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14 novembre 2008 5 14 /11 /novembre /2008 21:00

Renforcement des pouvoirs présidentiels… Mais à quoi donc la révision de la Constitution algérienne peut-elle bien servir ?



Ce que Nicolas Sarkozy vient d’instituer, ce que Vladimir Poutine a réussi à contourner, ce que Hugo Chavez n’a pas su supprimer et ce à quoi George W. Bush et Bill Clinton n’auraient jamais touché, Bouteflika vient de l’abroger.

Quoi ? La limitation constitutionnelle à deux mandats présidentiels.


Un verrou saute à Alger

Soutenu par l’armée, Abdelaziz Bouteflika, 71 ans et demi, a été élu Président de la République algérienne le 15 avril 1999, dans un scrutin où ses adversaires se sont désistés, et a été réélu le 8 avril 2004 au premier tour avec 85%.

Selon les termes de l’article 74 de la Constitution algérienne de 1996, le Président ne peut accomplir plus de deux quinquennats.

Mais c’était sans penser qu’une Constitution, ça se révise.

C’est chose faite depuis ce 12 novembre 2008.

Réunis ensemble au Palais des Nations, au Club des Pins, à l’ouest d’Alger, l’Assemblée populaire nationale et le Conseil de la Nation (Sénat algérien) ont adopté la réforme constitutionnelle visant à supprimer cette limitation à deux mandats présidentiels avec une très forte majorité à main levée sans discussion : 500 pour, 21 contre (dont les 19 parlementaires du RCD, Rassemblement pour la culture et la démocratie) et 8 abstentions sur les 389 députés et les 144 sénateurs.

La séance a été retransmise en direct par la télévision nationale.

Pour le Président Bouteflika, c’est un beau succès : « Notre but est de renforcer notre système politique. » mais pour l’un des opposants, Saïd Saadi (RCD), c’est un « coup d’État déguisé » et il a considéré cette journée comme « une journée noire dans l’histoire ».

Pour toute la classe politique algérienne, cette révision de la Constitution est un pas évident vers une troisième candidature de Bouteflika à l’élection présidentielle prévue en début avril 2009. Ses partisans l’encouragent vivement dans cette voie et ses opposants n’ont aucun doute sur le sujet.

Quelques rumeurs s'étaient répandues sur son état de santé lors de sa longue hospitalisation à Paris (26 novembre au 17 décembre 2005 puis 20 avril 2006) mais Bouteflika a pu assumer l’exercice normal de ses fonctions par la suite.


Bouteflika, un enfant de l’indépendance et un diplomate des Non-alignés

Abdelaziz Bouteflika est un homme politique algérien à la carrière assez particulière.

Il s’est enrôlé dans la lutte pour l’indépendance dès l’âge de 19 ans et devint rapidement (à 23 ans) secrétaire particulier de Boumédiène.

À l’indépendance de l’Algérie, il fut nommé, à l’âge de 25 ans et demi, Ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme par Ben Bella. Il fut élu député et intégra la direction du FLN dont il devint président d’honneur en 2005.

À 27 ans, il fut Ministre des Affaires Étrangères, poste qu’il occupa pendant quinze années, jusqu’en 1979, date à laquelle le Président Chadli Bendjedid le promut Ministre d’État tout en l’écartant du pouvoir dans le cadre de la politique de "déboumédiènisation" du régime (Boumédiène venait de mourir en 1978) et soupçonné de malversations, il fut contraint à six ans d’exil (jusqu’en 1987).

Il refusa les propositions de devenir ministre en 1992 et en 1994 dans le régime transitoire, puis chef de l’État en 1994 dans une période très mouvementée.

Devenu finalement Président (soutenu par le pouvoir en place), Bouteflika organisa très rapidement un référendum le 16 septembre 1999 où 98% ratifièrent le processus de concorde civile qu’il a initié.

Un autre référendum, le 29 septembre 2005, a été organisé pour la paix et la réconciliation nationale visant non seulement à l’amnistie des groupes terroristes mais aussi des officiers de l’armée susceptibles d’avoir commis des actes criminels (97% de oui avec 80% de participation sauf en Kabylie très remontée contre l’arabisation de l’Algérie).

Malgré toutes les critiques qui le visent sur le verrouillage de la presse et la surveillance des éditeurs, Bouteflika a réussi en moins de dix ans à mettre fin à quinze ans de troubles et de désordres criminels généralisés.


Vers une Présidence à vie ?

La fin de la limitation à deux mandats présidentiels ne signifie évidemment pas l’institution d’une Présidence à vie comme certains pourraient le croire. Dans beaucoup de pays, et encore en France jusqu’en juillet 2008, aucune limitation de durée n’existe et ils sont pourtant démocratiques.

