regagner Saint-Joseph.
Face à cette valse hésitation, le général Vidal décide de poser ses conditions. Le message qu’il expédie à Paris est très ferme: “Le risque d’un carnage dans la grotte, où la tension est à son comble, augmente d’heure en heure.
Si vous ne voulez pas prendre vos responsabilités, tant pis, vous aurez à répondre du massacre devant la nation”. Le premier ministre menaçant, quant à lui, de passer outre, l’Elysée consent finalement à annoncer… qu’il donnera son feu vert dans la soirée du 4 au 5 mai et que les forces d’assaut peuvent, d’ores et déjà, se préparer à passer à l’action.
A toutes fins utiles, une heure butoir a été fixée. Si aucun contrordre ne parvient avant cinq heures du matin, le 5 mai, rien ne pourra plus arrêter l’opération.
Les éléments de la force d’assaut se fondent aussitôt dans la nuit, et traverse maintenant la forêt vierge jusqu’à tomber sur la grotte.
Le point le plus délicat consiste à repérer celle-ci avec précision, ce qui ne peut se faire sans le concours de l’aviation. A cette fin, une double initiative a été prise.
La première a consisté à prévenir Alphonse Dianou que, le 5 au matin, il ne devrait pas s’étonner d’entendre des bruits d’hélicoptères au-dessus de la grotte, qu’il s’agirait de l’équipe de télévision chargée d’un premier tournage au-dessus du site…
La seconde a vu l’adoption d’un code au terme duquel le chef du commando - indicatif “Christophe”- émettrait un petit bruit métallique avec sa radio portative, à 5h45 précises, pour faire savoir qu’il était bien rendu sur ses bases d’assaut et que les hélicoptères pouvaient venir se positionner en vol stationnaire au-dessus de l’objectif.
De son côté, le capitaine Picon a été averti par Jean Bianconi que le passage des Pumas signifierait l’imminence de l’assaut et qu’il devrait regrouper les otages tout au fond de la grotte et les protéger… de son mieux.
A 6h15, le signal retentit et deux Pumas entament leur progression au ras du couvert végétal. Leur mission est de repérer la grotte, de larguer des fumigènes à la verticale de celle-ci pour guider les troupes d’assaut qui profiteront de cette diversion pour parcourir les derniers mètres qui les séparent de l’objectif.
Couverts par le vacarme des rotors, les hommes du groupe d’assaut s’élancent.
Mais la grotte n’est n’a pu être localisée d’en haut et les fumigènes font de ce fait défaut. Comble de malchance, l’escadron parachutiste de la gendarmerie, qui était chargé du balisage de l’itinéraire au cours de la nuit précédente, à l’exception des 300 derniers mètres, jugés trop dangereux, s’est trompé de cent mètres de latitude, si bien que les assaillants vont rater le cratère et donner l’éveil à ses défenseurs!
“Christophe”, le chef du commando, demande en conséquence au commandant Mauviot, qui pilote le Puma leader, de refaire un passage et de tout mettre en œuvre cette fois pour localiser la grotte.
Mais Alphonse Dianou ne croit déjà plus à l’arrivée des techniciens d’Antenne 2 et lorsque l’hélicoptère se positionne enfin à la bonne place, presqu’au ras des arbres, une balle tirée par l’un des ravisseurs vient traverser la carlingue et se loger dans la jambe du gendarme Lecren de l’E.P.I.G.N..
N’eût été cet obstacle… providentiel, le rotor qui se trouvait en plein sur la trajectoire du projectile aurait été atteint et l’appareil se serait écrasé au sol.
A partir de cet instant, tout va s’accélérer. L’objectif est enfin localisé et la première action consiste à neutraliser la mitrailleuse AA 52.
A cette fin, les deux sapeurs-parachutistes, prenant d’énormes risques en progressant à découvert, viennent positionner leur engin à 150 mètres de sa cible. Les servants de la mitrailleuse, trop occupés à arroser les assaillants qui surgissent de tous côtés, n’ont pas flairé le danger.
Par deux fois, l’interminable langue de feu atteint son but avec une précision diabolique. Depuis l’hélicoptère où ils suivent l’opération, “Victor” et “Chamois” vont apercevoir les deux traînées incandescentes à travers la voûte épaisse des arbres.
