Entre une opposition qui fait dans la mascarade et une majorité prête à jouer au bulldozer avec la procédure législative, la démocratie est bien mal en point…
Au moment de l’investiture de Barack Obama, le groupe socialiste faisait scandale à l’Assemblée Nationale. Refusant d’obéir aux ordres de son Président, Bernard Accoyer (qui a fait preuve d’une incroyable faiblesse), les députés socialistes ont chanté la Marseillaise pendant que Bernard Accoyer tentait de poursuivre la séance.
Les grands cris des socialistes n’étaient peut-être pas sans raison, mais ils ont dû faire monter d’un nouveau cran l’antiparlementarisme latent qui sévit de plus en plus fort parmi les citoyens.
De quelle dérive politique s’agit-il ?
Selon eux, le gouvernement, et à travers lui, le Président de la République Nicolas Sarkozy veulent purement et simplement instaurer la dictature (« dérive autocratique »).
Cette assertion est excessive et l’excessif est souvent insignifiant.
Sur quoi portait la gesticulation ? Sur l’article 13 du projet de loi organique consécutif à la réforme des institutions, celle du 23 juillet 2008 adoptée, in fine, avec deux voix de majorité (dont celle du socialiste Jack Lang et celles de plusieurs parlementaires radicaux de gauche), et censée renforcer les droits du Parlement.
Droit d’amendement et droit d’obstruction
Cet article 13 précise les nouvelles conditions de l’exercice du droit d’amendement pour les parlementaires et, au lieu de le renforcer, semble le réduire en limitant le temps de parole globalement par groupe politique.
Sur le principe, cette limitation est effectivement peu défendable, et j’avais déjà eu l’occasion, en auscultant le projet de réforme des institutions le 11 juin 2008, d’exprimer mon scepticisme sur ce point précis de la réforme (le point n°26 ici) d’autant plus que l’ignorance (à l’époque) du contenu des lois organiques donnait un flou aux goûts de chèque en blanc assez facile à anticiper.
Des parlementaires incapables d’assumer leur vote ?
D’ailleurs, assez étrange l’argumentation par exemple de Laurent Fabius, ancien Président de l’Assemblée Nationale à deux reprises (1988 à 1992 et 1997 à 2000), qui, encore chez Laurent Ruquier le 24 janvier 2009, évoquait ces pauvres parlementaires radicaux de gauche qui, s’ils avaient su, n’auraient pas voté la réforme au Congrès l’été dernier.
Étrange et inquiétante, car cela signifierait que ces parlementaires auraient été d’une crédulité sans commune mesure, et je frémis à l’idée de laisser mon destin sous leur responsabilité : comment n’ont-ils pas vu qu’ils signaient un chèque en blanc ? et comment n’ont-ils pas anticipé le contenu de cette loi organique alors que certains avaient déjà imaginé la manœuvre ?
Une dictature rampante ?
Sur le fond, mon avis reste partagé.
Ce serait très facile de crier au loup avec les autres. "Au secours, on veut manger ma démocratie ! Au secours, l’opposition est bafouée ! Au secours, la dictature se met petit à petit en place !"…
Nicolas Sarkozy serait-il un dictateur ? Nicolas Sarkozy voudrait-il nous refaire le coup du 2 décembre 1851 ?
Ces questionnements sont d’autant plus ridicules que si Louis Napoléon Bonaparte a fait son coup d’État, c’était parce qu’il ne pouvait pas se représenter à un second mandat présidentiel.
Nicolas Sarkozy, au contraire, alors que rien ne l’y obligeait, a voulu absolument mettre dans la réforme du 23 juillet 2008 une limitation à deux mandats présidentiels successifs (limitation que je considère d’ailleurs malsaine au nom de la démocratie aussi mais qui devrait réjouir tous les opposants à Nicolas Sarkozy).
Quelle est la position de l’UMP ?
Le Président de l’Assemblée Nationale Bernard Accoyer semble aujourd’hui avoir moins de pouvoir que le président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale, Jean-François Copé, qui semble le véritable maître des députés de la majorité malgré quelques débuts chaotiques.
Et que dit l’UMP pour justifier cette limitation au droit d’amendement ?
