M. Christian Eckert s’est associé aux questions posées sur la chronologie des événements et sur l’absence d’informations relatives à la crise, pourtant largement commentée aux États-Unis.
Plus fondamentalement, faut-il craindre une crise de même nature au sujet des mécanismes de type LBO ? De LBO en LBO, les entreprises se rachètent et se revendent avec des crédits gagés sur des bénéfices hypothétiques. On a l’impression d’assister à la formation d’une bulle financière qui, outre la grave crise financière que son éclatement pourrait entraîner, induit une crise industrielle : les vues exclusivement financières des acquéreurs d’entreprises privent celles-ci des stratégies industrielles dont elles ont grand besoin.
M. Jean-Yves Cousin a demandé où en est l’application de Bâle II dans le système bancaire français. Le nouveau dispositif, quand il sera définitivement mis en place, permettra-t-il d’éviter des crises semblables à celles que nous traversons ?
Le Président Didier Migaud a résumé le sentiment général de la commission en formulant l’hypothèse que la crise était pour ainsi dire exagérément sous-estimée par les spécialistes auditionnés.
M. Christian Noyer a convenu que ses propos ont pu paraître trop optimistes. La solidité des banques, l’efficacité du système de supervision mis en place par le législateur, et enfin le fait que la Commission bancaire et le prêteur de dernier ressort soient abrités sous le même toit, ont été autant d’atouts pour faire face à la crise. L’exposition est certes réelle et les montants en cause ne sont nullement négligeables. Cependant, rapportés à l’ensemble des risques portés au bilan des banques françaises, aux fonds propres et aux revenus issus des activités bancaires classiques, les revenus provenant des activités de marché de titrisation sont faibles. Sans exclure l’existence, ici ou là, de poches de pertes, les risques sont limités, d’autant que, lorsqu’il s’agit d’actifs titrisés, certains sont de bonne qualité.
Il n’en reste pas moins que les deux questions posées par M. Gilles Carrez et reprises par plusieurs autres commissaires sont cruciales.
Nous avons assisté à une vraie crise de liquidité. Celle-ci n’est pas terminée. Elle frappe l’ensemble de la zone euro, tout comme la zone dollar et la livre sterling. En France, la liquidité provenait en grande partie des OPCVM.
Depuis cet été, la crainte de retraits les conduit à privilégier des valeurs très liquides. Les titres arrivant à échéance ne sont pas renouvelés dans les mêmes proportions. Dès lors, les gestionnaires apportent leurs liquidités à très court terme en dépôt à vue auprès des banques, lesquelles doivent prendre le relais : c’est ainsi qu’elles pourvoient au financement d’entreprises qui n’arrivent plus à placer leurs billets de trésorerie et, plus généralement, qu’elles assurent le relais de ce qui était autrefois financé par des produits structurés. Dès lors, leurs actifs augmentent et leur passif devient plus liquide.
La crise de confiance généralisée se traduit par une méfiance entre les banques et réduit la portée des ajustements interbancaires : on ne prête à d’autres banques qu’à très court terme, craignant d’être soi-même confronté à des problèmes de liquidités. Il en résulte ces problèmes de désajustement de liquidités : les liquidités sont excédentaires dans certaines banques, déficitaires dans d’autres, suivant les périodes. C’est ainsi que certaines banques sont venues chercher de la monnaie à la banque centrale tandis que d’autres lui laissaient leurs liquidités en dépôt au jour le jour.
Depuis le mois d’août, la Banque de France s’efforce de restaurer la confiance pour faire redémarrer le marché interbancaire. L’entreprise se révèle difficile et prendra du temps. Certaines liquidités ont été fournies à trois mois, mais d’autres à vingt-quatre heures, si bien qu’elles étaient remboursées le lendemain : il ne faut donc pas additionner les montants, comme l’ont fait certains journalistes.
La Fed, pour sa part, a élargi les possibilités d’accès, notamment en modifiant les modalités d’utilisation de sa fenêtre d’escompte, mais les efforts des banques centrales sont loin d’avoir restauré les conditions d’un marché normal.
