(dépêches)
Pasqua: « C’est grâce à moi que Devedjian est là »
Propos recueillis par Frédéric Choulet et Philippe Martinat | 29.10.2008, 07h00
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Conseil général des Hauts-de-Seine
Ancien ministre de l’Intérieur, ancien président du conseil général des Hauts-de-Seine, toujours sénateur, Charles Pasqua, à 81 ans, écrit ses Mémoires. Et règle quelques comptes.
On vous attaque souvent sur la manière dont vous avez dirigé le département des Hauts-de-Seine jusqu’en 2004. Y avait-il un système Pasqua ?
Charles Pasqua. Il n’y a jamais eu de système Pasqua. Tout ce que j’ai fait dans ce département, ce n’était pas pour moi. J’ai souhaité, c’est vrai, que les Hauts-de-Seine soient exemplaires, à l’avant-garde du développement économique, de la formation et du social. Et j’ai surtout fait en sorte que ce département acquière une personnalité qu’il n’avait pas. Je n’aurais pas pu obtenir ce que je souhaitais s’il n’y avait pas eu entre la majorité du conseil général et l’association des maires du département une véritable osmose. Il y avait d’ailleurs parmi eux Patrick Devedjian qui, comme d’autres maires, a bénéficié pour sa commune d’Antony des retombées de cette politique.
La Sem 92 Coopération est montrée du doigt…
Lorsque je suis arrivé à la tête du département en 1988, je voulais, dans le prolongement de la démarche du général de Gaulle, que nous consacrions 1 % de notre budget à l’aide au développement. Et c’est pour disposer d’un outil efficace que j’ai créé la Sem 92 Coopération, dans laquelle figuraient des partenaires publics comme la Caisse des dépôts ou privés. Au moment où l’on décide de dissoudre cette structure ce qui est le droit le plus absolu de l’actuel président du conseil général (NDLR : Patrick Devedjian) dès lors qu’il est soutenu par sa majorité je ne peux pas laisser dire tout et n’importe quoi.
« Tout le monde était au courant »
Que répondez-vous à vos adversaires vous reprochant votre gestion passée opaque ?
Comment peut-on parler de gestion opaque alors qu’aucun dossier de la Sem en direction des collectivités locales en Afrique ou ailleurs n’a été décidé autrement que par la commission permanente du conseil général des Hauts-de-Seine, où tout le monde était représenté, y compris les communistes et les socialistes ? Or, de 1991 à 2004, cette commission a eu à connaître de dossiers de la Sem 92 Coopération 83 fois. Tout le monde était au courant. La Sem est intervenue dans 31 pays dans le monde. Nous avons construit des hôpitaux, des dispensaires, des écoles, nous avons amené l’eau à 3 000 villages : il faut aller parler aux Africains. Allez-y !
Quels étaient les intérêts des entreprises privées à participer à cette Sem ?
Ces grandes entreprises, notamment des laboratoires pharmaceutiques, n’ont pas fait d’affaires avec la Sem. Elles sont venues pour avoir de bonnes relations avec le département, c’est tout.
Le pôle universitaire Léonard-de-Vinci, surnommé la « fac Pasqua », est-il mal géré ?
Si on veut tuer son chien, on dit qu’il est enragé. C’est trop facile ! Quand on parle de mauvaise gestion, il faut parler de la gestion du conseil général des Hauts-de-Seine. Est-ce qu’il y a eu des critiques sur la situation financière du département lorsque je l’ai quitté ? Non, c’est l’inverse. En revanche je serais curieux de voir ce que sera la situation financière du conseil général dans trois ou quatre ans…
« Jean Sarkozy est intelligent, il tient de son père »
Vous en voulez à Patrick Devedjian, votre successeur à la tête du département ?
Non, pas du tout. C’est grâce à moi qu’il est là. C’est moi qui suis allé le chercher, alors qu’il était mon avocat, pour lui proposer de se présenter aux municipales à Antony en 1983. Et j’ai tout fait pour qu’il soit élu. Je ne vois pas dans quelle mesure la majorité départementale actuelle pourrait être hostile à un certain nombre de choses que j’ai faites, étant donné que c’était la majorité de l’époque.
Que pensez-vous de Jean Sarkozy ?
C’est un jeune homme intelligent, qui tient de son père. Cela ne doit pas rassurer Devedjian…
Vous êtes accusé de « trafic d’influence » et de « recel d’abus de biens sociaux » dans le procès de l’Angolagate portant sur des livraisons d’armes par l’homme d’affaires Pierre Falcone. Etes-vous inquiet ?
