Le tout sécuritaire, est-ce une réalité qui se décrète ?
Cet été 2008, le gouvernement aura décidé deux mesures visant à assurer une meilleure sécurité (enfin, d’après ce qui est affirmé) par simple décret.
Le décret 2008-632 du 27 juin 2008 pour officialiser un fichier (Edvige) déjà largement utilisé de façon opaque mais qui n’est pas de nature à rassurer les défenseurs des libertés et du droit à la vie privée (la CNIL a fait un certain nombre de réserves qui n’ont pas été entendues par le gouvernement).
Et un décret signé aussi en juin 2008 mais dont la publication au journal officiel tarde encore (elle est prévue à partir de ce mercredi 10 septembre 2008) et qui autoriserait l’utilisation du pistolet Taser aux 17 000 policiers municipaux.
Depuis le décret 200-276 du 24 mars 2000 (sous le gouvernement socialo-communiste de Lionel Jospin, c’est toujours utile de le rappeler !), les policiers municipaux sont déjà autorisés à porter des pistolets et des revolvers dirons-nous classiques.
Notons que la police nationale et la gendarmerie nationale ont l’autorisation de s’en servir depuis septembre 2006. 3 700 gendarmes et policiers en sont déjà équipés.
Taser, arme supposée "non létale" (plus clairement, non mortelle)
Le Taser n’est pas une arme nouvelle. J’en avais déjà parlé l’été dernier alors qu’elle faisait l’objet de plus en plus de controverses en Amérique du Nord et qu’elle commençait depuis quelques années à intéresser sérieusement le gouvernement français.
Son principe est assez simple à rappeler.
C’est une arme à impulsion électrique. Le modèle prévu, le Taser X26, envoie à dix mètres deux dards sur l’individu cible qui lui transpercent la peau, ce qui lui occasionne une décharge électrique de 50 000 volts avec une très faible intensité, de deux milliampères. Les conséquences : la décharge agit sur le système nerveux et tétanise l’individu plus de cinq secondes (coupant temporairement les liaisons entre le cerveau et les muscles), le rendant hors d’état de nuire et facile à neutraliser.
Sur le papier, donc, cette arme est plus favorable à la vie qu’une arme à feu classique, capable de tuer. Pour maîtriser un individu, il vaut mieux le "taser" que le tuer.
La haute tension, jamais anodine
Certes… mais une décharge à haute tension n’est pas si innocente que cela. Certes, le département Électrostatique du Palais de la Découverte fait régulièrement des manipulations en ce sens pour voir les cheveux se décoller spectaculairement de la tête avec 300 000 volts et montrer que le danger provient principalement du courant électrique et pas de la tension. Mais les cobayes sont généralement en bonne santé.
Aucun responsable de l’ordre n’est capable, a priori, de savoir si la personne qu’il viserait avec ses dards électriques souffre d’insuffisance cardiaque ou pire, porte un pacemaker qui nécessite un contrôle total de l’environnement électromagnétique (les porteurs de pacemakers sont dispensés du portique de contrôle des aéroports pour cette raison).
Plusieurs dizaines de cas de morts suspectes après l'utilisation d'une arme de même type ont été recensés au Canada et aux États-Unis (78 entre 2000 et 2004, 167 entre 1999 et 2005, 290 entre 2001 et 2006 selon les sources), avec une incertitude quant à la cause réelle du décès (généralement, le "tasé" était aussi en overdose). Des médecins assurent cependant qu'aucune séquelle n'est à craindre après la décharge électrique que fait subir l'arme.
Ne pas tuer, l’idéal…
Le problème, c’est que le Taser serait une arme idéale si ses utilisateurs ne l’employaient que dans les mêmes cas (extrêmes) que pour leur arme à feu classique.
Or, ce n’est visiblement pas le cas. Le Taser est utilisé pour des cas beaucoup plus mineurs, comme celui de maîtriser des manifestants. Or, la multiplication de l’emploi du Taser (considéré de façon inopportune comme ‘non létal’) accentue la policiarisation de la vie des citoyens. Un contestataire pourra se faire électriquement déchargé et il lui sera très difficile de porter plainte par la suite en précisant les circonstances.
L’utilisation d’une caméra embarquée (il me semble qu’elle est obligatoire, à vérifier) réduira évidemment les abus, mais la psychologie de l’utilisateur du Taser est un facteur important. Déjà pour les armes à feu, le manque de sang-froid a engendré de nombreuses ‘bavures’. Maintenant, sachant que le Taser n’est par mortel, son utilisateur pourra être tenté de s’en servir plus fréquemment.
Un rapport accablant pour la France
Dans un rapport remis le 8 février 2008 au Haut commissariat aux Droits de l’Homme et au groupe de travail du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies (voir en fin d'article) par le Réseau d’alerte et d’intervention pour les Droits de l’Homme (RAIDH), il a été constaté l’usage disproportionné du Taser par la gendarmerie nationale : 83% des usages du Taser X26 n’ont pas respecté le cadre envisagé par les procédures internes, à savoir la légitime défense et l’état de nécessité.
Dans le même rapport, il a été présenté le cas d’un malade mental qui a reçu le 12 mai 2006 six fois une décharge de Taser utilisé par un membre de la police nationale et qui a fait un arrêt cardio-vasculaire.
Par ailleurs, le Taser est considéré par le Comité contre la torture de l’ONU depuis le 22 novembre 2007 comme une arme de torture pouvant tuer : « L’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture, et (…) dans certains cas, il peut même causer la mort, ainsi que l’ont révélé des études fiables et des faits récents survenus dans la pratique. ».
Choix de société
Taser… Edvige… Avant de signer des décrets à tout va, il serait temps que des réflexions plus approfondies soient entreprises afin de placer en conscience l’enjeu crucial qui se présente aux citoyens : quelle société voulons-nous ? sommes-nous prêts à réduire nos libertés pour assurer notre sécurité et celle des nôtres ? ou au contraire, préférons-nous préserver nos valeurs fondamentales ?
Tant que ce débat n’aura pas lieu clairement et publiquement, toutes ces mesures resteront contestables.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 septembre 2008)
NB : Le 9 septembre 2008 en soirée, le Président Nicolas Sarkozy a reculé sur Edvige en décidant d'ouvrir la concertation et en soumettant le fichier au Parlement. La Ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie a déclaré : « J'entends des inquiétudes, je veux lever ces inquiétudes et toutes les ambiguïtés. ». C'est une sage décision qui montre (comme vient de le dire François Bayrou) que cela vaut la peine de se battre.
Pour aller plus loin :
Une arme peut-elle être inoffensive ? (22 août 2007).
Rapport sur l’usage du Taser en France (8 février 2008).
Flou et retard pour le pistolet Taser (Libération, 28 août 2008).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=44293
http://www.lepost.fr/article/2008/09/12/1263578_francais-edvigez-la-securite-et-tasez-vous.html