S’agissant maintenant des incidences sur l’économie, on observera d’abord que la crise s’est produite à un moment du cycle différent aux États-Unis et en Europe. Le ralentissement de l’économie américaine commence au milieu de l’année 2006, alors que la zone euro est encore, au milieu de l’année 2007, dans une phase d’accélération ou de fin d’accélération. Le cycle de politique monétaire des deux banques centrales est lui aussi décalé : la Réserve fédérale a commencé à augmenter ses taux au milieu de l’année 2004 et la BCE à la fin de l’année 2005.
La Fed craint que la crise ne provoque un ralentissement du fait de son impact sur les consommateurs, si bien qu’elle a pour l’instant modifié sa politique monétaire. Dans la zone euro, on n’a pas constaté d’impact macroéconomique. Néanmoins, compte tenu des incertitudes, la BCE a décidé au début du mois de septembre de ne prendre aucune décision de mouvement des taux. On a donc considéré début septembre qu’il était trop tôt pour déterminer si la crise pouvait avoir un impact macroéconomique, et donc des conséquences sur la croissance. L’incertitude quant à l’économie internationale s’étant clairement accrue, des répercussions sont possibles pour nous, notamment l’année prochaine.
En tout état de cause, l’incertitude est bien supérieure à ce que l’on pouvait envisager à la fin de juillet ou au début d’août.
En ce qui concerne Bâle II, le dispositif répond assez bien à la question de la prise en compte des risques – notamment les risques hors bilan – pour les banques. Les lignes de crédit seront prises en compte dans les exigences de fonds propres. Les banques devront donc être plus attentives à la qualité des risques.
Ce progrès important ne permettra cependant pas de tout régler. La question de la liquidité, notamment, n’est pas traitée. La France insiste dans les instances internationales pour que l’on achève les travaux sur ce sujet, et l’on peut espérer que la crise accélérera le processus. En matière de liquidités, les règles sont assez rigoureuses en France – trop, selon certaines banques – mais elles sont beaucoup plus dispersées sur le plan international. Or plus il y a de règles communes, plus le système est sûr et permet d’éviter les effets de contagions.
S’agissant de BNP-Paribas et du risque de réputation, il y a eu confusion entre le risque encouru par la banque elle-même et le risque de sa gestion pour compte de tiers. Le souscripteur d’un produit réglementé de type OPCVM a droit à une information complète et transparente : il doit savoir à quel degré de risque il s’expose. Il faudrait qu’il en aille de même pour les produits de taux, car le risque est très différent selon qu’il s’agit de produits reposant sur des bons du Trésor et des dépôts à court terme ou de produits comprenant des éléments exotiques permettant d’afficher un rendement supérieur pendant quelque temps, mais avec des risques accrus.
Quant à la chronologie des événements, on pourra se reporter au numéro de décembre 2006 de la Revue de stabilité financière de la Banque de France. Tous les éléments d’analyse y figurent : sous-évaluation des risques, appétit excessif pour le risque, problèmes intrinsèques au mécanisme de titrisation, manque de transparence, faible liquidité des produits structurés, incertitudes entourant leur valorisation. L’analyse existait bel et bien : sans doute aurait-il fallu lui donner plus d’écho. Au demeurant, les travaux de la Banque des règlements internationaux aboutissaient aux mêmes conclusions. Il convient donc de réfléchir aux moyens d’exercer une influence plus forte ex ante.
Au sujet du LBO, on assiste en effet à une importante baisse des financements. Ceux-ci étaient extrêmement risqués et déraisonnables, ils avaient suscité l’inquiétude des autorités de supervision. Après leur brutale interruption, la Banque de France sera attentive à ce qu’ils repartent sur des bases plus saines.
M. Michel Prada a estimé que les régulateurs ont toujours un problème de communication. Leur style et leur ton, éloignés de la chaleur des débats, font que leur message ne passe pas toujours très bien.
