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23 septembre 2013 1 23 /09 /septembre /2013 17:25

« Ce qui réunit (…) nos marchands d’illusions, c’est la certitude de pouvoir imposer leur monde, par la force pour les fanatiques terroristes ou par la transgression pour les apôtres du posthumain. Ainsi nous, apostats ou humains archaïques, en tout cas, mécréants, ne pourrions survivre (…) que par la contrainte religieuse ou la soumission technologique. (…) Si l’extrémisme islamique semble incapable de sévir durablement car ses crimes provoquent presque partout la révolte, l’extrémisme technologique avance inexorablement, et dans la discrétion. Cela commence par la banalisation de prothèses vite indispensables (d’abord le téléphone portable), de fichages et flicages vite tolérés (grâce, entre autres périls, à la menace islamique), de surmédicalisations vite exigées (nouvelles prédictions et préventions), etc. Tout cela dans le plus grand mépris pour notre environnement puisqu’un ordinateur, machine ou humain, n’a nul besoin d’arbres ou de coccinelles, et que ces gens-là prétendent contre l’évidence que les nouvelles technologies sont écologiquement neutres. » ("Marianne", le 10 avril 2015).



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Le professeur Jacques Testart fête ce jeudi 3 octobre 2019 son 80e anniversaire. Jacques Testart, grand biologiste français, est connu du grand public depuis plus de trente-cinq ans pour ce qui était considéré alors comme un exploit, la naissance du premier "bébé-éprouvette" français. Le terme est mal venu, car Amandine est un bébé comme un autre, et elle est aujourd’hui adulte et a sa propre vie (et a le droit la discrétion et à la tranquillité). Ce terme désignait le fait qu’elle a été conçue "in vitro" (c’est-à-dire dans une éprouvette) et pas dans l’utérus de sa mère comme c’est habituellement le cas lorsqu’on fait un enfant.

Mais Jacques Testart ne s’est pas distingué seulement pour cette première médicale. Il s’est distingué sur le plan philosophique en annonçant un moratoire de ses travaux de recherche sur le sujet. En effet, le 10 septembre 1986, il a proclamé : « Moi, Jacques Testart, chercheur en procréation assistée, j’ai décidé d’arrêter la course à l’exploit. (…) J’appelle à un moratoire révolutionnaire sur l’idée même du progrès, à une convergence sur la non-proliération des exploits. ». Et de mettre en garde : « Mesdames et Messieurs les géniteurs, la fivète [FIV et transfert d’embryons] va bientôt vous offrir des œufs à la carte avec sexe et conformité aux normes garanties par le laboratoire. Encore un peu de progrès et vos petits seront choisis comme au chenil, couleur du poil et longueur de pattes, aptitude à la santé et forme des oreilles… ».

En clair, pour des raisons d’éthique personnelle, il a mis en veilleuse sa carrière de grand scientifique alors qu’il était une autorité mondiale en matière de procréation. En ce sens, il faut saluer son courage qui est assez rare pour le noter. Imaginons Einstein renonçant à publier "E = mc2" pour éviter l’inéluctable fabrication de la terrible arme nucléaire qui a néanmoins permis d’arrêter la Seconde Guerre mondiale… Certes, ce n’est pas tout à fait pareil.

Son combat depuis trente-sept ans, c’est celui de la liberté et de la diversité : « Il y a deux dimensions à mon combat : l’eugénisme, avec tout ce qu’il comporte de vente de parties du corps humain, de gamètes, de location d’utérus, et surtout de sélection des embryons ; et la démocratie. Le transhumanisme est au carrefour des deux : il prêche le développement sans limites de la technologie, y compris dans la procréation ; en même temps, ses "avancées" s’imposent sans qu’on demande leur avis aux gens. » ("Écho Magazine" du 28 juin 2018).

J’ai d’autant plus d’admiration pour le professeur Testart que je crois être très éloigné de ses positions politiques qui peuvent s’approcher de l’altermondialisme et de la gauche radicale (proche de l’écologie de la décroissance). De plus, il a souligné, dans ses nombreuses réflexions depuis une trentaine d’années, que non seulement il n’était pas croyant mais il était très éloigné de la religion, très éloigné du christianisme et de toutes sortes de foi, mais il faut aussi reconnaître que ses positions, en fin de compte, avec probablement des motivations et des logiques pas si éloignées les unes des autres, ne sont pas si éloignées que cela de celles de l’Église catholique concernant l’eugénisme.