Même si les deux septennats de François Mitterrand se révélèrent politiquement très longs, aucun Président n’a réussi à se faire élire une troisième fois pour diverses raisons (usure du pouvoir, âge etc.) et d’ailleurs, seuls François Mitterrand et Jacques Chirac ont réussi à terminer leur second mandat de toute l’histoire de la République.

Dans sa langue de bois, le journal gouvernemental "El Moudjahid" explique que « les Algériens, en fait, ont demandé à Abdelaziz Bouteflika de faire encore un sacrifice pour l’Algérie ».

Bouteflika évoque même la souveraineté nationale pour justifier cette réforme : « Permettre au peuple d’exercer son droit légitime à choisir ses gouvernants et à leur renouveler sa confiance en toute souveraineté. (…) Nul n’a le droit de limiter la liberté du peuple dans l’expression de sa volonté, car la relation entre le gouvernant élu et le citoyen électeur est une relation de confiance profonde, réciproque, basée sur le choix populaire, libre et convaincu. ».

Mais l’ancien général Rachid Benyéllés n’est pas de cet avis : « À l’instar de beaucoup d’autres potentats, ailleurs dans le monde, il a toujours voulu être Président à vie. (…) Aujourd’hui, la loi fondamentale est amendée pour une Présidence à vie. ».

Le "Premier Ministre" algérien Ahmed Ouyahia rend légitime ce vote constitutionnel par des comparaisons peu pertinentes : « La Constitution ne limite pas le mandat des maires et des parlementaires, alors pourquoi devrions-nous limiter celui du Président ? » et estime que son pays « a le droit de renforcer sa stabilité et de tirer profit du processus d’édification de l’État et de reconstruction nationale quand le peuple le souhaite, libre, souverainement et démocratiquement ». Selon lui, « la non-limitation des mandats n’est pas un recul démocratique ».

Le politologue algérien Abed Charef estime que le choix du vote parlementaire (au lieu du référendum) sabote la légitimité de la réforme car il « confirme, aux yeux des citoyens, que la loi n’est pas faite pour tous : les puissants font la loi, la changent, quand elle ne les arrange pas ; les plus faibles subissent la loi ».

Si la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels a échoué au Venezuela en été 2007, elle a été décidée par de nombreux chefs d’État africains, notamment Idriss Déby (Tchad), Paul Biya (Cameroun), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Omar Bongo (Gabon), Zine Ben Ali (Tunisie), Yoweri Museveni (Ouganda) et Lansana Conte (Guinée).

Et Hosni Moubarak, Président égyptien depuis 1981 et récemment réélu, n’est pas non plus en reste.


Fin du bicéphalisme institutionnel à la française

Dans cette réforme, annoncée seulement le 29 octobre 2008, sont aussi insérées trois autres mesures favorisant une meilleure représentativité des femmes dans les instances élues, préservant les symboles de la révolution et l’écriture de l’histoire et visant à accroître les prérogatives présidentielles.

Notamment en supprimant l’ambiguïté constitutionnelle (présente également dans la Constitution de la VeRépublique française) d’un chef du gouvernement à l’origine chargé d’élaborer son programme et qui, désormais, sera responsable devant le Président de la République.

Désormais, le Premier Ministre (nouvelle appellation officielle du chef du gouvernement) est chargé de mettre en œuvre le programme du Président, « chef suprême de toutes les forces armées de la République, responsable de la Défense nationale » et sera assisté de plusieurs Vice-Premiers Ministres.

Le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, qui donnera à Bouteflika sa démission dès la promulgation de la révision constitutionnelle, explique cette "présidentialisation" du régime par le fait qu’on « ne peut pas imaginer que le programme du Président de la République, élu au suffrage universel direct, puisse être mis en parallèle avec un programme d’action gouvernementale ».

Mais l’opposition, représentée par le FFS (Front des forces socialistes) de Hocine Aït Ahmed et le RCD, pense au contraire que cette réforme va déstabiliser le régime. Saïd Sadi remarque le 11 novembre 2008 que « les amendements proposés remettent en cause les équilibres formels des pouvoirs pour consacrer la personnalisation du régime ».


Bonne ou mauvaise foi ?

Il aurait sans doute été plus honnête et astucieux de ne pas faire appliquer ce nouvel article 74 au Président actuel (élu pour un second mandat non renouvelable en 2004) mais seulement à son successeur.

Sans doute Bouteflika rêve-t-il d’être un De Gaulle algérien… rétablissant la sécurité et instaurant des institutions fortes. Il n’a en fait que bénéficié de la vacuité de la classe politique pendant la période de troubles islamistes, et il veut préserver constitutionnellement son avantage.

Mais qui peut donner raisonnablement des leçons de démocratie à l’Algérie ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 novembre 2008)


Pour aller plus loin :

Dépêches de presse (12 novembre 2008).

Les limitations à deux mandats présidentiels.

Vidéos sur la réforme constitutionnelle du 12 novembre 2008.





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