Pourtant, voilà plus de deux ans que le Forum de la stabilité financière et plusieurs autres instances internationales font état de leurs craintes sur ces sujets. Il faut rappeler à cet égard que, au moment de la bulle Internet, la Commission des opérations de bourse – COB – lançait des avertissements sur plus de la moitié des introductions en bourse. Or ces avertissements avaient presque un effet inverse : plus on formulait d’avertissements sur les risques, plus les souscripteurs se précipitaient ! M. Jean-Pierre Mustier a évoqué les raisons pour lesquelles l’enthousiasme général est difficile à tempérer. A contrario, il est toujours très difficile pour le régulateur de sonner le tocsin car l’impact peut aussi être considérable. Il faut donc convenir que les contraintes de communication auxquelles il est soumis sont spécifiques.
L’AMF pense bien entendu qu’il faut améliorer le fonctionnement de la notation et des systèmes d’évaluation. Il pourrait aussi être intéressant de créer des marchés secondaires sur des produits standardisés, sachant cependant que ce ne sont pas les régulateurs qui créent les marchés. Les marchés organisés répondent en général de façon plus flexible et moins dramatique aux évolutions du type de celle que nous avons connue.
Pour ce qui est de la communication au plan domestique, si des progrès sont en effet souhaitables, il n’en reste pas moins que les informations sur les produits en cause étaient claires. Il n’est pire sourd qui ne veut entendre ! Du reste, la plupart des acheteurs de produits dits « dynamiques » sont des investisseurs professionnels, qui ne peuvent ignorer la prise de risque. Le grand public, lui, n’a guère été touché jusqu’à présent. Les conditions de commercialisation et d’information devront certes être améliorées. La directive sur les marchés d’instruments financiers amènera d’ailleurs les acteurs à améliorer leur comportement et leurs méthodes en la matière et permettra de mieux responsabiliser les professionnels.
S’agissant de BNP-Paribas, on peut en effet parler de problème de communication, puisqu’il y a eu confusion entre les fonds propres de la banque et les produits de gestion pour compte de tiers. Mais, quand BNP-Paribas a estimé être en mesure de pouvoir rouvrir ces fonds, elle a expliqué qu’elle le faisait via le marché, dans des conditions qui prenaient en compte de légères pertes sur les actifs. Ce n’est donc pas la même démarche qu’une « mise en face » du compte propre de la banque.
Au total, on ne saurait considérer que les choses sont réglées. La crise n’est pas terminée au États-Unis, mais elle est en cours de solution. Sans céder à une forme de benign neglect, on peut avoir le sentiment que la situation évolue plutôt dans le bon sens. De sérieuses difficultés demeurent néanmoins et un travail considérable reste à faire, notamment pour mieux prendre en compte les problèmes de liquidité et pour améliorer la transparence et la connaissance de ce qui échappe à la sphère régulée. Le sujet de la compréhension des phénomènes qui interviennent hors marché régulé reste largement devant nous.
M. Jean-Pierre Mustier, revenant sur la question de savoir s’il y a eu crise ou non, a remarqué que l’indice Dow Jones a atteint le 1er octobre son plus haut niveau historique. Sans doute cette hausse est-elle imputable à la baisse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale, mais on constate surtout une déconnexion entre l’approche des investisseurs en actions et l’approche des investisseurs de crédit ou celle des banques dans la gestion de leurs liquidités. Les investisseurs en actions conservent une vision positive. Celle-ci est peut-être aujourd'hui décalée, mais elle se traduit par un mouvement de confiance assez fort quant à la capacité des entreprises à continuer d’accroître leurs profits et à la valorisation des marchés d’actions par rapport au marché de taux d’intérêt. Il convient donc de relativiser la crise et de ne pas ressasser ce sujet : il est préférable d’étudier les moyens permettant d’évoluer.
