(dépêche)
PS : histoires de premiers secrétaires, par Michel Noblecourt
LE MONDE | 06.11.08 | 12h50 • Mis à jour le 06.11.08 | 18h36
Analyse
Il y a eu parfois des duels. Mais dans l'histoire du Parti socialiste, depuis qu'il a pris, en 1969, la suite de la SFIO, c'est la première fois que plus de deux candidats vont se disputer le poste de premier secrétaire. Le vote des militants, jeudi 6 novembre, pèsera fortement sur les candidatures, selon qu'une motion se détachera ou non nettement en tête. Mais d'ores et déjà, il y a trois candidats déclarés à la succession de François Hollande : Bertrand Delanoë, le maire de Paris, Benoît Hamon, porte-parole de l'aile gauche, et Julien Dray, député de l'Essonne. Martine Aubry, la maire de Lille, est dans les starting-blocks. Et à défaut d'y aller elle-même, Ségolène Royal devrait laisser Vincent Peillon, député européen, défendre ses couleurs. Le scrutin aura lieu le 20 novembre, après le congrès de Reims, qui se déroulera du 14 au 16 novembre.
Au congrès d'Alfortville, le 4 mai 1969, qui voit la création du nouveau Parti socialiste, Guy Mollet pousse Pierre Mauroy, ancien secrétaire général adjoint de la SFIO - parti dont il a prononcé la dissolution au congrès extraordinaire de Puteaux, en décembre 1968 -, à prendre les manettes. Il hérite du titre de "secrétaire à la coordination". Deux mois après, au congrès d'Issy-les-Moulineaux, du 11 au 13 juillet 1969, au lendemain de l'humiliante défaite de Gaston Defferre à l'élection présidentielle, Guy Mollet choisit Pierre Mauroy comme successeur à condition qu'il prenne un de ses proches comme numéro deux. Le refus du futur maire de Lille conduit Mollet à soutenir Alain Savary, qui n'était pourtant pas de ses amis. Battant d'une voix M. Mauroy, Alain Savary devient le premier secrétaire du nouveau PS, élu par le comité directeur composé à la proportionnelle des courants.
En près de quarante ans, les successions ne se sont pas toujours déroulées selon les scénarios écrits à l'avance. En juin 1971, au congrès refondateur d'Epinay, François Mitterrand rejoint le PS avec ses amis de la Convention des institutions républicaines. L'ancien ministre de la IVe République, regardé avec suspicion par certains socialistes, ne veut pas d'Alain Savary, derrière lequel il voit l'ombre de Guy Mollet, comme premier secrétaire. Il soutient la candidature de M. Mauroy. Plutôt partant, celui-ci se heurte au veto du maire de Lille, Augustin Laurent. Et Mitterrand, qui n'avait pas sa carte du PS en arrivant à Epinay, est élu premier secrétaire.
Réélu quatre fois, sans affronter de rival, François Mitterrand abandonne ce mandat de premier secrétaire - dont il ne voulait pas à l'origine - lors du congrès extraordinaire de Créteil, le 24 janvier 1981, qui le plébiscite comme candidat à l'élection présidentielle. Le député de la Nièvre propose comme successeur Lionel Jospin, alors de facto numéro deux, en précisant que sa tâche ne relève pas d'un "intérim". "C'est un homme capable de remplir les plus hautes fonctions", ajoute-t-il. Le comité directeur l'élit à l'unanimité. M. Jospin est réélu ensuite à chaque congrès, sans concurrent.
