(dépêches)
Tintin s'explique
Spécial Hergé
Par paru dans Lire en 1978, publié le 15/12/2006 00:00 - mis à jour le 12/01/2009 11:38
En décembre 1978, à la veille de fêter le cinquantenaire de la création de Tintin, Hergé se livrait, avec brio, pour Lire, à un exercice de ventriloquie quasi schizophrénique : faire parler son personnage. À sa place.
L'anecdote est devenue célèbre, mais il est difficile de ne pas la citer tellement elle est significative. André Malraux rapporte dans Les chênes qu'on abat cette boutade du général de Gaulle : "Au fond, vous savez, mon seul rival international, c'est Tintin! Nous sommes les petits qui ne se laissent pas avoir par les grands. On ne s'en aperçoit pas à cause de ma taille..."
Libre à chacun d'apprécier la valeur et l'exactitude de la comparaison. Une chose est sûre toutefois : en Europe au moins, le succès de la bande dessinée racontant les aventures du reporter - boy-scout Tintin est unique en son genre. Sans doute (encore faudrait-il le vérifier) certaines BD ont-elles suscité à un moment donné un engouement similaire - on songe en particulier à Astérix. Mais aucune ne peut se prévaloir d'une telle longévité au faîte de la gloire. Car, tenez-vous bien, le toujours jeune et sémillant Tintin aura dans quelques semaines 50 ans d'existence. Un demi-siècle que le dessinateur belge Hergé (de son vrai nom Rémi Georges, d'où R.G.) a imaginé ce personnage dont la figure est familière à des millions de personnes : l'événement méritait d'être salué par Lire. A l'occasion de cet anniversaire peu banal, Hergé, le père de Tintin, a accepté de se prêter à un jeu : parler au nom de son fils. Père et fils, Hergé et Tintin, parlent exactement le même langage, nous dira-t-on. Pas tout à fait, pensons-nous. Et c'est précisément l'autonomie comme la dépendance du personnage illustre par rapport à son créateur que nous avons voulu mettre en valeur. Voici donc Tintin qui s'explique : sur ses origines - même les mythes ont commencé un jour, Tintin aussi -, sur ses amis - Milou, Haddock, Tournesol, Castafiore, ou Dupond et Dupont -, sur I'évolution de ses aventures, etc. Mais qui parledvg
Pierre Boncenne. Tintin, vous allez avoir cinquante ans d'existence dans quelques semaines. Vos aventures sont universellement connues mais, au fait, d'où vient votre nom "Tintin" ?
Tintin: Ah ! je n'en sais rien. Lorsqu'on naît ce sont vos parents qui vous donnent un nom. Il en a été de même pour moi et c'est donc Hergé qui m'a appelé Tintin. Où a-t-il été chercher ce nom-là ? Figurez-vous qu'il ne s'en souvient pas lui-même. C'était il y a très longtemps, c'était un jeu pour lui dont il était bien loin d'imaginer qu'il durerait cinquante ans et sans doute a-t-il choisi les premières sonorités se présentant à ses oreilles.
Après de nombreuses recherches, des universitaires comme Pierre Fresnault-Deruelle (1) ont effectivement abouti à cette conclusion : votre nom Tintin comme celui de Milou sont tout simplement le fruit de sonorités.
Oui, c'est cela. Tintin et Milou sont nés le même jour. Hergé m'a raconté qu'il nous avait créés en moins d'une journée parce que tout d'un coup le directeur du journal dans lequel il travaillait a voulu faire un supplément pour la jeunesse. Hergé en a été chargé et le malheureux a dû créer instantanément quelque chose. Je suis né ainsi : par hasard. Et pour mon nom, Tintin, pour celui de Milou aussi, c'est la même chose : le hasard des sonorités.
Et le nom du capitaine Haddock, d'où vient-il ?
Le capitaine Haddock est né beaucoup plus tard que moi. Hergé a choisi ce nom sur le conseil de l'un de ses amis à la fois pour sa sonorité et pour sa signification. Le capitaine Haddock est un marin. Or le haddock est un poisson fumé et Hergé a trouvé tout naturel de donner ce nom à un marin. Mais il y a mieux encore : dans un livre paru iI y a quelques années en Grande-Bretagne, il est question d'une petite localité anglaise où l'on trouve un monument érigé à la mémoire d'une famille Haddock qui a compté en un siècle sept capitaines et un amiral.
Et ce cher professeur Tournesol, à quoi doit-il son nom ?
A la fantaisie. Le professeur Tournesol est un personnage poétique et je pense qu'Hergé a voulu lui donner un nom léger, celui d'une fleur qui tourne avec le soleil ...
Vous m'avez dit que vous ne vous souveniez pas du jour de votre naissance...
...Ah ce n'est pas moi qui vous ai dit cela et, du reste, qui se souvient du jour de sa naissance ? Je sais bien qu'il existe, paraît-il, des méthodes pour s'en souvenir, mais enfin...
Je me suis trompé ! Je voulais vous demander bien entendu si Hergé votre père n'avait plus de souvenirs de votre naissance ?
Tintin: Non, presque plus. Pour lui c'était vraiment sans importance, ce n'était pas un événement capital, et iI ne pensait pas que j'existerais plus de six mois. Hergé se destinait au journalisme et à la photographie et c'est pourquoi il a fait de moi un reporter. A l'époque l'archétype du journaliste, c'était quelqu'un s'embarquant sur un grand paquebot à destination de l'Asie, le journaliste c'était un grand voyageur, c'était Albert Londres ou Joseph Kessel et mon père a voulu que je sois un peu leur sosie rêvé. Mais pour lui mon existence n'avait pas plus d'importance qu'un rêve et jamais, au début, il n'a pensé qu'il vivrait de mes aventures. Je suis né comme on fait une blague entre copains oubliée le lendemain. Et ce n'est que quatre ou cinq ans après ma naissance que mon père m'a vraiment pris "au sérieux" si j'ose dire.