Privés d’oxygène, les deux mitrailleurs périssent instantanément par suffocation. Le plus dur est fait mais la résistance est encore acharnée de la part des tenants des autres postes de combat. Les hommes de Dianou vendent chèrement leur peau mais succombent les uns après les autres, fauchés par les tireurs d’élite.
Deux hommes du 11ème choc, l’adjudant Pedrazza et le soldat Veron, sont presque rendus à l’aplomb de la grotte. Ils ignorent que celle-ci comporte plusieurs orifices qui communiquent avec l’extérieur. C’est de là que vont partir les balles qui les faucheront à mort.
Plus chanceux, deux “mobiles” du G.I.G.N. ne seront que blessés au cours de l’assaut: le lieutenant Thimotée, qui sera pourtant atteint d’une balle en pleine tête, s’en tirera, et le gendarme Grivel.
C’est maintenant dans la grotte que se joue le sort de l’opération Victor. Dès les premiers échanges de coups de feu, les ravisseurs vont essayer de se retourner contre les otages, ainsi qu’ils en avaient fait la menace.
Un premier homme se présente avec une lampe torche et un famas à l’entrée de la cavité où sont détenus les captifs. Au moment où il épaule, une détonation retentit et une balle lui frôle la joue.
Battant aussitôt en retraite, il court conter sa mésaventure à Alphonse Dianou qui n’en croit pas ses oreilles: les otages seraient armés! Décidé à en avoir le cœur net, le chef des rebelles s’approche à son tour avec précaution.
Le capitaine Picon l’ajuste, fait feu et le manque! Dianou, cependant, a compris et part se réfugier au niveau intermédiaire de la grotte, d’où il harangue les otages en ces termes: “Sortez donc, bandes de lâches, c’est l’heure de parlementer. On va tous y passer. Montez dire à vos camarades de cesser le feu, on va s’arranger…”
Inutile de dire que la ruse ne prendra pas et que chacun campera sur ses positions.
Autour de la cuvette, le bruit des armes s’est tu. Tous les nids de résistance ont été neutralisés et ceux des défenseurs qui ont pu sauver leur peau se sont retranchés dans la partie inférieure de la cavité où ils ont retrouvé Alphonse Dianou qui n’a pas encore perdu tout espoir et qui les exhorte à retourner au combat.
Mais ses appels ne trouvent pas grand écho. Douze cadavres de Mélanésiens jonchent déjà les alentours du cratère et il n’y a plus beaucoup de volontaires pour le sacrifice suprême.
Quant aux civils de Gossanah venus faire “la coutume”, ils n’ont eu d’autres solution que de se mettre à l’abri près des… gendarmes, au dernier niveau de la grotte!
Un intermède qui va durer cinq heures vient de débuter. Heures terribles pour les otages sur qui plane encore la menace du pire.
De temps à autre, l’un des ravisseurs tente une incursion dans la grotte, bien vite découragé par le claquement sec des balles des deux petits pistolets. Des balles dont le nombre s’amenuise dramatiquement puisqu’il n’en reste déjà plus que quatre…
Au niveau supérieur, les hommes du commando se sont postés, le canon de leur fusil dirigé vers la cratère, prêts à faire feu au signal.
Le général Vidal n’a pas hésité à venir personnellement sur place, dans la cuvette, pour se rendre compte de la situation, avant de demander au capitaine Legorjus d’entrer en contact avec Dianou pour le convaincre de se rendre.
Mais l’homme a du ressort et menace de la descendre dès qu’il apparaîtra dans sa ligne de mire.
Dans de telles conditions, il n’y a pas d’autre solution que d’engager la seconde phase de l’assaut, celle qui doit aboutir à l’investissement de la grotte et à la libération des otages.
Les stocks de grenades - offensives, lacrymogènes, fulgurantes - ont été reconstitués dans l’intervalle et le second assaut est déclenché sur le coup de 11h30.
La résistance, cette fois-ci, ne va pas peser lourd. Un déluge de gaz et de lueurs aveuglantes s’abat sur la grotte, qui fait s’échapper la plupart des ravisseurs qui sont capturés ou abattus quand ils apparaissent trop menaçants.
