La campagne électorale qui va s’achever dans une semaine aura eu au moins le mérite d’apporter à Barack Obama une stature de plus en plus présidentielle.
Si l’on en croit le journaliste américain Joe Klein de "Time", le candidat démocrate Barack Obama a beaucoup évolué depuis le début de sa campagne en janvier 2007. Il a beaucoup appris.
Une évolution qui tend vers une augmentation sensible de son crédit auprès de plus en plus d’électeurs, à tel point que même l’Ohio et l’Indiana seraient en passe de le préférer à John MacCain.
Conciliateur et théoricien
Le candidat Obama a deux défauts dans sa personnalité : d’une part, il est consensuel, c’est-à-dire qu’il refuse le conflit, et d’autre part, il est assez abstrait et théoricien, ce qui colle assez mal à une campagne électorale où les coups bas de l’adversaire sont assez nombreux.
Écarter le conflit l’a retenu dans les débats télévisés d’attaquer son adversaire républicain, ce qui le mettait systématiquement dans une position défensive peu commode.
Ses discours également, trop abstraits, s’adressant d’abord à l’intelligence et à la raison, manquaient de vécu, de tripes, d’émotion.
Car l’une des grandes qualités de Barack Obama, le fait d’être posé, d’être calme, de garder son sang-froid et d’essayer de comprendre avant de décider, est aussi un défaut dans une situation de lutte électorale sans merci.
Une tournée cruciale au Moyen-Orient
L’un des points les plus importants de sa campagne fut son voyage en Irak où il a rencontré le 21 juillet 2008 le général David Petraeus. Ce dernier jouit d’une très bonne réputation et on s’oppose rarement à ce grand général.
John MacCain cultive même une véritable vénération pour ce militaire alors que George W. Bush, Président des États-Unis, lui a laissé les pleins pouvoirs en Irak.
Le dialogue entre Obama et Petraeus ne pouvait être que conflictuel : Obama avait présenté un plan de retrait des troupes américaines d’Irak de 16 mois alors que le général Petraeus souhaiterait ne donner aucun échéancier et garder une plus grande souplesse.
Et Joe Klein raconte qu’Obama avait alors deux possibilités : soit remercier le général de sa présentation des choses et dire qu’il y réfléchirait, soit au contraire, dire ce qu’il pensait réellement, ce qui entraînerait une relation conflictuelle.
Contrairement à ce qu’on aurait pu penser avec sa tendance à la conciliation, Obama a finalement choisi la seconde option, celle de dire ce qu’il pensait au général Petraeus.
En gros, en lui faisant savoir qu’il comprenait son point de vue, mais que si son job, c’est de réussir le mieux possible en Irak, le sien, en tant que futur Commandeur en chef, c’est d’écouter ses conseils sous l’angle de la sécurité nationale générale, en prenant aussi en compte les coûts financiers et les revers en Afghanistan.
La discussion qui a suivi fut plutôt animée, mais chacun respectait les arguments de l’autre et la rencontre, qui a duré le deux fois plus longtemps que prévu, s’est bien terminée.
Obama expliqua (bien après) qu’il avait voulu affirmer clairement sa position au général Petraeus parce qu’il le respectait et qu’il avait fait du bon boulot. Et il voulait le convaincre qu’il écoutait avec sérieux ses arguments.
Toujours du général Petraeus dont il a approuvé la nomination comme responsable en chef de la guerre en Irak et en Afghanistan, Obama dit : « C’est quelqu’un qui s’attache aux faits et à la réalité du terrain. Je ne crois pas qu’il arrive avec une vision préconçue et idéologique. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a réussi à faire avancer les choses en Irak, je crois. J’espère qu’il aura la même perspective sur les événements en Afghanistan. ».
Petraus et Obama semblent avoir la même vision des choses sur l’Afghanistan : éloigner les tribus patchounes de l’influence des talibans, mais en le faisant au travers du gouvernement afghan.
En quelques heures, Barack Obama venait d’acquérir ses galons d’homme d’État et montrait à la planète qu’il entendait prendre ses responsabilités et affirmer sa future autorité présidentielle, au contraire de George W. Bush qui avait véritablement abdiqué en laissant totale carte blanche à Petraeus.
Et ces derniers jours, Obama est devenu plus crédible que MacCain même sur la question irakienne.
De bonnes décisions dans la campagne
Durant toute sa campagne, Obama a bénéficié de ses décisions judicieuses. La principale fut la désignation de son colistier Joe Biden, à la fois raisonnable et complémentaire.
Il a réussi un tour de force alors que le Parti démocrate était profondément divisé en deux camps de même importance, ses partisans et ceux de Hillary Clinton.
En nommant Biden, il a préservé l’unité du Parti démocrate et canalisé toutes les motivations qui ont germé de part et d’autre pendant les primaires.
Phénomène que n’a pas réussi à faire John MacCain, toujours très isolé au sein du Parti républicain contre lequel il s’était beaucoup opposé durant sa longue vie politique.