D’ailleurs, voici que qu’il concluait dans une tribune sur Mediapart en avril 2016 : « Encore une fois, je suis amené à tenir le rôle du vilain petit canard. Quasiment seul à côté d’une troupe d’intégristes catholiques, je critique depuis longtemps les exigences des bons docteurs qui prennent les femmes et les homos en otages pour accroître leurs pouvoirs. Deux choses me peinent en cette affaire : la confusion fréquente entre mes positions et celles de certains réactionnaires d’une part, et l’hébétude de ceux dont je suis le plus proche dans la vraie vie d’autre part. Gauchiste athée depuis le début, je suis attristé de la perte de repères humanistes qui fait prendre aux gens de gauche, ou aux écolos, les vessies de l’aliénation à la biomédecine pour les lanternes résistantes des Lumières. ».

Docteur ès Sciences, de formation agronome et biologiste, Jacques Testart a d’abord travaillé à l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) de 1964 à 1977 sur la reproduction des mammifères domestiques, puis à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) de 1978 à 2007 sur la procréation naturelle et artificielle dans l’espèce humaine (comme directeur de recherches à l’unité 355 de l’INSERM).

Parmi ses travaux scientifiques qui furent communiqués dans plus de 300 publications dans des revues scientifiques internationales et plus de 20 ouvrages de vulgarisation et essais de réflexion sur sa science, il y a les premières "mères porteuses" chez les bovins en 1972, les premiers succès français de la fécondation in vitro de l’humain en 1982, la congélation de l’embryon humain en 1986 et la fécondation in vitro (FIV) avec injection du spermatozoïde en 1994. Un peu effrayé par le champ des possibles avec ces techniques nouvelles de procréation, Jacques Testart revendique d’être un "critique de science" comme d’autres sont critiques d’art ou critiques littéraires.

Très actif dans le domaine de la pensée scientifique autant que philosophique et politique, Jacques Testart se décrit lui-même ainsi : « Chercheur engagé, il a toujours été soucieux de prendre du recul, de se donner le temps de la réflexion devant les développements effrénés de la science et d la technique. Citoyen vigilant, préoccupé des dérives de nos sociétés, il s’affirme le défenseur têtu "d’une science contenue dans les limites de la dignité humaine" et de la démocratie réelle. ».

Le plus grand succès de Jacques Testart, il l’a eu quand il avait 42 ans, le 24 février 1982, lors de la naissance d’Amandine (51 centimètres, 3 420 grammes), ce fameux premier "bébé-éprouvette" français à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart. Lui-même était le directeur scientifique de l’opération tandis que le professeur René Frydman (75 ans) en fut le responsable clinique, dans le service du professeur Émile Papiernik (1936-2009). L’ovocyte de la mère a été prélevé, fécondé par des spermatozoïdes du père dans une éprouvette (in vitro), et l’embryon résultant de cette opération fut inséminé dans l’utérus au bout de trois jours, entraînant une grossesse normale (mais évidemment ultrasurveillée). Trente et un an plus tard, Amandine a, elle même, mis au monde son propre enfant le 12 juin 2013 à Suresnes, et cela de manière tout à fait naturelle.

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Dans son petit bureau étriqué de l’hôpital, où est indiqué non sans humour sur la porte "Éprouveur-inventreur" (selon une photographie du "Nouvel Observateur" du 19 septembre 1986), Jacques Testart, au lieu de parader pour de nouvelles naissances, avait justement rédigé, dès la naissance d’Amandine en 1982, une tribune dans l’hebdomadaire pour mettre en garde contre le risque d’eugénisme (voir plus loin). Entre 1978 et 2014, environ cinq millions d’enfants sont nés de fécondation in vitro dans le monde, et 3% des enfants des pays industrialisés sont aujourd’hui ainsi conçus (en 2014).

