Le rocardisme a-t-il encore un avenir ? Quelques parlementaires se réclament encore de l’ancien Premier Ministre Michel Rocard et comptent encore influer sur l’avenir du Parti socialiste.
Parmi les mammouths du Parti socialiste, à soixante-dix-huit ans, Michel Rocard constitue avec Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement et Laurent Fabius, sans doute l’espèce la plus ancienne, la plus oubliée de toutes les espèces encore vivantes parce qu’elle date de l’époque mitterrandienne.
Rocard ?
Michel Rocard ? Vous vous souvenez ?
L’un des Premiers Ministres de la Ve République les plus populaires à sa sortie de Matignon. De quoi rendre jaloux Alain Juppé, Dominique de Villepin, Jean-Pierre Raffarin ou feu Raymond Barre.
Depuis son échec aux élections européennes de juin 1994, il avait réussi à se libérer définitivement de son ambition présidentielle pourtant coriace et s’était retiré un peu lâchement au Sénat et au Parlement européen (où il accomplit un travail remarquable).
On l’avait aperçu quasi-chauve en Inde en début juillet 2007 lors d’un accident cérébral très grave. On s’était inquiété alors de sa santé, de son âge.
Intellectuel, en dehors des jeux politiques depuis bien longtemps, Michel Rocard faisait encore parler de lui de temps en temps sur quelques vérités historiques.
Comme par exemple la réalité de la fin de la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa en mai 1988 ou encore sa terrible crise de colique néphrétique le jour même où il fit rencontrer Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou pour amorcer le dialogue et la réconciliation en Nouvelle-Calédonie (il le raconte ouvertement dans le dernier livre de Raphaëlle Bacqué qui sort aujourd’hui).
Aujourd’hui, qui connaît encore Rocard ? Je ne le dis pas par ironie mais par étonnement.
Ma génération ne peut pas ne pas le connaître : éternel rival de François Mitterrand pendant deux voire décennies, chef du gouvernement, jeune candidat à l’élection présidentielle etc.
Mais prenez un jeune de trente ans ou moins, qui ne s’intéresse que très modérément à la vie politique. Eh bien, il ne sait généralement pas qui il est. Pas plus que Pierre Messmer, Maurice Couve de Murville ou Antoine Pinay. Tous des inconnus. Interrogez quelques uns, vous serez surpris.
Encore une place dans la politique ?
Depuis une dizaine d’années, celui qui tient le rôle de Rocard dans le paysage politique français, c’est Dominique Strauss-Kahn. Encore qu’aujourd’hui, directeur général du Fonds monétaire international, il ne soit plus vraiment en France…
Et pourtant, Michel Rocard, initiateur de la Deuxième Gauche, celle qui se veut réformiste, pragmatique, libérale, social-démocrate, consciente des réalités économiques et sociales, celle qui pourfendait le cynisme mitterrandien et le protectionnisme gauchisant, entend toujours peser sur la vie politique française.
Il l’a fait pendant la campagne de la dernière élection présidentielle.
Oui à l’ouverture et non au sectarisme
Pas vraiment enthousiaste pour la candidature de Ségolène Royal, Michel Rocard l’avait quasiment poignardée dans le dos le 13 avril 2007 (dix jours avant le premier tour !) en mettant de l’eau au moulin de François Bayrou et en approuvant le concept d’ouverture politique proposé par le futur leader du MoDem.
Cela n’avait pas suffi à François Bayrou pour se hisser au second tour, mais cela avait montré la pertinence de son analyse (notons également que Bernard Kouchner, soutien de Ségolène Royal, avait, deux jours plus tard, également approuvé la démarche d’ouverture de François Bayrou pour finalement, un mois plus tard, se retrouver ministre de… Nicolas Sarkozy !).
Grain de sel dans la cuisine rémoise
Rocard semble vouloir se remuer aussi dans la perspective calamiteuse du congrès socialiste de Reims en novembre prochain.
On se rappelle que c’était lorsqu’il était à Matignon que les socialistes s’étaient le plus férocement entredéchirés, à Rennes en 1990, entre les factions jospinistes, rocardiennes, mauroyistes et fabiusiennes. Rocard avait alors gagné la partie en s’alliant avec Jospin et Mauroy pour battre Fabius.
En 2008, on aurait pu imaginer que les préférences de Michel Rocard allaient se tourner vers des hommes qui représentent surtout l’avenir et la modernité, comme (par exemple) Pierre Moscovici qui est le seul, de sa génération, à avoir postulé officiellement au poste de premier secrétaire du PS.
Mais le combat des chefs semble bien parti pour se faire entre trois poids lourds du Parti socialiste (dont deux femmes, bravo pour le progrès) : Ségolène Royal, Bertrand Delanoë et Martine Aubry.
Soutien inconditionnel à Delanoë
Hier, dans une tribune dans le journal "Le Monde", Michel Rocard a décidé de passer à l’attaque : il annonce son soutien à Bertrand Delanoë, le représentant sans doute de la part la plus archaïque du Parti socialiste (refusant par exemple une alliance avec le MoDem aux municipales à Paris, contrairement à Martine Aubry à Lille ou à Ségolène Royal sur le plan national).
Il l’a écrit avec quelques rares personnalités restées fidèles à sa trajectoire, dont Michel Destot, le député-maire de Grenoble, qui ne rejoint donc pas ces grands élus (comme le maire de Lyon Gérard Collomb) favorables à Pierre Moscovici.
Pourquoi soutenir Delanoë ?
Ce n’est pas très clair. Michel Rocard répond : « besoin, simplement, d’une partition et d’un chef d’orchestre ».
Il évoque bien quelques thèmes : « l’engagement pour l’Europe, le lien indissociable entre la compétitivité économique et la justice sociale, la lutte pour l’égalité réelle, la volonté de faire vivre un parti de militant qui ait une parole forte » mais ce sont des idées bien générales que ne renieraient pas même certains barons de l’UMP (comme Pierre Méhaignerie).
La vraie raison du soutien de Michel Rocard à Bertrand Delanoë, c’est visiblement la popularité très élevée de Delanoë au sein des militants socialistes et cette nécessité, pour le 23 septembre 2008, jour du conseil national du PS qui recueillera les différentes motions socialistes, qu’une seule puisse apparaître comme largement majoritaire « Nous avons besoin que se dégage (…) une motion claire et homogène ayant vocation à arriver en tête du vote militant et à constituer le pôle majoritaire. ».
Bref, Rocard a décidé de soutenir celui qui est en tête des sondages, qu’importe les idées et la démarche.
Devenir du rocardisme
Le rocardisme a-t-il encore un avenir ? Eh bien, tout compte fait… cela fait depuis juin 1994 que le rocardisme n’est plus qu’un archaïsme, qu’un vestige inanimé du passé.
Cela peut être désolant, mais ce n’est que la réalité politique. Et Pierre Moscovici, comme bien d’autres, l’avait déjà compris depuis longtemps…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 septembre 2008)
Pour aller plus loin :
Tribune de Michel Rocard sur son soutien à Bertrand Delanoë (Le Monde du 11 septembre 2008).
"L’Enfer de Matignon" (extraits du livre de Raphaëlle Bacqué qui sort le 12 septembre 2008).
Reims, le congrès de Rennes II (3 septembre 2008).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=44376
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080912/tot-ps-delanoe-boit-du-rocard-comme-du-p-89f340e.html
http://www.lepost.fr/article/2008/09/12/1263605_ps-delanoe-boit-du-rocard-comme-du-petit-lait.html
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