En mai 1988, après la réélection de Mitterrand, M. Jospin entre dans le gouvernement Rocard comme ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale. Pour lui succéder, le président de la République choisit son candidat : son ancien premier ministre Laurent Fabius. M. Jospin s'y oppose, jugeant préférable que le premier secrétaire n'ait pas d'ambition présidentielle... Une primaire est organisée au sein du courant majoritaire A-B (mitterrandiste-mauroyiste). Elle oppose M. Fabius à M. Mauroy. Pierre Joxe tente d'éviter l'affrontement en proposant la candidature de Louis Mermaz. Peine perdue. M. Mauroy l'emporte par 63 voix contre 54 à M. Fabius. Le candidat du président obtient la présidence de l'Assemblée nationale comme lot de consolation. Il tente de prendre sa revanche au congrès de Rennes, en mars 1990, mais échoue. La préparation de l'après-mitterrandisme s'ouvre sur fond d'exacerbation des querelles internes.
"SORTI DE SES DÉCHIREMENTS"
Après Rennes, M. Mauroy prépare sa succession. Le maire de Lille échafaude un scénario à tiroirs. Il propose à M. Fabius d'être premier secrétaire et lui demande en échange de soutenir Michel Rocard comme candidat "virtuel" à l'élection présidentielle de 1995. Cerise sur le gâteau, le "jospiniste" Henri Emmanuelli sera président de l'Assemblée nationale. Le 9 janvier 1992, le comité directeur élit à l'unanimité, moins 11 abstentions, M. Fabius. M. Jospin reste à l'écart de ce "fait acquis". M. Mauroy se réjouit de voir le PS "définitivement sorti de ses déchirements". Et M. Fabius assure à M. Rocard "combien pour les grandes élections à venir, il porte l'espoir des nôtres et plus largement celui de très nombreux Français, et qu'il peut compter sur (sa) loyauté".
La paix, ou plutôt la trêve armée, sera de courte durée. Au lendemain de la Berezina socialiste aux élections législatives de mars 1993, M. Fabius, mis en minorité au conseil national du 3 avril, est contraint de démissionner. M. Rocard devient "président de la direction nationale provisoire" du PS. Le premier secrétaire étant désormais élu par les congrès, c'est celui du Bourget, en octobre 1993, qui le plébiscite (80,91 %). "En troquant le statut de "candidat virtuel" contre celui de premier secrétaire, en prétendant cumuler les deux, il incitait au retour des antagonismes de Rennes", commentera M. Mauroy dans ses Mémoires (Plon, 2003).
La valse des premiers secrétaires ne fait qu'une pause. Aux élections européennes de juin 1994, la liste conduite par M. Rocard n'obtient que 14,6 %. Malgré cet échec cuisant, l'ancien premier ministre essaie de sauver son poste. Lâché par les fabiusiens et une partie des jospinistes, il sollicite, le 19 juin, la confiance du conseil national. Le verdict est sans appel : 88 pour, 129 contre, 48 abstentions. M. Rocard est congédié. Fustigeant les "inconvenantes révolutions de palais", M. Jospin s'abstient et laisse ses amis se diviser sur le choix d'un nouveau premier secrétaire. Henri Emmanuelli bat Dominique Strauss-Kahn, par 140 voix contre 64. Le député des Landes est confirmé au congrès de Liévin, en novembre 1994, obtenant plus de 87 %.
Après la présidentielle de 1995, M. Emmanuelli cède sa place à l'ex-candidat Jospin, auréolé par ses 47,3 %. Il fait voter par les militants l'élection du premier secrétaire au suffrage direct des adhérents et l'expérimente. Le 14 octobre 1995, il est élu (94,16 %). Premier ministre le 2 juin 1997, M. Jospin reste le patron du PS jusqu'au moment où le premier secrétaire délégué qu'il a choisi, M. Hollande, lui succède. Le 27 novembre, il obtient 91 %, contre 9 % à Jean-Luc Mélenchon, porte-parole de la Gauche socialiste. Pour ses trois réélections, M. Hollande sera candidat unique. Mais l'accession à la tête du PS a rarement été un long fleuve tranquille.
Courriel : noblecourt@lemonde.fr.
Michel Noblecourt (Editorialiste, chef de service)
Article paru dans l'édition du 07.11.08