Tout au fond de celle-ci, l’air est devenu quasiment irrespirable et, avisant une cheminée, le capitaine Picon prend le risque d’emprunter cette voie pour déboucher à l’air libre.
Soulagement pour lui quand il se trouve nez-à-nez avec des visages amis.
A sa suite, tous les autres otages échappent à leur prison en se hissant péniblement par la même voie, avant de tomber en sanglotant dans les bras de ceux qui viennent de les arracher à l’enfer.
Les enseignements de ce drame majeur ont été multiples.
Sur le plan opérationnel, le sauvetage des otages détenus dans la grotte de Gossanah, sans qu’aucun d’entre eux ait péri au cours de l’engagement, restera une réussite exemplaire. Sur le plan politique, le bilan fut moins positif.
Loin de bénéficier à Jacques Chirac, comme l’escomptaient Bernard Pons et bien d’autres, ce dénouement sanglant allait tout au contraire provoquer un malaise parmi l’opinion publique métropolitaine, majoritairement convaincue que, si un tel enjeu électoral n’avait pas existé, des négociations se seraient finalement engagées, qui auraient abouti au même résultat, sans effusion de sang.
Quoi qu’il en soit, les socialistes revenus au pouvoir tinrent à manifester leur désaveu de la méthode utilisée en pénalisant plus ou moins les acteurs du drame.
Mutations revêtant la forme de sanctions et mises à la retraite anticipée furent le lot de presque tous les participants à l’opération de la délivrance, ce globalement et publiquement accusés par le nouveau ministre des Armées, Jean-Pierre Chevènement, de s’être faits les complices “d’actions contraires à l’honneur militaire”.
Il s’agissait là d’une allusion très claire aux circonstances suspectes de la mort d’Alphonse Dianou et de Venceslas Lavelloi.
La disproportion des pertes dans l’un et l’autre des camps fut l’un des autres reproches adressés au commandement.
Le général Vidal pressentait d’ailleurs qu’on le recherchait sur ce point, lui qui a pris les devants en écrivant à ses supérieurs: “Le fait que tous les ravisseurs défendant la cuvette aient été tués, sans qu’il y ait eu parmi eux de blessés ni d'appréhendés, peut surprendre un civil mais un militaire ayant eu l’occasion de participer à un assaut ne s’en étonnera pas.
En effet, dans cette phase de combat, la seule façon de progresser et de limiter les pertes amies est de développer devant soi une très forte puissance de feu.
Ceci est particulièrement nécessaire dans un terrain broussailleux et difficile comme l’était celui entourant la grotte de Gossanah. Les forces de l’ordre ne pouvaient progresse qu’après avoir réduit au silence chaque nid de résistance.
Ceci explique que certains cadavres présentent plusieurs impacts.
En fait, dans cette première phase, seuls les personnels qui se seraient rendus en jetant leurs armes et en levant les bras auraient été sûrs d’avoir la vie sauve.
Avant l’opération, j’avais d’ailleurs donné l’ordre très strict de ne pas tirer sur les blessés ou les personnels qui se rendraient. Aucun de nos hommes ne l’a fait.
Quant au déséquilibre des pertes, je pense qu’il peur essentiellement s’expliquer par la différence de qualité entre les défenseurs et les assaillants.
Parmi les premiers, vraisemblablement, tous n’avaient pas une parfaite formation militaire alors que le commando des forces de l’ordre était constitué de soldats très aguerris.
C’est d’ailleurs au voisinage de la grotte, là où les chefs des ravisseurs s’étaient retranchés (les frères Dianou et Venceslas Lavelloi), que les pertes des forces de l’ordre ont été les plus lourdes.”
Reste le plan affectif et humain, de très loin le plus douloureux.
Outre le fait que ce drame a contribué à creuser un peu plus le fossé entre les communautés mélanésiennes et européenne, le ressentiments qui habite le cœur de tant de foyers éplorés n’est pas près de s’éteindre.
La flamme du souvenir, pieusement entretenue par les familles et les amis de tous ceux qui ont dit adieu à la vie dans cette île paradisiaque, que l’on croyait vouée à la quiétude et au bonheur éternel, continuera à brûler longtemps, à Villeneuve d’Ascq comme à Ouvéa.
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