Autre décision judicieuse, ce fut sa réaction face aux attaques des Républicains sur sa proximité avec le révérend Jeremiah Wright qui prononcent des sermons très raciaux. Obama avait hésité entre dédramatiser les attaques ou au contraire, prendre au bond la critique et en profiter pour aborder une fois pour toutes la question raciale.
Il a encore choisi le risque en mettant les pieds dans le plat, ce qui lui a fait prononcer l’un de ses plus importants discours à Philadelphie le 18 mars 2008.
Le 18 octobre 2008, Obama revenait sur ce sujet en ces termes : « Mon instinct me disait que c’était un moment dont on pouvait tirer une leçon et que si j’essayais la politique habituelle de contrôle et de minimisation du dommage au lieu de parler au peuple américain comme à des adultes qui pouvaient comprendre la complexité de la race, non seulement je nuirais à ma campagne, mais en plus je manquerais une occasion importante de leadership. ».
Et c’est cela qui est important chez Obama, tout au long de la campagne électorale, mine de rien, les occasions de montrer son autorité et son leadership.
La crise financière
La crise financière a été pour lui une grande opportunité pour prendre de l’avance dans les sondages (c’est à ce moment qu’il a véritablement décollé alors que la désignation inattendue de Sarah Palin avait fait grimper le ticket républicain bien plus haut que le ticket démocrate en début septembre 2008).
Notamment au moment où John MacCain avait décidé de suspendre sa campagne pour s’occuper du plan Paulson. Obama se trouvait encerclé de conseils qui lui demander de faire de même, de suspendre sa campagne pour éviter de montrer MacCain au-dessus de la mêlée.
Mais Obama n’a pas cru bons ces conseils. Pour lui, c’était une manœuvre supplémentaire de MacCain pour ne pas participer au premier débat. Sa première réaction fut la bonne : « Vous plaisantez. Je vais participer au débat. Un Président doit être capable de faire plus d’une chose à la fois. ».
Finalement, MacCain se ravisa et participa aussi au débat, il ne pouvait pas laisser un fauteuil vide devant cinquante millions de téléspectateurs. Obama avait gagné cet épisode.
À la recherche d’un nouveau moteur à la croissance
Il a une vue d’ensemble beaucoup plus large que son adversaire républicain sur les défis des prochaines années. Plus d’inspiration et de conceptualisation (un Républicain racontait que lors de la fameuse réunion avec Bush Jr., le 25 septembre 2008 à propos du plan Paulson, MacCain a été le moins créatif et n’a posé aucune question).
La consommation était le moteur de la croissance de ces vingt dernières années, avec le crédit comme turbo. Depuis l’été 2007, cette conception est dépassée car le niveau d’endettement est beaucoup trop élevé.
Selon Obama, il faudra trouver un autre moteur pour les prochaines décennies, et il l’a trouvé : « Il n’y a pas de meilleur stimulant, qui irrigue toute l’économie, qu’une nouvelle politique énergétique… Ce sera ma priorité numéro une quand je serai élu. ».
Mais il peine encore beaucoup à concrétiser cette idée et à parler clairement à ses concitoyens sur ce thème.
Aujourd’hui
Tout au long de ses déplacements, Barack Obama a réussi à attirer des foules sans précédent, jusqu’à 175 000 personnes dans deux meetings dans le Missouri le 18 octobre 2008.
Quelle que soit l’issue des élections le 4 novembre 2008, Barack Obama aura été le candidat qui aura mené l’une des meilleures campagnes électorales depuis une dizaine d’élections présidentielles.
Il a montré son sang-froid quand tout autour de lui se délitait : autant les attaques incendiaires sur ses fréquentations que Wall Street qui s’effondre.
Il a affirmé son autorité et son leadership en indiquant que c’est lui qui donnerait les directives aux militaires et pas l’inverse.
Il est capable de transformer les crises en « moments dont on peut tirer une leçon ».
Enfin, malgré trois handicaps forts : son nom, son origine métissée et son manque d’expérience, Barack Obama a réussi à parler un langage nouveau sur les questions raciales. À rendre ordinaire et banal le fait qu’une personne "non blanche" sera probablement à la Maison Blanche dans quelques semaines.
Maturité
Il a mené cette campagne sans excès d’égocentrisme, posément, en adulte.
Bref, Obama, adulte, a voulu considérer les Américains comme des adultes.
Et c’est peut-être cette nouvelle maturité qui redorera l’image des États-Unis dans le monde, bien assombrie par les deux mandats de George W. Bush.
Même si MacCain gagnait cette élection, cette maturité resterait sans doute un acquis inestimable.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 octobre 2008)
Pour aller plus loin :
The Candidates' Temperaments: Who's a Better Fit for the Job?
Why Barack Obama is winning (Joe Klein).
La force d'Obama ? Etablir un pont entre vote blanc et vote noir.
Les débats présidentiels de 2008.
Pourquoi Obama ?
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=46353
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