Par ailleurs, si les appels à la transparence sont légitimes, nul ne peut dire aujourd'hui où sont les risques des subprimes, puisque ceux-ci ont été divisés, répartis et vendus. Il s’agit d’un mauvais débat : dans un marché « désintermédié », l’important est de s’assurer que les principaux intervenants – banques, intervenants régulés – sont transparents sur leurs résultats et leurs risques et que les produits qu’ils vendent à leurs clients sont conformes à ce principe de transparence. En revanche, on ne saurait déterminer où est le risque pour le tracer et l’inclure dans un environnement réglementaire : ce n’est pas le bon débat.
La « désintermédiation » permet de donner beaucoup plus d’amplitude au marché du crédit, ce qui a pour effet de soutenir la croissance économique. S’y opposer serait une erreur. Au demeurant, le marché des actions est depuis longtemps « désintermédié » : lorsque la bourse baisse, on ne cherche pas où sont les pertes. Le marché du crédit est en train de connaître la même révolution. L’important est de s’assurer de la transparence des banques sur leurs risques et sur leur solvabilité, et de retravailler l’ensemble des processus de gestion de la liquidité, dont il faut reconnaître qu’ils ont été quelque peu oubliés.
De plus, la nouvelle directive sur les marchés d’investissement permettra de s’assurer que les banques vendent les bons produits aux bons intervenants. Elle donnera en fait un cadre réglementaire à ce que les banques pratiquent depuis longtemps, tout en formalisant la transparence de l’information sur les produits vendus.
Il faut donc accepter que le crédit se « désintermédie » et trouver la manière de bien encadrer ce processus. À cet égard, il n’est pas certain que la création d’un marché organisé de la titrisation, forcément très complexe, résolve le problème. Bâle II permettra déjà d’encadrer la titrisation, puisque les engagements hors bilan de titrisation donneront une charge de fonds propres pour les banques. S’agissant des règles de liquidité, chaque banque doit pratiquer l’autodiscipline et s’assurer, dans des marchés où il leur revient de financer des actifs servant à la transformation de certains produits, que les financements sont adéquats. Dans cet ordre d’idées, la liquidité doit être bien distinguée de la solvabilité.
En ce qui concerne l’impact de cette crise très spécifique sur l’économie, les économistes prévoient un ralentissement de la croissance aux États-Unis et en Europe mais pas de récession. Il existe certes un risque découlant de la possibilité d’un effet richesse inversé. Les mises en vente de maisons se multiplient aux États-Unis et l’on sait que le consommateur américain finançait en fait la croissance en pratiquant l’« equity withdrawal ». Assurément, cet angle de financement va disparaître. Si le risque de récession n’existait pas, la Réserve fédérale n’aurait pas baissé ses taux de 0,5 point. Ira-t-on très loin dans le ralentissement ? Ni les marchés d’actions ni les économistes ne le laissent à penser, mais la probabilité est plus importante qu’au mois de juin.
Pour ce qui est enfin du refinancement, on notera que les entreprises ont pu se refinancer grâce à la « désintermédiation » du crédit, avec des « spreads » – coûts du crédit imputés par les banques au-delà du taux d’intérêt des banques centrales – qui ont été divisés par plus de deux sur les trois dernières années. Tout le monde voulant investir dans le crédit, les entreprises ont trouvé des conditions de refinancement particulièrement attractives, à des taux beaucoup trop bas par rapport au degré de risque. Dans ces conditions, les banques détruisaient de la valeur en prêtant aux entreprises.
On assiste aujourd'hui à un retour à la normale. Les « spreads », certes toujours très bas, vont revenir au niveau de fin décembre 2004. Le refinancement sera donc un peu plus cher pour les entreprises mais les taux resteront raisonnables. En revanche, en cas de récession avérée, la règle du jeu changera : il y aura une restriction du crédit et les intervenants travailleront différemment. Néanmoins les conditions ne paraissent pas réunies aujourd'hui pour laisser prévoir un retournement de la croissance.
M. Richard Hunter a estimé pour sa part que l’on ne peut affirmer que tout va bien quand on sait que le nombre de défaillances va augmenter. Au cours des trois dernières années, on a observé en parallèle un excès de liquidités et un faible taux de défaillances. Pour autant, les défaillances vont se multiplier, notamment dans le LBO et dans certains compartiments du crédit à la consommation. Heureusement, les agences de notation ne délivrent pas que des « AAA » : il y a aussi des « B », voire des « CCC ». Ce sont ces catégories qui connaîtront le plus de défaillances.