René Frydman, qui a poursuivi toute sa carrière dans cet hôpital, a été le père du premier bébé né après un diagnostic préimplantatoire en 2000 et du premier bébé du double espoir en 2011 (lire ici). Contrairement à Jacques Testart, René Frydman a apporté son soutien au candidat Emmanuel Macron en 2017, et a considéré qu’il était le seul à avoir « pris le temps de comprendre les enjeux de la procréation médicalement assistée » ("Le Parisien" du 28 avril 2017).

Au contraire, Jacques Testart s’est opposé à l’extension de la PMA à toutes les femmes, et très peu réceptif aux aspirations au libéralisme du nouveau Président de la République.



Plutôt contre la PMA

Les arguments de Jacques Testart contre la "PMA pour toutes" sont nombreux (et assez bien résumés dans une tribune pour "The Conversation" le 11 octobre 2017).

D’abord, l’abus de langage car il n’y a pas de légitimation médicale s’il n’y a pas infertilité (en clair, il n’y a pas besoin de soigner si la personne traitée est capable d’avoir des enfants avec des relations sexuelles), ce qui va engendrer des coûts supplémentaires à la charge de la société alors qu’il n’y a pas à soigner (la médecine n’a pas vocation à résoudre des problèmes sociétaux), et surtout, cela va accroître la pénurie de sperme disponible (un vrai problème en France). La légalisation va aussi poser le problème de l’anonymat du donneur de sperme (psychologie de l’enfant à venir). Enfin, la sélection du donneur selon des critères non réglementés, va favoriser des pratiques eugéniques : « C’est avec le tri des embryons à l’issue de la FIV que pourra se manifester pleinement cet eugénisme nouveau, bienveillant et consensuel. » (Colloque à Lille les 24-25 mai 2018).

Pour Jacques Testart, l’insémination artificielle du sperme est un acte très facile que beaucoup de femmes homosexuelles ont déjà réalisé sans concours médical, et pour lui : « Il est clair que l’assistance médicale permet surtout de recruter le donneur, et que l’exigence de "PMA pour toutes" correspond à une défaillance de l’autonomie des femmes. » ("Le Drenche d’avril 2018).

Dans une tribune à "Décision Santé" le 3 avril 2014, Jacques Testart a formulé sa réticence de cette manière : « Je ne porte aucun jugement moral sur la capacité d’un couple homo à élever un enfant car rien n’indique qu’il y réussirait moins bien que les autres, mais je crois que l’engendrement doit échapper à la biomédecine à chaque fois que celle-ci n’est pas indispensable. S’il s’avère difficile pour un couple homo de trouver dans son environnement un donneur de sperme ou une mère porteuse non rémunérée, c’est que la société n’est pas prête pour de telles pratiques, ce qui peut figurer une régulation sociale objective de la bioéthique. Il serait détestable que l’institution médicale se trouve officiellement en charge d’activités inutiles au moment où la suite du monde suppose l’accroissement de l’autonomie, de la responsabilisation des individus et de la convivialité dans leurs relations. ».

Lors de son audition par la Mission d’information sur la révision des lois de bioéthique le 6 septembre 2018 à l’Assemblée Nationale, Jacques Testart a précisé à propos de l’anonymat du donneur de sperme pour une PMA : « Les arguments pour le maintien de l’anonymat (menace sur la paix des ménages, crainte de raréfaction des donneurs) ne pèsent rien en regard du but légal de l’IAD [insémination artificielle avec donneur] qui est de faire naître un enfant disposant des mêmes chances d’épanouissement que tous les autres. Et la concession récente des banques de spermes consistant à délivrer des données non identifiantes ne répond absolument pas à cet objectif. ».

Dans "Valeurs Actuelles" du 14 février 2019, Jacques Testart se voulait même plus ferme dans son opposition : « Qu’on m’explique ce que l’extension de la PMA a à voir avec la science. Qu’y a-t-il de nouveau dans cette technique ? Rien. Un donneur de sperme va féconder une femme. La "technologie" qui permet de le faire tient dans un bout de tube ou une seringue. Qu’on arrête de nous enfumer avec les "progrès de la science". On étend, c’est tout. Ce ne sont pas les progrès de la science qui guident l’éthique, mais les demandes sociales. Et encore, ce ne sont même pas des demandes de la société, mais de quelques-uns. ».


