Il y a exactement cinquante ans, le 8 janvier 1959, le général Charles De Gaulle était investi à grandes pompes nouveau Président de la République. Il succédait au Président René Coty qui s’était effacé.
Cette investiture est la fin du long processus qui permit le retour au pouvoir de De Gaulle depuis la crise de mai 1958. Elle n’était pas du tout évidente comme on pourrait sembler le croire aujourd’hui.
Remise à zéro des compteurs de la République
Petit rappel chronologique : après un été où De Gaulle se consacra, avec un comité consultatif, de rédiger une nouvelle Constitution, celle-ci est largement approuvée par référendum le 28 septembre 1958 puis promulguée le 4 octobre 1958.
Ensuite, des élections législatives ont été organisées les 23 et 30 novembre 1958.
Oui, des élections législatives : car cette nouvelle République est restée avant tout une République parlementaire. Le renouvellement de l’Assemblée Nationale était donc un élément-clef.
Si au premier tour, le nouveau parti gaulliste (l’Union pour la nouvelle République) ne recueillit que 18% des suffrages exprimés, soit en deuxième place derrière le Parti communiste français (19%), au second tour, il obtint une majorité relative avec 35% des suffrages et 189 sièges sur les 579 au total, réussissant à réunir une large majorité avec les 132 indépendants (futurs RI de Giscard d’Estaing), 81 divers droite, 57 centristes du MRP et même deux gaullistes de gauche…
Le 9 décembre 1958, Jacques Chaban-Delmas fut élu Président de l’Assemblée Nationale pour cette première Législature qui commençait.
Jusque là, rien que du normal.
Quid d’un Président d’entre-deux-régimes ?
René Coty, élu pour sept ans le 23 décembre 1953 (et investi le 16 janvier 1954), devait normalement terminer son mandat dans la nouvelle République jusqu’en janvier 1961 et laisser à Charles De Gaulle son rôle prédominant à Matignon dans les nouvelles fonctions de Premier Ministre.
D’un point de vue constitutionnel, le situation restait assez floue : la promulgation de la nouvelle Constitution entraînait-elle forcément la désignation de tous les hauts responsables de l’État ou pas ?
Le cas d’Albert Lebrun est intéressant.
En 1944, il fut en effet assez cocasse d’apprendre la revendication d’Albert Lebrun, réélu pour sept ans Président de la République le 5 avril 1939, pour reprendre possession de l’Élysée et terminer son mandat jusqu’en avril 1946 malgré quatre années de Régime de Vichy. Ni De Gaulle, ni les présidents des deux assemblées parlementaires de 1940 (Édouard Herriot et Jules Jeanneney) ne répondirent à son appel (Jules Jeanneney avait d’ailleurs été battu par Albert Lebrun le 1er juin 1931 pour la Présidence du Sénat, poste tremplin pour l’Élysée sous la IIIe République).
De Gaulle reçut cependant en 1945 Albert Lebrun qui avait voulu en vain au moins lui transmettre officiellement le pouvoir. De Gaulle le considéra avec très peu d’égard : « Comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un État. » (en ce sens, Albert Lebrun fut sans doute l’un des plus mauvais Présidents de la République qui connut la crise du 6 février 1934, le Front Populaire et la Seconde guerre mondiale, en désignant sans sourciller à Matignon aussi bien Léon Blum en 1936 que Philippe Pétain en 1940).
Officiellement, la République française affirme qu’entre le 10 juillet 1940 (création du Régime de Vichy) et le 16 janvier 1947 (investiture de Vincent Auriol), il n’y a pas eu de Président de la République (voir sur le site de l’Élysée).
Mais revenons à 1958 : le flou constitutionnel a vite été levé par De Gaulle lui-même qui fit part à Coty, en automne 1958, de sa volonté de devenir Président de la République. René Coty, qui contribua de façon décisive à le remettre au pouvoir, renonça naturellement à ses fonctions.
Calendrier électoral de la fin 1958
Comme on le remarque bien, le calendrier électoral était donc très différent de celui qui existe depuis 2002 : l’élection présidentielle a eu lieu en 1958 APRÈS les élections législatives. Et pour cause : le Président de la République était désormais élu par un collège de 80 000 délégués, dont les parlementaires, leur renouvellement était donc nécessaire.
Sans beaucoup d’incertitude donc, Charles De Gaulle fut élu Président de la République le 21 décembre 1958 (avec 78% des voix) et investi à la tête de l’État le 8 janvier 1959.
Au moment de la passation des pouvoirs, René Coty, dans une des phrases qu’il sut si bien formuler pour l’Histoire, constata simplement que « le premier des François est désormais le premier en France ».
En décidant de ne pas rester à Matignon et d’aller à l’Élysée, De Gaulle avait fait le véritable changement de régime, bien plus que le nouveau texte fondamental adopté en 1958.
