Les citoyens ne seront finalement pas tout nus devant l’État régalien. Leurs craintes, exprimées notamment dans des pétitions, semblent avoir été entendues.
Après un vague silence estival uniquement rompu par les déclarations du président du MoDem François Bayrou, le décret du 27 juin 2008 avait finalement suscité une large polémique à la fin de l’été.
La contestation était allée jusqu’au sein même du gouvernement avec les interrogations un peu tardives du Ministre de la Défense Hervé Morin en sa qualité de président du Nouveau centre.
Les socialistes, toujours en retard d’une bataille, avait pris le train en marche, aidés d’une grande mobilisation des citoyens.
L’objet de la contestation ?
"Flicagisation" du pays
La mise en place (ou l’officialisation ?) d’un fichier répertoriant tous les responsables de la France qui agit, à partir de treize ans ou ceux susceptibles de troubler l’ordre public, ainsi que des caractéristiques tels que l’appartenance ethnique (à la définition vague), la santé, les déplacements, les orientations sexuelles etc.
Et tout cela sans contrôle et sans limitation dans le temps, si bien qu’une bêtise d’un mineur immature de treize ans serait restée encore dans le fichier cinquante années plus tard…
Un pas en arrière
C’est donc avec soulagement que les Français ont pu entendre le gouvernement faire machine arrière le 9 septembre 2008 à la demande du Président Nicolas Sarkozy.
La Ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie avait alors accepté de revoir la copie en expliquant : « J'entends des inquiétudes, je veux lever ces inquiétudes et toutes les ambiguïtés. ».
Un nouveau projet de décret a été rédigé (voir en document joint) et a été transmis le 19 septembre 2008 par le Ministère de l'Intérieur à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), puis il devra passer devant le Conseil d’État et ne devrait pas être publié avant un mois.
Que propose le nouveau décret ?
Il rappelle d’abord l’interdiction générale de collecter des données faisant apparaître les origines ethniques, les opinions politiques et religieuses, l’appartenance syndicale, ainsi que l’état de santé et la vie sexuelle des personnes.
Ensuite, il évoque une dérogation à cette interdiction pour deux motifs, sauf en ce qui concerne la santé et la sexualité qui, dans tous les cas, ne doivent pas faire l’objet d’un fichage.
Quels sont les deux motifs de dérogation ?
Le premier concerne les personnes qui peuvent porter atteinte à la sécurité publique. Cette notion reste vague, certes, mais ce motif est nécessaire pour combattre tout acte de violence légalement répréhensible.
Le second concerne les personnes qui font l’objet d’une enquête de moralité par l’administration pour l’exercice de certaines fonctions ou missions. Dans ce cas, les déplacements et les signes physiques ne peuvent faire l’objet d’un fichage qui devra être temporaire (maximum cinq ans).
Les données suivantes peuvent être enregistrées : motif du fichage, état civil, profession, coordonnées postales, téléphoniques et électroniques, signes physiques, immatriculation des véhicules, situation patrimoniales, casier judiciaire.
Les photographies peuvent être aussi enregistrées, mais ne doivent pas faire l’objet d’un dispositif de reconnaissance faciale.
Ces données peuvent concerner des mineurs de treize ans et uniquement pour le premier motif et ne peuvent être conservées au-delà du dix-huitième anniversaire sauf si un élément nouveau le justifie, auquel cas elles peuvent être conservées jusqu’au vingt-et-unième anniversaire.
Les mineurs de seize ans et plus peuvent être concernés par le second motif.
Aucune interconnexion ne pourra se faire avec d’autres fichiers.
Par ailleurs, le projet de nouveau décret précise en détail qui seront capables de consulter ce fichier et quel est son cadre contraignant (nécessité d’une désignation spécifique par un responsable).
Un meilleur encadrement du fichier
En clair, ce nouveau texte prend en compte toutes les recommandations de la CNIL, sauf sur le plan technique, à savoir la traçabilité des consultations et la protection du fichier contre d’éventuels hackers.
Sur ce sujet, deux observations : d’une part, il est sain que les nombreuses protestations aient été entendues par l’Exécutif. D’autre part, ce fichier, s’il n’était pas instauré officiellement, l’aurait été officieusement. La délinquance qui concerne des individus de plus en plus jeunes le nécessite sans doute pour une meilleure efficacité.
Accepter son existence ne me gêne pas s’il est bien encadré, pas systématique (en fonction des responsabilités des personnes), limité dans le temps et si tout n’y est pas consigné, ce qui semble désormais le cas.
Ce ne sera donc plus le fichier Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale (EDVIGE) mais le fichier Exploitation documentaire et valorisation de l'information relative à la sécurité publique (EDVIRSP).
Où a été la faute ?
De deux choses l’une :
Ou le gouvernement avait une mauvaise idée derrière la tête, celle de vouloir ‘fliquer’ le maximum de citoyens pour contrôler le plus possible tous les mouvements de l’opinion. Et dans ce cas, pourquoi aurait-il reculé si vite, après quelques semaines de protestations qui n’avaient pourtant pas atteint l’amplitude du CPE au printemps 2006 ?
Ou le gouvernement avait juste pris une mesure très technique pour utiliser un fichier de manière plus globale, quitte à alourdir imprudemment la barque, sans imaginer les risques énormes qui pèseraient sur les libertés publiques (pourtant bien signifiés par la CNIL). Et alors, dans une rentrée sociale déjà préoccupante, il n’a pas eu beaucoup de mal à reculer et à refaire, un peu mieux, son boulot.
Je pense que la seconde hypothèse est la plus vraisemblable.
Cette réécriture est donc heureuse.
Elle montre que le gouvernement, finalement, fait preuve d’un peu d’écoute mais surtout que les textes administratifs sont souvent mal préparés (c’était déjà constaté avec le projet initial de la loi constitutionnelle sur la réforme des institutions).
Précipitation et boulimie ne font pas forcément bon ménage avec sagesse et réflexion.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 septembre 2008)
Pour aller plus loin :
La CNIL critique la première version du fichier Edvige (22 juillet 2008).
Décret du 27 juin 2008.
L’avis de la CNIL du 2 juillet 2008.
Le texte du projet de nouveau décret.
Source : France Info (25 septembre 2008).
Tasez-vous ! (10 septembre 2008).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=44918
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080926/tot-fichier-policier-edvige-est-allee-se-89f340e.html
http://www.lepost.fr/article/2008/09/26/1274200_fichier-policier-edvige-est-allee-se-rhabiller_1_0_1.html