Contre le diagnostic préimplantatoire (DPI)

J’ai évoqué la PMA car le sujet est d’actualité et il n’est pas sans rapport avec le risque d’eugénisme qui est la crainte fondamentale de Jacques Testart dans les années à venir, confortée par de nombreuses fictions d’anticipation (dans la littérature ou au cinéma) qui montrent une humanité où chaque individu est génétiquement sélectionné pour éviter les maladies, pour avoir les meilleures caractéristiques voire rendements (Jacques Testart estime d’ailleurs que cet eugénisme va dans le sens du libéralisme économique qui accentue et encourage le principe de la concurrence).

Le meilleur outil de cet eugénisme est le diagnostic préimplantatoire (DPI) qui intervient après une fécondation in vitro et donc la création d’un embryon et avant l’insémination dans l’utérus de la mère. Généralement, pour augmenter les chances d’avoir un embryon pouvant poursuivre toute la grossesse, plusieurs embryons sont inséminés (ce qui, parfois, fait des naissances multiples). Grâce à la technologie de la congélation, les embryons non utilisés (dits "surnuméraires") peuvent être conservés au lieu d’être détruits. Le choix des embryons à inséminer, lorsqu’il y en a plus que nécessaire, est donc crucial.

Or, la sélection des embryons ne se fait pas de manière aléatoire. D’un point de vue technique, il est facile de caractériser génétiquement chaque embryon et d’avoir une idée de ses faiblesses et forces génétiques. Comme la fivète est une technique statistiquement faible par rapport aux nombres de naissances, il n’y a pas encore de risque. Mais si on recourt plus systématiquement à la PMA, alors le risque est celui de l’eugénisme, le choix, pour une population, de sélectionner les embryons aux mêmes critères génétiques (voir par exemple l’excellent film "Bienvenue à Gattaca" d’Andrew Niccol sorti le 24 octobre 1997).

Dans "Les Usages du vivant" (éd. Neotheque, 2011), Jacques Testart a donné un élément particulier à propos du DPI : « Le DPI peut prospérer aussi parce que, dans nos familles des pays développés, les enfants sont aujourd’hui moins nombreux qu’autrefois, et sont donc considérés comme étant plus précieux, si bien que l’exigence de la qualité optimale de l’enfant amène à un refus catégorique du handicap. ».

Le risque d’eugénisme par présélection des embryons à inséminer est grave. Lors d’un colloque à Charleroi, le 24 mars 2017, Jacques Testart a conclu ainsi : « Il y aura une administration centralisée de cette normalisation de l’humain forcément avec des personnels de santé et peut-être un peu plus, avec des attitudes peut-être autoritaires vis-à-vis des récalcitrants, donc une planification sanitaire, et je pense, un péril pour l’espèce au bout du compte. Après quelques générations de ce régime-là, on aura profilé un humain assez arbitraire, celui que les experts espèrent. Mais celui-là aura peut-être du mal à survivre dans une situation où les changements climatiques nous promettent de nouvelles maladies, des petites bêtes qui vont muter pour lesquelles on n’est pas préparé. Et si tous les gens sont conformés de la même façon, il n’y aura pas, comme il y a eu pour la peste au Moyen-Âge, 30% de survivants, on y passera tous ! De tout ça, qui en parle ? Personne. C’est un message assez triste qui, à mon avis, n’est pas pessimiste mais réaliste. ».

Voici ce que disait Jacques Testart il y a déjà plus de onze ans : « Pour les couples procréant par fivète, il sera bientôt irresponsable de faire des enfants aléatoires, comme on faisant avant le progrès. On n’en est encore qu’à 2% d’enfants conçus en éprouvette et qui pourraient donc "bénéficier" du DPI sans servitude complémentaire pour leurs géniteurs. Mais qu’arrivera-t-il si la fivète n’est plus cette épreuve pénible que redoutent les futures mères dès qu’on saura produire les ovules en laboratoires par culture d’un échantillon ovarien, éventuellement conservé congelé pendant des dizaines d’années ? (…) Avec cette voie (…), on devrait concevoir des dizaines d’embryons par couple, parmi lesquels choisir un ou deux enfants désirés et garantis normés… incitant alors largement la population à recourir au couplage fivète-DPI. » ("Politis", le 4 septembre 2008).