Non, je ne vois pas ce que je fais là-dedans. Je ne sais pas si ce procès ira jusqu’au bout, étant donné que l’Etat angolais a confirmé que Falcone était son mandataire, qu’il a agi pour son compte et qu’il n’y a pas eu de transit commercial sur le sol national. Par ailleurs, la position du gouvernement français apparaît très compromise puisqu’un des avocats de Falcone a présenté au tribunal une note de la DGSE adressée aux principaux responsables du gouvernement, en date de décembre 1995, qui établit le détail de toutes les armes envoyées en Angola. Donc Chirac, Juppé, etc. étaient au courant, et ils n’ont rien fait. Pourquoi est-ce que, tout d’un coup, en 1997, le ministre de la Défense de l’époque (NDLR : Alain Richard) a déposé une plainte ?
Le versement au dossier des carnets d’Yves Bertrand, l’ancien patron des RG, peut-il modifier le cours du procès ?
C’est tout à fait possible. Il peut y avoir certaines surprises dans ces carnets. A partir du moment où Nicolas Sarkozy comme moi-même avons porté plainte contre Bertrand et que nous nous constituons partie civile, nous allons avoir accès aux carnets. Le parquet a finalement décidé que les carnets Bertrand devaient être remis aux différentes parties afin de ne pas créer d’inégalité juridique. Il y a 45 avocats, 25 carnets, imaginez ce que cela représente… si on considère que ces carnets ont une incidence sur la procédure, ce qui paraît évident à ceux qui ont vu ces carnets dans le cadre de l’instruction de l’affaire Clearstream… Et déjà certains avocats font valoir que le versement de ces carnets devrait entraîner à tout le moins la suspension du procès.
Où en sont vos Mémoires ?
Ils sont achevés. Le second tome s’appelle, comme le premier, « Ce que je sais ». Il va sortir le 18 novembre au Seuil. Cela couvre la période de 1988 à 1995. Le sous-titre, c’est « Un magnifique désastre »…
Le Parisien
Mémoires - Pasqua persiste et signe
Saïd Mahrane
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PolitiquePublié le 20/11/2008 N°1888 Le Point
Charles Pasqua est définitivement un sacré annaliste. Et, de surcroît, un fin analyste. On le savait déjà depuis le premier tome de ses Mémoires, sous-titré « Les Atrides », dans lequel l'hypermnésique Pasqua narrait ses souvenirs d'une période agitée, 1974-1988. Le deuxième, « Un magnifique désastre » (1), se veut encore plus savoureux en réflexions et plus charnel en anecdotes. 1988 : débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle entre Mitterrand et Chirac. Pasqua conseille au candidat gaulliste d'aborder l'affaire du « Rainbow Warrior ». Ce dernier ne le fera pas. Le « mauvais génie » Balladur a estimé que « ce ne serait pas convenable ». Pour Pasqua, ce renoncement a été fatal à la droite.Plus loin : « Balladur roule pour lui-même (...) Chirac n'y verra que du bleu. » De l'ancien président de la République le sénateur des Hauts-de-Seine dresse un piètre portrait : « Manque de convictions, absence de sens politique. » Bigre ! Les conseils de Mitterrand à Chirac s'avéreront néanmoins précieux. En août 1994, les deux hommes se voient longuement : « C'est à compter de ce jour que le maire de Paris (...) parlera d'héritage social du gaullisme, de nouveau contrat social... » La même année, le Premier ministre Balladur, « excédé par les appels incessants du maire de Paris », ne le prendra plus au téléphone et le fait même « déconnecter du réseau interministériel » auquel sa ligne était raccordée. Présidentielle de 1995 : Pasqua soutient Balladur. Sarkozy, chargé de la campagne du Premier ministre, lui lance : « Il sera élu président, et vous serez son Premier ministre. Dans une deuxième phase, je vous succéderai ! » Puis vint Bayrou, alors ministre de l'Education, soucieux de savoir « quel poste je lui donnerai dans mon gouvernement... Je fus pris d'un fou rire ». La suite, on la connaît. « La mère Teresa » (Chirac) sera élue. Le début d'un « désastre annoncé »?
1. « Ce que je sais. Un magnifique désastre, 1988-1995 » (Seuil, 345 p., 20 E).
Mitterrand, Chirac, Balladur et moi
Charles Pasqua L'Express du 06/11/2008
Dans le deuxième tome de ses Mémoires, à paraître le 13 novembre, Charles Pasqua, ancien ministre de l'Intérieur, évoque la période 1988-1995.