Il nomma Premier Ministre le jour même (8 janvier 1958) son Garde des Sceaux Michel Debré ainsi que son gouvernement composé principalement de gaullistes (UNR) comme Maurice Couve de Murville, Edmond Michelet et Jacques Soustelle, d’indépendants (CNIP) comme Antoine Pinay, Valéry Giscard d’Estaing et Louis Jacquinot et de centristes (MRP) comme Robert Lecourt, Pierre Sudreau, Robert Buron et Joseph Fontanet, ainsi que des personnalités indépendantes comme André Malraux ou Jean-Marcel Jeanneney (fils de Jules Jeanneney), futur soutien de Ségolène Royal.
C’est dans ce gouvernement que furent nommés par la suite, lors du remaniement du 5 février 1960, Pierre Messmer aux Armées et Jean Foyer, d’abord aux Relations avec les États de la Communauté, puis à la Coopération (le 18 mai 1961).
Un Premier Ministre qui n’est plus l’initiateur de la politique nationale
Michel Debré, collaborateur fidèle d’une loyauté absolue à De Gaulle jusque dans le processus d’indépendance de l’Algérie, principal rédacteur de la nouvelle Constitution, devenait donc un Premier Ministre, qui ne serait plus que le « premier des ministres » et qui inaugura cet Exécutif à deux têtes qui fait à la fois les ambiguïtés et la souplesse de cette République.
Le Premier Ministre François Fillon, ramené au rang de simple collaborateur du Président Nicolas Sarkozy, n’est que le dernier de la liste pourtant longue où nominations et renvois (constitutionnellement parlant, démission, encore que De Gaulle eût demandé des démissions en blanc, sans la date) pourraient parfois relever du caprice du prince (notamment en mai 1991 lors de l’éviction de Michel Rocard et de la nomination d’Édith Cresson).
Finalement, seuls les Premiers Ministres de la cohabitation (Jacques Chirac, Édouard Balladur et Lionel Jospin) ont eu non seulement un rôle politique majeur durant ces périodes mais aussi l’assurance paradoxale de la stabilité (jusqu’à la prochaine élection présidentielle).
Que reste-t-il ?
Michel Debré s’était lui-même placé en dissidence du parti gaulliste lorsque Jacques Chirac l’avait conquis dans les années 1970, jusqu’à se présenter à l’élection présidentielle de 1981 contre Jacques Chirac.
Ses deux fils jumeaux se sont, eux aussi, installés dans la République gaullienne : d’abord l’urologue Bernard Debré, Ministre de la Coopération sous Balladur et actuel député du 16e arrondissement de Paris, et ensuite Jean-Louis Debré, Ministre de l’Intérieur sous Juppé, Président de l’Assemblée Nationale de 2002 à 2007 et actuel Président du Conseil Constitutionnel.
Quant à Charles De Gaulle, il est certes une figure historique majeure de la France, mais maintenant un peu oubliée politiquement à tel point que même le parti gaulliste n’existe plus en tant que tel depuis sa fusion avec une partie de l’UDF en 2002.
Le gaullisme était la réunion de principes forts et d’un réel pragmatisme. Les rares hommes politiques d’aujourd’hui qui tentent d’imaginer ce que De Gaulle aurait pensé aujourd’hui me paraissent donc bien imprudents :
De Gaulle serait-il contre le Traité de Lisbonne ?
Il a quand même noué l’amitié franco-allemande et a appliqué le Traité de Rome qui venait juste d’être signé.
De Gaulle serait-il contre la décentralisation ?
Il a quand même proposé un projet de régionalisation en 1969 qui ne fut pas adopté.
Pour qui De Gaulle aurait-il voté en 2007 ?
Le nationalisme d’opérette et le plébiscite participatif de Ségolène Royal, les racines vaguement gaullistes de Nicolas Sarkozy ou les postures gaulliennes de François Bayrou ? François Fillon, gaulliste social qui applique le libéralisme ? Alain Juppé, dauphin de Jacques Chirac, représentant l’élite de la technocratie française (en excellence et en arrogance) ? Dominique de Villepin, le fougueux fonctionnaire littéraire haïssant les élections et les partis ? Jean-Pierre Raffarin, le calme promoteur des entrepreneurs ?…
Aujourd’hui, près de quarante années après sa mort, De Gaulle n’appartient plus à personne car il appartient à tout le monde, à tous les citoyens français.
Comme toutes les grandes figures politiques, de Jeanne d’Arc à Clemenceau… en passant par Jaurès.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (8 janvier 2009)
Pour aller plus loin :
Les 50 ans de la Ve République (1).
Le véritable coup d’État de mai 1958.
Répertoire sur les institutions.
François Bayrou et De Gaulle.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=49707
http://fr.news.yahoo.com/13/20090108/tot-les-50-ans-de-la-ve-republique2-89f340e.html
http://www.lepost.fr/article/2009/01/08/1379244_les-50-ans-de-la-ve-republique-2.html