Dans "La Croix" du 21 mars 2009, Jacques Testart a fait remarquer que si un dépistage préimplantatoire sur toutes les anomalies génétiques était systématique, la responsabilité des parents deviendrait écrasante tant socialement (ont-ils le droit de mettre au monde un enfant avec un handicap ?) qu’économiquement (la sécurité sociale resterait-elle valable pour des "géniteurs inconscients" ?). Il a fait cette proposition (déjà exprimée dès 2000) : « Une "politique de civilisation" ne devrait pas s’arrêter aux droits de l’homme mais s’attacher aussi à défendre des droits de l’humanité qui leur seraient opposables. Ainsi, pour le DPI, on pourrait opposer l’altérité à la sécurité génétique familiale (toujours illusoire) ; la diversité à la normalité (souvent arbitraire) ; la démarche d’adoption à la défense d’une lignée généalogique (le "sang") ; la solidarité (altruisme, aide aux handicapés…) à la compétitivité. » (21 mars 2009).

Contribuant à l’Encyclopédia Universalis, à l’article "eugénisme", Jacques Testart mettait en garde : « L’insémination artificielle fut, dès l’après-guerre et particulièrement aux États-Unis, la technique de choix pour une pratique d’eugénisme positif, grâce au recrutement de géniteurs sélectionnés dont la semence est proposée selon les lois du marché. (…) Par ailleurs, les analyses de laboratoires sont devenues capables de déceler des anomalies dans le nombre de chromosomes (aneuploïdies) ou des mutations de certains gènes, et, couplés à l’échographie fœtale, ces examens apportent une information déterminante à la femme enceinte pouvant motiver l’interruption médicale de grossesse. (…) Fort heureusement, le nouvel eugénisme n’a pas le caractère autoritaire et les effets mutilants de sa première version "scientifique" (…). Pourtant c’était déjà avec la caution et même avec la recommandation médicale que des individus furent stérilisés pour les raisons les plus variées. Plutôt que laisser croire que la sélection des embryons n’a rien à voir avec la castration des adultes, mieux vaut s’interroger sur les angoisses et les désirs qui nourrissent l’une et l’autre. Et aussi sur le risque totalitaire que comporterait la systématisation de pratiques sociales prétendant réaliser de tels fantasmes, même si c’est au nom du progrès et de la compassion. » (mis en ligne le 25 novembre 2007).


Contre l’autorisation des recherches sur les embryons humains

Jacques Testart s’est aussi élevé contre la légalisation des expérimentations sur les embryons humains : « Les recherches dites "sur l’embryon" sont (…) des travaux menés avec les cellules souches embryonnaires obtenues par dissection d’embryons "surnuméraires" (exclus de AMP [assistance médicale à la procréation]), elles ne visent pas la connaissance de l’être en développement mais seulement l’usage de ses parties nobles. » (Mediapart, le 28 mars 2011). Et de rappeler que cette recherche sur les cellules souches embryonnaires sont déjà dépassées par les travaux en 2007 de Shinia Yamanaka (Prix Nobel en 2012) sur les cellules dites iPS (induced pluripotent stem cells) que j’avais évoqués ici.

À ce sujet, Jacques Testart n’hésitait pas à parler d’un « aveuglément scientiste » et de faire preuve d’une grande incompréhension : « Puisqu’il s’agit des "lois de bioéthique" et non de principe de compétition internationale, on s’étonne de l’argument avancé par certains d’un risque de "retard" par rapport à des concurrents étrangers, en particulier pour d’éventuels brevets. Pourtant, la loi comme les discours obligés évoquent largement la "dignité" de l’embryon humain et le "respect" qui serait dû à cette potentialité de personne. » (Mediapart, le 28 mars 2011). Il militait au contraire pour ne pas se précipiter : « Qu’on demande à ceux-là de démontrer par l’expérimentation animale que le sujet est mûr et prometteur plutôt que taquiner le catho gratuitement ! car notre embryon connaît les mêmes lois que celui de n’importe quel mammifère et le miracle médical promis est improbable si on est incapable d’abord d’une compréhension scientifique. » ("Politis", le 4 septembre 2008).


