(dépêche)
Point de vue
La diversité, notre richesse commune, par Jean-Paul Cluzel
LE MONDE | 16.01.09 | 13h41 • Mis à jour le 16.01.09 | 13h41
Très tôt, la vie m'a fait comprendre que l'idéal républicain de la nation allait devoir intégrer une notion nouvelle pour la France, celle des communautés. Si nous ne faisons pas de la diversité de nos origines et de nos racines une richesse commune, le pacte républicain sera profondément ébranlé par les oppositions communautaires.
L'audiovisuel public, sa radio au premier rang, ont un rôle à jouer. En 1968, j'étais étudiant à l'université de Chicago. L'université est entourée par le désormais célèbre quartier du South Side, dont Barack Obama est issu. L'assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968 à Memphis, a déclenché de violentes émeutes ; un siècle après la victoire d'Abraham Lincoln, les étudiants, des Blancs dans leur écrasante majorité, en ont été réduits à être protégés cinq jours durant par la garde nationale venue en hélicoptère.
A ces émeutes, à celles de Watts, un quartier de Los Angeles, le président Lyndon B. Johnson n'a pas simplement réagi par la force. Il a mis en place un dispositif d'affirmative action, dont l'élection du premier président noir des Etats-Unis est aujourd'hui à beaucoup d'égards le résultat, quarante ans après.
Deux ans plus tard, travaillant à la préfecture de la Martinique, j'ai pu constater que plus de cent vingt ans après Victor Schoelcher, et sans mésestimer les incontestables réussites culturelles de cette terre plus anciennement française que Nice ou l'Alsace, "Nègres" et "Blancs" cohabitaient plus qu'ils ne vivaient ensemble.
La France métropolitaine, au cours des années 1960, avait accueilli un nombre considérable d'Antillais et de Maghrébins dans la vague d'euphorie industrielle de l'époque. Il était clair que sans un nouveau pacte républicain, s'enrichissant de nos diversités nouvelles, la France connaîtrait tôt ou tard les déchirures américaines des années 1960. Le vieil idéal hérité de la IIIe République s'est définitivement écroulé le 30 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois. L'arrivée récente au gouvernement d'hommes et surtout de femmes issus de la diversité et dotés de personnalités parfois contestées, mais toutes remarquables, est une des plus concrètes exceptions à cette relative inertie.
UN RÔLE PIONNIER
Les médias peuvent contribuer, par la composition de leurs équipes et l'exigence de leurs programmes, à une France plus conforme à sa diversité d'aujourd'hui. Pourtant, la radio présente une difficulté spécifique : celle de devoir traiter des minorités visibles sur un média qui par définition ne donne pas à voir. Qui savait, quand il était encore un de nos plus brillants journalistes de France Info, qu'Harry Roselmack était noir ?
C'est pourquoi un traitement résolu de la diversité est considéré par Radio France comme une mission centrale, et j'ose affirmer que "pour faire des politiques qui comptent, il faut compter". Cela ne veut pas dire instaurer des quotas, mais mesurer la réalité et les avancées.
Radio France a privilégié la formation de jeunes issus des milieux défavorisés en jouant un rôle pionnier dans la signature d'accords de formation en alternance avec nos grandes écoles de journalisme. Nous avons adhéré à la "Charte de la diversité dans l'entreprise", rédigée à l'initiative de Claude Bébéar. Radio France a une des plus belles maîtrises de jeunes chanteurs d'Europe. Nous avons ouvert pour elle une deuxième école, à Bondy, en Seine-Saint-Denis. Quarante élèves y étudient aujourd'hui et viennent de se produire pour la première fois sur une scène professionnelle.
Le 20 janvier, Barack Obama accédera à la présidence des Etats-Unis. A son côté travaillera une équipe gouvernementale, où les "hommes blancs" seront, pour la première fois dans le monde occidental, minoritaires par rapport aux Noirs, aux Latinos, aux Asiatiques et aux femmes.
Toutes les chaînes de Radio France vont se mobiliser chacune à leur manière pour donner à comprendre cet événement majeur. Nous pouvons nous appuyer sur la confiance que nous font chaque jour 13 millions d'auditeurs qui nous placent en tête de toutes les radios, sondage après sondage. Et nous sommes les seuls à avoir une offre médiatique cohérente couvrant tous les aspects de l'actualité et de la culture. Approche de proximité avec nos 41 stations de France Bleu, musicale avec FIP et France Musique, culturelle et intellectuelle à France Culture, jeune avec Le Mouv', factuelle à France Info, et tous horizons à France-Inter.
La radio publique, souvent plus discrète que la télévision, montrera sa capacité de créer l'événement et jouera le rôle qui doit être le sien : lutter contre le risque de déchirures irréparables de la communauté nationale, prendre sa part dans l'affirmation de la cohésion nationale, indissociable de la prise en compte d'une diversité qui est aussi, depuis longtemps, une richesse de la France.
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Jean-Paul Cluzel est président de Radio France.