Sur la question de la chronologie de l’intervention des agences, on savait dès 2005-2006 que certains emprunteurs de moindre qualité commençaient à avoir accès au marché du crédit immobilier. Les agences ont alors augmenté leurs prévisions de pertes pour ces structures. Si l’on compare le pool de crédits subprime et le pool de crédits prime – de bonne qualité –, le ratio de défaillances est quatre fois plus élevé pour le premier. Les statistiques ont démontré que le nombre de défaillances qui se sont réellement produites est supérieur aux estimations des agences pour les subprimes.
Il faut rappeler que les hypothèses reposaient sur un historique de données de 15 ans pour l’ensemble du marché, contre seulement quelques mois pour les opérations nouvelles. Or, les agences se sont vues reprocher de surestimer les pertes dans le secteur résidentiel sur les 15 dernières années.
Confrontées à des pertes plus importantes qu’attendu, les agences ont néanmoins dû revoir leurs hypothèses. Nous devions donc choisir entre placer la totalité du secteur sous surveillance ou prendre quelques semaines de plus pour identifier les opérations dont la note devait être abaissée – ce qui n’a finalement été le cas que pour 11 % environ du portefeuille. Si nous avions placé les 500 milliards de dollars sous surveillance négative, il est probable que le marché nous aurait critiqué de la même façon. Nous aurions sans doute apporté moins d’informations et le marché ne s’en serait pas mieux porté.
S’agissant enfin de la responsabilité des agences de notation et de l’idée d’instaurer un « notateur des notateurs », on sait que Bâle II prévoit une procédure d’agrément pour les agences de notation : chaque année, celles-ci devront passer devant la commission bancaire pour lui présenter tous leurs résultats et toutes leurs notations. Si, pour une raison quelconque, la commission n’approuve pas ces résultats, elle peut rayer l’agence de la liste. Pour le reste, les agences sont soumises aux règles habituelles relatives à la responsabilité des entreprises. En réalité, c’est plutôt le marché qui les juge. Ainsi, lorsque Moody a revu cette année la notation de certaines banques, le tollé a été tel qu’elle a dû revenir sur ses évaluations ; de même, cet été, des billets de trésorerie adossés à des actifs n’ont pu être renouvelés parce les acteurs n’accordaient pas foi aux notations. Les agences ne peuvent s’en réjouir mais, si la situation perdure, le marché se passera de leurs services et trouvera d’autres moyens de fonctionner.
M Jérôme Chartier a tout d’abord relevé, concernant BNP-Paribas, que le 23 août cet établissement affirmait que « les conditions étaient réunies pour reprendre le calcul de la valeur liquidative ainsi que le rachat des parts des OPCVM des trois fonds investis partiellement dans des titres liés aux subprimes ».
Il a ensuite remercié M. Richard Hunter pour l’honnêteté dont il a fait preuve dans ses propos. Pour reprendre la formule de Georges Ginesta, le métier des agences de notation ressemble à celui des instituts de sondage : lorsque ces derniers ne se trompent pas, on s’en félicite, mais lorsqu’ils se trompent on saisit la Commission des sondages. Une agence de notation ne lit pas l’avenir dans une boule de cristal. En l’occurrence, le problème avait été repéré et la question se posait de l’attitude à adopter : le dire tout de suite ou laisser passer quelques semaines. Du fait de l’ampleur de la crise financière actuelle, on reproche aux agences de n’avoir pas choisi la première solution, mais, si rien ne s’était passé, les agences auraient fait leur métier et personne ne s’en serait aperçu.
M. Henri Bourguinat a rappelé que M. Michel Aglietta et lui-même avaient produit ces dernières années plusieurs publications sur les risques en question.
