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François Bayrou creuse son sillon
février 28th 2007 Posted in la course au pouvoir
En ce dimanche de décembre 1977, le docteur Pierre Menjucq conseiller général des Pyrénées-Atlantiques, pressenti pour être député, voit débarquer à son domicile, à Morlaas, l’ancienne capitale du Béarn, un « blanc-bec » de vingt-six ans au « culot déconcertant ».
A peine descendu de sa 2 CV jaune, le jeune homme, qu’il ne connaît « ni d’Eve ni d’Adam », habillé « comme un plouc » et affecté d’un reliquat de bégaiement, lui annonce qu’il sera, lui, candidat aux législatives.
Et lui demande, sans ciller, d’être son suppléant.
Obscur militant du CDS (Centre des démocrates sociaux), ce prof de lettres à l’abondante tignasse s’appelle François Bayrou.
La veille, il a déjà placardé des affiches de lui tout au long de la route entre Pau et le domicile du notable.
« Pour m’impressionner », s’exclame Pierre Menjucq, à l’heure actuelle vice-président du conseil général et suppléant du président de l’UDF à l’Assemblée depuis 1986.
Voir aujourd’hui François Bayrou se poser dans la course à la présidentielle comme un homme neuf n’est pas le moindre des paradoxes.
C’est un animal politique qui a toujours calculé chacun de ses coups et laisse peu de place au hasard.
Un laboureur, madré et déterminé - obstiné même - qui, depuis ce dimanche de 1977, creuse inlassablement son sillon.
Avec la conviction qu’il ne faut « jamais se décourager » et que, selon la devise de Nietzsche, « tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ».
L’homme, qui a surmonté son bégaiement en suivant des cours de théâtre à Bordeaux et en apprenant par coeur des poèmes d’Aragon et d’Eluard, est aussi blindé qu’aguerri.
Au cours de sa carrière, il a encaissé autant de coups que de « défections ».
A droite, c’est le plus prometteur.
François Bayrou, lui, y croit dur comme fer.
Il sera, répète-il à l’envi comme pour mieux s’en convaincre, la « surprise » de cette élection.
N’est-il pas déjà le « troisième homme » des sondages ?
N’est-il pas, enfin, pris au sérieux ?
Le président de l’UDF a une foi profonde en son destin, en « la bienveillance des étoiles ».
Il se sent investi d’une mission : construire un grand parti du centre, indépendant.
Et il a un rêve : s’inscrire dans l’histoire de France en réconciliant la droite et la gauche autour de sa personne, à la manière du « roi libre » Henri IV, architecte de la pacification religieuse, dont il a écrit une biographie vendue à 300.000 exemplaires.
L’homme ne doute ni de sa légitimité ni de son bon droit.
Chez cet homme profondément croyant, père de six enfants, qui va à la messe tous les dimanches et parcourt à pied, chaque 15 août, les 20 kilomètres entre Bordères (son berceau natal et sa résidence) et Lourdes, la chose revêt une dimension quasi mystique.
Lorsqu’il plonge, par mégarde, il y a vingt ans, dans une piscine où il n’y avait pas assez d’eau, tous ses amis s’alarment. Il refuse de se faire opérer la colonne vertébrale. La convalescence est longue. Mais il surmonte l’épreuve.
Une seule fois, le centriste a failli jeter l’éponge.
C’était à la fin de l’année 2001, alors que, parti la fleur au fusil dans son bus à colza, il était raillé de toutes parts et ne parvenait pas à décoller dans les sondages.
Il en serait malheureux, mais pas anéanti.
Car, toute sa vie, ce passionné de politique a croisé le fer et bombé le torse.
Il en faut, en 1999, pour refuser à Philippe Séguin une liste unique avec le RPR aux élections européennes.
Il en faut encore, en février 2002, à Toulouse, pour monter à la tribune de l’UEM, prémices de l’UMP, et refuser - sous les huées - de « se ranger sous la bannière de Jacques Chirac » dans un parti unique de la droite que rejoignent pourtant, en deux temps, la plupart de ses amis.
A chaque fois, le combat prend des allures de revanche sociale.
François Bayrou, le ministre, le chef de parti, le candidat à l’Elysée, est le fils de Calixte, un modeste agriculteur béarnais « socialement humilié ».