Conversations avec Mitterrand
[Entre 1989 et 1995, Charles Pasqua rencontre à plusieurs reprises, discrètement, le chef de l'Etat.]
François Mitterrand, qui avait une certaine estime pour moi, disait que j'étais un «bon républicain», comme si j'avais eu besoin d'un brevet présidentiel pour m'en convaincre! Les contacts, que mes activités ministérielles avaient rendus nécessaires, s'étaient bien passés. Je lui manifestais toujours le respect dû à sa fonction, mais il sentait bien que, au-delà de tout cela, je demeurais un adversaire résolu. J'éprouvais cependant pour lui de la considération; son intelligence, sa grande culture, ses connaissances de l'histoire politique étaient incontestables. Ses capacités manoeuvrières me fascinaient, les miennes ne le laissaient pas indifférent...
Il devait être un peu las de la fréquentation de ses amis politiques et trouvait plaisir à nos échanges. Le rituel était toujours le même. Nos rencontres avaient lieu à Louveciennes, le vendredi, après son parcours de golf. Nos déjeuners, en tête à tête, nous permettaient de nous entretenir librement et à bâtons rompus, d'échanger nos points de vue sur nos amis respectifs, sur la situation politique intérieure ou internationale.
Les analyses du président étaient celles d'un homme d'Etat féru d'histoire, sans illusions sur les hommes. Je ne rapporterai qu'une seule anecdote de nos conversations. Elle a trait à Jacques Chirac. Lors de l'un de nos entretiens, il me dit qu'il considérait que celui-ci avait mûri et qu'il serait probablement prêt pour l'échéance de 1995. François Mitterrand ne gardait pas un mauvais souvenir de leur cohabitation - et pour cause, l'un ayant roulé l'autre dans la farine - et il était clair qu'il l'appellerait sans problème à constituer le gouvernement si l'opposition l'emportait lors des élections législatives. J'en avais eu l'assurance. Quant à la présidentielle, alors que pour le PS on parlait beaucoup de Jacques Delors, il me dit un jour: «Allons, que Chirac ne polarise pas son attention sur lui, je suis sûr que Delors ne sera pas candidat. Il ne veut pas être élu, il veut être nommé!»
Balladur se sent pousser des ailes
[En 1993, Edouard Balladur est nommé Premier ministre, Charles Pasqua ministre de l'Intérieur. A l'été 1994, les sondages le portent au pinacle. A Toulon, alors qu'est fêté le 50e anniversaire du débarquement en Provence, un conseil de sécurité intérieure est organisé.]
Au cours de cette réunion, l'état de santé du président se dégrade rapidement. Je comprends, et je vois, qu'il souffre. C'est donc sans surprise que je l'entends décider, une fois les mesures appropriées arrêtées, de rentrer à Paris sans tarder, le Premier ministre devant le remplacer dans ses obligations. Personne ne pouvait imaginer les conséquences de cette décision. L'après-midi, lors du point de presse prévu à Saint-Tropez, Edouard Balladur, après avoir tiré les leçons de cette magnifique journée - c'est ainsi qu'il la percevait - accepta de répondre à quelques questions. La première d'entre elles, bien entendu, concernait le Kosovo.
J'entends d'une oreille distraite le Premier ministre répondre que ce sujet a été examiné par le Conseil de sécurité intérieure qu'il a réuni le jour même sur le Foch, puis détailler les mesures arrêtées. Tout à l'euphorie du quasi-intérim qu'il vient d'assurer quelques heures durant, il omet cependant de faire référence à la présence du chef de l'Etat et à l'accord de celui-ci sur ces mesures: un «détail». A l'instant même, je réalise la gravité de la faute qui vient d'être commise...
Comment peut-il s'exprimer comme si le président de la République ne comptait plus, n'existait plus? Comment lui, toujours si prudent, peut-il se dévoiler à cet instant? Je connais suffisamment François Mitterrand pour savoir qu'il ne lui pardonnera jamais ce qui peut être considéré comme une atteinte au domaine réservé ou a minima comme une muflerie. [...] Ce 14 août 1994, Edouard Balladur, sans s'en douter, vient de réduire à néant les efforts qu'il a entrepris, depuis plus de dix ans, j'en ai aujourd'hui acquis la certitude, pour accéder à la magistrature suprême.
[En décembre 1994, un avion d'Air France reliant Alger à Paris est détourné. Trois otages sont tués, avant la libération de l'appareil à Marseille, où quatre terroristes sont abattus.]