Que l’obstruction parlementaire est intenable dans une démocratie mature. Et ce n’est pas faux : présenter des milliers voire des dizaines de milliers d’amendements uniquement pour retarder l’adoption d’un projet de loi qui sera, de toutes façons, adopté pour cause de majorité parlementaire, n’est pas une manière saine d’exercer la démocratie.
Surtout lorsqu’on regarde de plus près la nature des amendements, parfois sur un emplacement de virgule, ou sur un hors sujet qui ridiculise complètement l’action des parlementaires qui n’ont pas besoin de cela pour être déjà discrédités… alors que des gens crèvent de faim (argument basé sur l’émotionnel).
C’est évidemment de bonne guerre, et dans ce petit jeu des procédures parlementaires, l’UMP a sans doute une meilleure expérience : je me souviens notamment au moment du débat sur les nationalisations de grands groupes en 1982 où des députés tels qu’Alain Madelin, François d’Aubert et Jacques Toubon avaient été sanctionnés d’un mois d’indemnités parlementaires par Louis Mermaz, Président de l’Assemblée Nationale à l’époque. Le député de Fontainebleau Didier Julia parlant même de « national socialisme ».
Une réforme qui transforme les pratiques traditionnelles
La différence aujourd’hui, c’est que la réforme des institutions a bouleversé la procédure parlementaire dans le sens a priori favorable aux parlementaires, et notamment sur deux aspects.
Le premier aspect, c’est la limitation de l’emploi du 49.3 de la Constitution aux seules lois de financements publics et à un projet de loi par session (avant, aucune limitation). L’obstruction ne peut donc plus être contrée par cet article sauf à de très rares occasions. Cela dit, le 49.3 a toujours été une arme non pas contre les parlementaires de l’opposition mais pour régler des problèmes au sein propre de la majorité parlementaire (notamment à l’époque des gouvernements de Raymond Barre entre 1976 et 1981 où Jacques Chirac s’opposait sans cesse à Valéry Giscard d’Estaing tout en refusant de censurer son gouvernement).
Le second aspect qui a changé inscrit dans l'article 17 de la réforme des institutions du 23 juillet 2008, c’est qu’une durée minimale d’étude d’un texte de loi a été instaurée. Entre le dépôt sur le bureau d’une des deux assemblées et la première séance publique de discussion dans cette assemblée, il devra s’écouler désormais au moins six semaines, ce qui permet aux parlementaires de l’amender et de l’améliorer (d’autant plus que ce sera le projet amendé par la commission qui l’étudie qui sera débattu et pas le projet initial du gouvernement).
Alors qu’en penser ?
Un compromis UMPS
Le compromis entre l’UMP et le PS (bizarrement, je n’ai pas connaissance de la concertation avec d’autres partis parlementaires) repose sur le maintien d’une limitation globale du temps de parole par groupes politiques, mais avec la possibilité exceptionnelle de le dépasser par un « temps législatif programmé exceptionnel ».
Cela paraît en effet une bonne mesure qui dissipe les effets d’une obstruction parlementaire (plus durs à contrer qu’auparavant) tout en maintenant l’indispensable liberté d’amendement des parlementaires (et pas seulement de l’opposition d’ailleurs).
Démocratie ballottée
Vu la sagesse rapidement retrouvée des députés socialistes, je ne peux que me dire que la semaine dernière, par je ne sais quelle fièvre, les socialistes ont tempêté dans un verre d’eau…
Et rappelez-vous : si nous vivions vraiment dans une dictature, plus personne ne pourrait le dire, même sur l’Internet !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 janvier 2009)
Pour aller plus loin :
Cessez-le-feu UMPS.
Réforme des institutions.
Qui a voté la réforme des institutions ?
Sur les droits nouveaux du Parlement.
Sur le droit d’amendement dans la réforme des institutions (point 26).
Délai d’étude des textes parlementaires (point av).
Limitation des mandats présidentiels.
Le coup du 2 décembre 1851.
La Constitution depuis le 23 juillet 2008 (nouvelle version).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=50630
http://www.lepost.fr/article/2009/01/26/1400381_gesticulation-et-efficacite-democratiques.html