Sa mort en 1973, dans un accident du travail, contraint le fils (qui s’apprête à passer l’agrégation) à travailler aux champs pour aider sa mère.
François Bayrou a les pieds dans la terre.
En 1994, lorsqu’il succède à Pierre Méhaignerie à la tête du CDS, c’est en s’appuyant sur la base et le tissu local de l’UDF, face à Bernard Bosson, au départ grand favori, qui jouait la carte des notables.
François Bayrou est un homme indéniablement compliqué.
Il est à la fois le fils de paysan et l’intellectuel « par essence », agrégé de lettres nourri de littérature et de poésie, qui a toujours un Gaffiot dans son bureau et se plaît à multiplier les références historiques.
Pour la présidentielle de 2007, n’a-t-il pas choisi d’annoncer sa candidature, dans son Béarn natal, un 2 décembre, jour du sacre de Napoléon Ier et de sa victoire inespérée à la bataille d’Austerlitz ?
Il est en même temps le provincial éleveur de chevaux et le notable de la politique nationale, le François chaleureux et expansif, fidèle en amitié, souvent rigolard, et le Bayrou un brin méprisant et vaniteux, qui travaille seul ou avec un petit groupe de fidèles.
Beaucoup se sont éloignés, les autres se sont tus.
Il fait parfois songer à Hernani, qui déclare « je suis une force qui va », mais un Hernani qui finirait bien.
Ses mentors idéologiques s’appellent André Diligent, Jean Lecanuet, Pierre Pflimlin, Pierre Méhaignerie.
Il a été très marqué par Raymond Barre et Valéry Giscard d’Estaing.
Par certains aspects, il emprunte aux postures de François Mitterrand.
Avec Jacques Chirac, le courant n’est jamais passé - la seule chose qui les a brièvement rapprochés est d’avoir été confrontés, l’un comme l’autre, à l’anorexie d’une fille.
Certains le disent « machiavélique », comme l’était le sphinx socialiste.
Il est, à n’en point douter, un habile manoeuvrier doté d’une réelle intuition politique.
Il avait pressenti, bien avant les autres, le désastre de la dissolution de 1997 et l’échec du référendum européen de 2005.
« C’est un joueur d’échecs qui peut voir six coups à l’avance », admire Marielle de Sarnez, eurodéputée et vice-présidente de l’UDF, qui dirige aujourd’hui sa campagne.
Même s’il peut être spontané, voire impulsif au point de gifler, en 2002, un gamin qui lui fait les poches lors d’un déplacement de campagne, le parcours de Bayrou le « cabourut » - la tête dure, comme on dit dans le Béarn - ne doit pas grand-chose au hasard.
Il s’est construit à force de culot et d’obstination.
De volonté et de coups d’épaule.
Un épisode révélateur : en 1989, les centristes décident de présenter leur propre liste CDS aux élections européennes sous la houlette de Simone Veil, tandis que Giscard d’Estaing prend la tête d’une coalition officielle regroupant l’UDF tronquée et le RPR.
Simone Veil sonde un jeune novice totalement inconnu : Jean-Louis Borloo, fraîchement élu maire de Valenciennes.
« Simone ne jurait plus que par lui », raconte un centriste.
Du coup, François Bayrou débarque toutes affaires cessantes pour s’occuper de la campagne.
François Bayrou sait jouer des coudes, mais il n’est pas un tueur.
Par charité chrétienne ou par peur du châtiment ?
Sa méthode : « Démontrer que le parti à plus de chance avec lui d’aller à la victoire », résume Pierre Méhaignerie, qui a rejoint l’UMP après la présidentielle de 2002.
C’est ainsi qu’il a grimpé les échelons dans l’appareil centriste.
Beaucoup de ceux qui l’ont accompagné le jugent en fait plus intéressé par la conquête du pouvoir que par le pouvoir lui-même.
« Il est excellent dans le diagnostic, moins dans l’action », analyse le député UMP et ancien centriste Dominique Paillé.
Après les élections régionales de 1998, alors qu’Alain Madelin et d’autres leaders de DL approuvent les présidents de région qui se sont fait réélire grâce au soutien des élus Front national, François Bayrou réaffirme haut et fort son refus de toute compromission avec l’extrême droite.
Fanch