Le problème de fond est celui de la titrisation, qu’il serait naïf de vouloir démanteler d’un seul coup. L’idée de « granularité » du risque par la titrisation doit être prise au sérieux. Dans la titrisation de première génération, le banquier se contentait de transférer le risque. La titrisation de deuxième génération constitue en revanche des blocs de crédits regroupant des créances qui n’ont pas du tout le même comportement et ne présentent pas le même coefficient de risque, mais qui évolueront de conserve en ce qui concerne l’opinion qu’en auront les souscripteurs. Il faut que l’on prenne conscience de ce changement de cadre. Une réaction des régulateurs est à cet égard souhaitable.
M. Michel Aglietta a souligné que l’effet de richesse inversé jouera forcément. On peut définir l’effet de richesse par le fait que les ménages peuvent consommer plus que leurs revenus courants lorsque l’accroissement du prix de leurs actifs leur permet d’obtenir du crédit supplémentaire et meilleur marché. Aujourd'hui, la richesse des ménages baissant massivement du fait de la chute des prix de l’immobilier – laquelle est loin d’être achevée –, le crédit devient plus cher. En conséquence, conformément au lissage intertemporel de la consommation, les ménages vont consommer moins que leurs revenus. Une étude récente, réalisée par M. Frederic Mishkin, gouverneur de la Fed, a mis en évidence tous les canaux de transmission entre la situation des ménages et l’économie globale.
Par ailleurs, beaucoup de ménages vont se trouver soumis à des contraintes de cash flow pour rembourser des crédits avec des taux d’intérêts qui auront augmenté. C’est en 2006 que la masse énorme des prêts subprime a été réalisée, si bien que la réévaluation des taux interviendra en 2008, et ce pour des ménages déjà extraordinairement endettés. L’hypothèse moyenne est qu’il en coûtera 1 % de croissance de la consommation aux États-Unis l’année prochaine. Il est heureux, à cet égard, que la Fed n’ait pas attendu que le processus économique soit déjà engagé, car il aurait alors été trop tard. Comme à l’époque de M. Greenspan, la Fed fait du risk management. Elle a donc baissé massivement ses taux bien avant que les effets économiques ne soient tangibles, sachant qu’une baisse de taux ne produit ses effets qu’à échéance de six mois au minimum. Les menaces qui se profilent pour le printemps pourraient donc être écartées par l’action actuelle.
L’autre risque important est la baisse du dollar, qui se poursuivra inévitablement puisque les taux d’intérêt américains baisseront plus qu’ailleurs et que le rendement des actifs en dollars diminuera par rapport aux autres monnaies.
Si le glissement du dollar est assez régulier, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, car cela permettra aux États-Unis de rétablir une partie de leur balance commerciale et, par ricochet, de restabiliser le dollar tout en soutenant la conjoncture. Cependant, au vu de la dette accumulée vis-à-vis des non-résidents, on peut craindre que de gros investisseurs institutionnels du monde entier, perdant patience devant la faible rentabilité des actifs en dollars, ne réalisent des arbitrages et ne fassent basculer la monnaie américaine dans la crise. L’économie mondiale entrerait alors en récession : les taux d’intérêt longs des États-Unis monteraient au lieu de baisser et le financement du déficit courant se reporterait de l’extérieur vers l’intérieur.
Beaucoup de choses tiennent donc au doigté de la Fed, comme à chaque période de crise. On l’a vu au Japon : une politique trop attentiste de la part de la banque centrale peut enfoncer dans la récession un pays déjà en crise financière.
Au sujet des agences, il est bien connu, en théorie économique, que le moins efficace des marchés est l’oligopole, puisqu’il prélève des rentes importantes sur l’économie. À un moment où l’on déréglemente de nombreux marchés de service public, il est scandaleux que l’on n’incite pas au développement de la concurrence entre les agences. La titrisation devenant universelle, la place est libre pour la création de nombreuses agences concurrentielles.
Le Président Didier Migaud a remercié les personnalités invitées et souligné le grand intérêt de ces échanges, qui cependant n’épuisent pas le sujet. La commission des Finances se devra de poursuivre sa réflexion afin de présenter des propositions.