Contre les enquêtes douteuses de l’INSERM sur des lycéens

Dans "Big Brother Awards, les surveillants surveillés", sorti en 2008 (éd. La Découverte), Jacques Testart a dénoncé la réalisation en mars 2007 d’une vaste enquête de l’INSERM sur plusieurs milliers de lycéens de Champagne-Ardenne qui avait obtenu l’accord du rectorat. Au-delà de l’aspect discutable de la procédure (seuls les lycéens majeurs étaient questionnés, pour éviter l’autorisation des parents, effet de surprise des lycéens, absence du personnel éducatif lors de la présentation des questionnaires, etc.), le biologiste a noté les questions intrusives (sur le comportement des parents, leur addiction éventuelle) ainsi qu’un prélèvement pour analyse ADN, l’idée étant de déterminer la "vulnérabilité génétique des comportements addictifs" (du nom de l’unité 675).

Jacques Testart a fustigé l’absence de garantie d’anonymat : « On ne dispose d’aucune garantie formelle que ces informations ne finissent pas dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Plusieurs témoignages soutiennent que les enquêteurs locaux (…) ont réduit les résistances en jouant sur l’effet de surprise, ce qui montre qu’ils avaient conscience de proposer une action discutable… tout en s’arrangeant pour qu’elle ne soit pas discutée. ». Rappelons que non seulement les lycéens "testés" sont en cause et susceptibles d’être fichés, mais aussi toute leur famille (frères et sœurs, parents, etc.) puisqu’il s’agit d’empreintes génétiques. Poursuivant : « Il reste que la conception de l’anonymat par l’INSERM est plutôt laxiste puisque cette exigence serait remplie par le seul faut que "les personnes de votre entourage n’auront jamais connaissance de vos réponses". ».

Le chercheur a surtout condamné le principe même de l’étude : « La recherche de facteurs génétiques expliquant les comportements se heurte à la logique comme à l’éthique. Chacun (…) convient de l’importance des facteurs environnementaux dans la construction de la personne physique et psychologique, c’est pourquoi il paraîtrait judicieux de mieux doter la recherche en psychologie, sociologie, anthropologie plutôt que courir chèrement derrière des gènes dont on ignore absolument comment les corriger. ».

Plus généralement, Jacques Testart est vivement opposé à toute mesure qui pourrait alimenter le fichier d’empreintes génétiques comme l’instauration de tests ADN pour le contrôle de l’immigration : « Ne pourrait-on plutôt voir dans cette mesure un moyen redoutable d’accoutumance au fichage génétique généralisé, l’étranger étant seulement le maillon faible propice à l’initiation de cette pratique ? Nous sommes déjà identifiés par des moyens biométriques (taille, couleurs des yeux et des cheveux, empreintes digitales, iris, système veineux…), par l’enregistrement de notre image (télésurveillance et bientôt drones espions), mais aussi par notre comportement de consommateur (carte bleue, puces RFID, Internet, GPS…), et même par notre gestuelle qui peut s’avérer équivoque pour des caméras dites "intelligentes", sans omettre les techniques réservées aux plus suspects (écoutes téléphoniques, bracelet électronique…). (…) L’anthropologue Gérard Dubey remarque qu’en un siècle seulement, après l’avènement de la biométrie, les repères ont évolué depuis l’être identifié socialement jusqu’à l’être défini biométriquement. Combien de temps faudra-t-il, après l’avènement de la génétique moléculaire, pour définir les êtres génétiquement ? Et en quoi le critère génétique est-il différent des critères biométriques classiques ? On sait que les jumeaux vrais, qui partagent le même ADN, montrent des empreintes digitales différentes (…). Il s’ensuit que la "reine des preuves" que constitue l’ADN pour la justice ne permettrait pas de discriminer des jumeaux aussi bien que le font les empreintes digitales ! (…) Rappelons que la biométrie a toujours fonctionné à la peur, peur de l’autre, et s’est généralisée sans opposition organisée, comme par effet de sidération laissant place à une véritable atonie sociale. ». ("Le Monde diplomatique" de juin 2008).