Il avait bien été prévu, à l'origine, de faire sauter l'avion sur Paris [...]. Nous en aurons confirmation quelques années plus tard. Pourtant, sur le moment, cette information fut accueillie avec un scepticisme poli. Voyons, cela n'était guère vraisemblable! Sans doute une exagération du ministre de l'Intérieur. Sept ans plus tard, un 11 septembre...
[...] Sitôt la conclusion heureuse de cette prise d'otages connue, il m'avait été demandé de me rendre toutes affaires cessantes à l'Hôtel Matignon. Devant l'urgence, j'imaginais quelque événement dramatique. Pas du tout! Je fus projeté dans la salle de presse transformée en pandémonium, devant un parterre de médias de tous ordres. Le Premier ministre se trouvait déjà à la tribune, manifestement j'étais le dernier! [...] Revendiquant la responsabilité de l'opération, il engrangea le succès. Je reconnus là la patte de Nicolas Sarkozy. J'en ressentis néanmoins un certain malaise. Tous savaient que j'étais réticent, c'est le moins que l'on puisse dire, quant à l'exploitation de telles opérations.
Une rencontre avec Chirac
[Le 7 mai 1995, au terme d'une incroyable remontée, Jacques Chirac est élu président - sans le soutien de Charles Pasqua. Quand, six jours plus tard...]
Le samedi, je reçois un appel téléphonique de Jacques Chirac, qui a l'air tout étonné que je ne sois pas allé le voir. Après que je lui ai fait observer qu'il avait tout loisir de me convoquer compte tenu de son nouveau statut, rendez-vous est pris pour le lendemain à 18 heures à l'Hôtel de Ville. Je ne suis pas déçu par son entame: «Tu sais, je te garantis qu'Edouard m'a trahi, il m'avait donné sa parole.» Je suis consterné. Se rend-il compte du ridicule de la situation? Quel intérêt à ressasser cet épisode? «Cela n'a aucune importance, plus aucune importance, tu as été élu président de la République. Il te faut en priorité ressouder ce qui sera demain ta majorité, fût-ce au prix du pardon des offenses. Tu dois rallier à toi Balladur, ainsi que les parlementaires qui t'ont soutenu au second tour.»
Jacques réfléchit.
«Mais que veux-tu que je lui offre?
- Donne-lui la mairie de Paris, cela honorera les Parisiens et lui sera tout à fait à sa place dans ce décor!
- Je ne peux pas!»
Ah! La crainte de voir Edouard Balladur s'en servir comme d'un tremplin, pour des échéances futures?
La chute est savoureuse:
«Je l'ai promise à Jean Tiberi!»
[...] Je comprends qu'il ne fera aucun geste en direction de son «ami de trente ans». Il est inutile de tenter de le convaincre. J'ai, de toute manière, épuisé mon capital patience.
Nous nous livrons ensuite à un examen de la situation du pays pour tout ce qui concerne la sécurité et le terrorisme. De la politique à conduire dans les années à venir il ne sera jamais question, car nous savons l'un et l'autre à quoi nous en tenir.
Il est, à mon égard, chaleureux:
«Tu comprends bien que, compte tenu de ton poids, de ton impact, tu ne peux entrer au gouvernement que pour y tenir les premiers rôles!»
Quelle sollicitude! Merci, Jacques. J'en ris encore. Je lui explique, afin que les choses soient claires, que je n'attends rien, que je n'ai besoin de rien.
Pasqua, parrain secret de Berlusconi
Publié le 06/11/2008 N°1886 Le Point
Hervé Gattegno
Devinette politique : quel dirigeant européen doit sa carrière à Charles Pasqua ? Chirac ? Sarkozy ? Ni l'un ni l'autre, mais Silvio Berlusconi ! C'est le scoop le plus inattendu livré par Pasqua dans le deuxième tome de ses Mémoires (« Un magnifique désastre, 1988-1995 », Seuil, à paraître le 13 novembre). L'ancien grognard du RPR y raconte qu'en 1993 un émissaire vint de Milan pour le consulter : le Cavaliere s'alarmait des attaques des partis italiens contre son groupe de presse et redoutait l'adoption d'une loi antitrust. Pasqua (alors membre du gouvernement Balladur) lui conseilla de « répliquer à ses adversaires sur leur propre terrain, celui du combat politique ». Ainsi fut lancé le projet de constitution d'un parti berlusconiste-avec l'aide secrète de deux conseillers spécialement dépêchés en Italie, William Abitbol et Jean-Jacques Guillet. L'opération prit corps en février 1994 : « Forza Italia était né, je pouvais en revendiquer une part de paternité », jubile-t-il. Non sans préciser qu'Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, n'en sut jamais rien...