Obama et le nouveau rêve américain ? Au lendemain de son élection, Barack Obama semble susciter des espoirs bien au-delà des frontières de son pays. La vague d’obamania sera probablement de courte durée face aux tâches qui attendent le nouveau gouvernement américain.
Les États-Unis et même le monde entier vivent actuellement une émotion très forte qui dépasse très largement le seul Barack Obama. Cette émotion partagée à une échelle si grande est un événement en lui-même.
La raison de celle-ci est très confuse. Serait-ce l’origine multi-ethnique du futur Président des États-Unis ? C’est un peu court pour expliquer cette joie.
Pas communautariste mais mondialiste
D’ailleurs, jamais Obama ne s’était présenté en tant que tel (en tant que "pas blanc"). S’il l’avait fait, il aurait eu peut-être du succès durant sa campagne auprès de certaines communautés ethniques, mais il n’aurait jamais été élu, il n’aurait représenté que des minorités.
Justement, ce qui est fort dans la campagne et l’élection de Barack Obama, c’est qu’il range au placard le communautarisme dans le premier pays communautariste du monde. Et qu’il a réussi à rassembler au-delà des différences.
Il se dit enfant de la mondialisation. Sa génération et son ascendance multiculturelle peuvent expliquer cette revendication.
Un succès d’abord personnel
Ce qui est troublant sans doute dans cette élection, c’est que c’est l’intellectuel et le consensuel qui l’a emporté sur le courageux et le rusé.
Il n’est pas difficile d’imaginer que si John MacCain avait été élu, les habitants de son pays n’auraient pas ressenti une telle joie. Peut-être juste un soulagement.
L’élection de Barack Obama a dupé tous les oiseaux de mauvais augure.
Les premières Cassandre furent nombreuses pendant les primaires et elles ne niaient pas les grandes qualités d’Obama mais expliquaient avec un tel candidat, le Parti démocrate jouerait assurément perdant malgré la grande impopularité de Bush Jr.
Elles avaient d’autant plus facilement d’arguments qu’elles avaient à côté une candidate très qualifiée et très populaire pour la fonction avec Hillary Clinton.
La couleur de la peau était considérée comme un handicap. Mais la campagne des primaires a montré aussi beaucoup de misogynie et peut-être que le fait d’être une femme a été plus handicapant.
Une fois investi par son parti, Obama fut l’objet de nombreuses attaques du camp républicain, ce qui était prévisible.
Très peu d’attaques n’eurent pour objet la couleur de la peau (MacCain semble y avoir veillé, lui qui a élevé des enfants adoptifs de couleur), mais plutôt sur les grandes inconnues du personnage : "qui est Obama ?". En ce sens, le long parcours politique de MacCain pouvait rassurer.
L’espoir suscité
Pendant les primaires, puis, pendant la campagne présidentielle, Obama a mobilisé des centaines de milliers de personnes, des armées de sympathisants, de personnes séduites par son discours certes un peu idéaliste mais qui relançait le "rêve américain". Il a redonné aux Américains, toutes origines confondues, la part du rêve qu’ils avaient perdue le 11 septembre 2001.
À ma connaissance, après la guerre, seuls deux autres Présidents des États-Unis avaient su redonner autant d’espoir à leur peuple : John Kennedy en 1960 et Ronald Reagan en 1980 (au moment où le pays était humilié par la prise d’otage à Téhéran).
Dans le pays du libéralisme, la capacité de trouver des fonds pour les dépenses électorales était aussi un repère pour pressentir ce mouvement de fond (sans s !).
Que les dons proviennent de simples citoyens (plus de trois millions selon le staff de campagne d’Obama) ou de grands groupes, le fait qu’ils existent et qu’ils ont dépassé largement ceux pour Hillary Clinton et pour John MacCain (à ses primaires républicaines, puisque pour la campagne elle-même, MacCain avait renoncé à collecter des fonds privés) confirment que ces donateurs sentaient en Obama l’incarnation d’un nouvel espoir américain.
Les Américains bougent
Les événements qui ont eu lieu juste après l’annonce dans les médias de la victoire de Barack Obama marquent à mon sens une nouvelle étape dans cette prise de conscience.
Il suffit d’écouter la déclaration de John MacCain à Phoenix ou encore l’allocution de George W. Bush à Washington pour s’en convaincre.
Tous les deux reconnaissaient que l’élection d’Obama a ému une grande partie de la population américaine. Bush Jr a même évoqué l’image de voir l’épouse et les deux enfants d’Obama circuler dans la Maison Blanche. Sans parler de la couleur de la peau, mais il y pensait intensément.