Contre le transhumanisme

Jacques Testart a estimé que l’AMP (assistance médicale à la procréation) est l’un des outils du transhumanisme qui n’est qu’un eugénisme qui refuse de dire son nom : « L’AMP, qui s’est ouverte à la détection de caractéristiques génétiques avec le tri des embryons, n’a pas su inventer une régulation internationale (voir l’expansion du tourisme médical) et a fini par devenir un enjeu financier, idéologique… Loin de se contenter de compenser un handicap affectant cette fonction essentielle qu’est la procréation, elle se transforme aujourd’hui en moyen de "dépasser" certaines propriétés de notre espèce, de la différence sexuelle au vieillissement, et représentera finalement une alternative généralisable à la procréation, depuis toujours aléatoire. Elle apparaît ainsi de plus en plus comme un élément du projet transhumaniste où l’homme "augmenté" serait confondu avec des machines intelligentes, combinaisons du vivant et du machinique, libérées de la violence et du sexe, et capables de s’auto-reproduire. "L’homme augmenté" sera la créature d’une société nécessairement policée dont l’ordre est déjà annoncé par des dipsositifs d’identification et de surveillance (empreintes génétiques, caméras, puces RFID)… Quel chemin tordu aurons-nous parcouru en fabriquant des enfants selon le profil conseillé par une biomédecine compassionnelle mais dominatrice, et en nous préparant à accepter la gestion docile de nos corps, à l’ADN étiqueté !… (…) Ce n’est pas un hasard si la mort aussi est progressivement médicalisée. Engendrer, jouir et mourir pourraient échapper aux arrangements entre humains que craint la machine normative et procédurière. » ("Le Monde diplomatique" d’avril 2014).

Et de conclure : « L’étincelle de lucidité entraînant la ferme volonté de réagir risque de ne surgir qu’à la suite de la dégradation des conditions matérielles et sociales, provoquant l’abandon de nos règles du vivre ensemble. (…) La course de vitesse entre l’autonomie de la technique et l’autolimitation de la puissance humaine est engagée. » (Avril 2014).

Plus récemment, Jacques Testart a souligné le grand danger du transhumanisme : « On ne peut pas toucher à un élément sans toucher à l’ensemble. Il y a deux choses sur lesquelles il est très difficile d’intervenir sans provoquer des effets indésirables : le génome et le cerveau. Les deux domaines sur lesquels se ruent les transhumanistes ! ». Exemple avec le maïs : « Pour le génome, certains maïs OGM [organismes génétiquement modifiés] résistent aux herbicides, mais quand il y a du vent, on ne sait pas pourquoi, la tige se casse au lieu de plier. On prétend maîtriser le vivant, mais au fond, on ne connaît pas grand-chose ! » ("Écho Magazine", le 28 juin 2018).

Dans "Libération" le 17 août 2018, il a complété : « [Le transhumanisme] est une idéologie qui prospère sur les innovations extraordinaires de la technoscience, que ce soit autour de la génétique, du cerveau, de l’intelligence artificielle. Il y a des trucs assez fantastiques qui donnent une prise pour faire croire que tous les mythes anciens, qu’on traîne depuis le début des temps, l’immortalité, l’intelligence supérieure ou le héros imbattable, vont devenir réels. Ce ne sont rien d’autres que des rêves enfants, une idéologie infantile. ».

Sans beaucoup d’optimisme sur ses capacités à convaincre une société qui l’a dépassé depuis longtemps dans ses habitudes sociales, Jacques Testart continuera toujours à exprimer ses convictions, quitte à ce que ce soit prêcher dans le désert…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Site officiel de Jacques Testart.
Jacques Testart.
Le mariage pour tous.
L’avortement.
La PMA.
François Jacob.
Vincent Lambert.
Le départ programme d’Inès.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Le réveil de conscience est possible !
Euthanasie ou sédation ?
Les expériences de l’étranger.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
Le risque de la GPA.
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Trofim Lyssenko.
Bientôt, les morts pourront parler !
En quoi le progrès médical est-il immoral ?
ADN : pour ou contre ? (23 octobre 2007).
Tests ADN : confusion au Sénat et péril pour le principe de filiation (3 octobre 2007).
Loi Hortefeux : tests ADN acceptés avec réticence (15 novembre 2007).
La traçabilité de la vie privée.
Trente ans de fécondation in vitro.
Robert Edwards Prix Nobel 2010.
Le fœtus a-t-il un état-civil ?
Le père de nos pères.
Notre arbre généalogique.
La rousseur du Néandertalien.
Un rival pour Darwin ?

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-22912219.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/10/09/37697662.html





 

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