Beaucoup de Républicains se réveillent aujourd’hui et loin de la déception (pour eux, MacCain n’était qu’un pis-aller), il prennent aussi conscience de toute cette émotion suscitée non seulement dans leur pays mais aussi dans le monde entier.
MacCain d’ailleurs avait réaffirmé que c’était son échec et pas celui de ses supporters, et a essayé de transmettre son flambeau à Sarah Palin qui a cependant été sifflée plusieurs fois au même moment.
Sarah Palin a même fait au Président Obama une offre de service pour l’aider en tant que gouverneur de l’Alaska, s’il a besoin d’elle pour les questions climatiques.
Il est vrai que les Américains sont généralement très légitimistes et qu’ils respectent (beaucoup plus qu’en France) l’autorité de leur Président. Notamment en cas de coup dur comme pour les attentats du 11 septembre 2001 où Bush Jr avait été soutenu par toute la classe politique.
Un état de grâce mondial ?
Dans les médias, on entend d’ailleurs souvent cette analogie de communion internationale entre les attentats et l’élection d’Obama. Une émotion de compassion en 2001 et d’espoir pour 2008.
On pourrait croire que Barack Obama va jouir d’un "état de grâce mondial" mais ce n’est guère réaliste. Ses ennuis commencent dès maintenant.
Déjà ce 5 novembre 2008 (est-ce une coïncidence ?), le Président russe Dimitri Medvedev a prononcé son premier discours présidentiel sur l’état de la nation (qu’il avait reporté de quelques jours à cause de la chute du rouble) et a accusé les États-Unis d’être les responsables de la crise financière et de la guerre en Géorgie.
Medvedev a également montré ses crocs à Obama en menaçant les États-Unis de déployer à Kaliningrad (enclave entre la Pologne et la Lituanie) des missiles Iskander à courte portée si le bouclier antimissile américain était effectivement installé en Pologne et en Tchéquie. De quoi réanimer la guerre froide.
D’autres sources de préoccupations arrivent aussi : Wall Street a encore rechuté hier, et les Européens voudraient renforcer leur influence.
L’ancien Ministre français des Affaires Étrangères Hubert Védrine est revenu à la charge : il faut que l’Union Europe profite de ces quelques semaines d’ouverture pour parler d’une seule voix et se faire entendre d’Obama. Les solutions déployées pour la crise financière peuvent aider. Son successeur Bernard Kouchner devrait rencontrer Obama le 11 novembre 2008.
Relations avec la Russie, réaction à la crise financière, relations avec l’Union Européenne, écologie mondiale, guerre en Irak et en Afghanistan… de nombreux défis qui vont rapidement mettre à l’épreuve Obama.
Parmi ses premières décisions, Barack Obama pourrait nommer John Kerry (l’ancien candidat fut plébiscité par les Européens en 2004) au poste de Secrétaire d’État.
L’homme déterminé va devoir agir
Dans quelques temps, on jugera a posteriori que l’élection d’Obama était inéluctable. Comme la victoire des Alliés sur l’Axe pendant la Seconde guerre mondiale. Quand on connaît la suite de l’histoire, c’est toujours commun d’oublier l’état de la situation antérieure.
En 2006, personne ne pouvait croire qu’Obama serait élu. Même ceux qui le connaissaient très bien, qui connaissaient ses qualités. On imagine donc à quel point Barack Obama a dû se sentir convaincu, quel est le haut degré de détermination personnelle dont il a dû faire preuve pour franchir toutes les barrières.
Maintenant, le voilà élu, confortablement élu (6% d’avance, mieux de Bill Clinton en 1992, mieux que tous les Présidents démocrates depuis Franklin Roosevelt à leur première élection), et avec cette immense attente de la planète entière. Tout le monde se demande ce qu’il va faire, comment il va se comporter.
Et sans doute que lui aussi s’interroge. Que va-t-il faire ? On imagine qu’il va écouter et réfléchir. Mais ce temps-là semble révolu. Il va devoir décider rapidement et sous pression.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (6 novembre 2008)
Pour aller plus loin :
Les résultats de l’élection présidentielle du 4 novembre 2008.
Pourquoi Obama ?
Boîte à outils pour mieux comprendre ces élections.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=46835
http://fr.news.yahoo.com/13/20081106/tot-communion-mondiale-89f340e.html
http://www.lepost.fr/article/2008/11/06/1318561_communion-mondiale.html
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