Et quand vos aventures ont-elles réellement commencé à avoir beaucoup de succès ?
Encore plus tard, après la dernière guerre, lorsque mes aventures ont été imprimées en couleurs et que la France s'est intéressée à moi. Jusqu'à ce moment-là mes aventures n'existaient qu'en noir et blanc et n'étaient quasiment pas diffusées hors de Belgique. A partir des années 1946-1949 mes aventures ont commencé à avoir du succès, en particulier grâce à la création de l'hebdomadaire Tintin.
Aujourd'hui dans combien de langues vos aventures sont-elles traduites et à combien de millions d'exemplaires ont-elles été diffusées ?
Je suis connu dans 17 langues différentes, la dernière en date étant le coréen et mes aventures ont été vendues à plus de 55 millions d'exemplaires. Peut-être 60 millions d'exemplaires : cela change tellement rapidement !
Et quelle est celle de vos aventures qui a suscité le plus d'engouement ?
En tenant compte du décalage du temps, puisque les premières ont une avance sur les autres, c'est pratiquement la même chose et le même tirage pour tous les albums. Seul On a marché sur la Lune semble se détacher un peu, mais pas de beaucoup. Sans doute parce que c'est plus frappant qu'une aventure se passant sur terre.
Que pense votre père Hergé de tous les commentaires savants qu'il y a eu sur Tintin ? Au fond, il doit en sourire ?
Il est toujours étonné et votre présence ici l'étonne. Comment peut-on s'intéresser à cela ' Pour mon père mes aventures, si elles représentent un gros travail, restent un amusement et il est vrai comme vous l'avez dit que les études savantes qui me sont consacrées non seulement le font sourire mais surtout l'étonnent beaucoup. De même que mon père continue à être stupéfié par la correspondance lui parvenant des quatre coins du monde, de toutes les classes sociales et de tous les âges. Il y a là une boîte arrivant du Bangladesh. Un petit garçon a pris la peine de graver et de sculpter cette boîte puis de l'envoyer à mon père en lui disant son amitié. Qu'est-ce que mon père né à Bruxelles a de commun avec ce garçon né au Bangladesh ? Et, pour employer un grand mot, quel contexte culturel commun y a-t-il entre mes aventures et l'univers de ce garçon du Bangladesh ? Etonnant mystère...
On écrit à vous, Tintin, ou à votre père Hergé ?
Voilà quelque chose qui a beaucoup changé. Au début on écrivait plutôt à moi, maintenant on écrit plutôt à mon père. Lorsque j'ai commencé à exister, il y a donc cinquante ans, l'information circulait beaucoup moins bien qu'aujourd'hui : il y avait très peu de postes de radio, pas de télévision, les journaux étaient moins diffusés et l'on ne voyait donc pas la personne qu'il y avait derrière moi, Tintin. Maintenant, même les jeunes savent que derrière mon personnage il y a un homme à qui l'on peut écrire et poser des questions. C'est une différence très importante. Mais certaines choses n'ont pas changé : avant je recevais beaucoup de lettres où il n'y avait marqué sur l'enveloppe que "Tintin, Bruxelles" maintenant, c'est plutôt "Hergé, Bruxelles". Et l'on pose toujours des questions précises du genre "Pourquoi les Dupontd ont-ils des moustaches comme ceci ou comme cela ? " Mon père qui lit toutes ces lettres essaye chaque fois de répondre.
Il tient compte aussi des erreurs que l'on peut lui signaler ?
Tintin: Ah oui ! Au début mon père se laissait aller à des petites fantaisies, commettant des erreurs de coloriage ou de trait, voire même des erreurs comme celle-ci dans mon aventure Tintin au Tibet : lorsque mon père a décidé de me faire partir au Tibet, il a dessiné les premières planches en me faisant porter des chaussures à clous. Immédiatement un enfant a écrit à Hergé pour lui dire : "Vous vous êtes trompé, on ne fait plus de semelles à clous, maintenant, mais des chaussures à semelles de fibranne et, d'ailleurs, si Tintin perd un clou qu'est-ce qu'il va faire ? Il ne peut tout de même pas porter un sac de clous avec lui." Mon père m'a donné des nouvelles chaussures sans clous...
Votre première aventure a eu lieu au "pays des Soviets", pourquoi ?
N'oubliez pas que je suis un reporter et, à l'époque, exactement comme maintenant la plupart des journalistes ne rêvent que d'aller en Chine, les jounalistes voulaient partir en Russie parce qu'il se passait des choses là-bas. Il y avait déjà eu la Révolution de 1917, le massacre de la famille impériale, la guerre entre les Russes blancs et les Bolcheviks, la famine, etc. La Russie était vraiment dans l'actualité et mobilisait toutes les imaginations. Comme mon père travaillait dans un journal catholique, ayant violemment pris parti contre les Bolcheviks, il était tout à fait normal qu'il m'envoie là-bas m'informer. Mon père s'est servi d'un livre, Moscou sans voile, dans lequel un consul belge relatait tout ce qu'il avait vu. On a dit que c'était un livre de propagande. Peut-être. Mais c'est aussi un livre de reportage, de choses vues que l'on ne peut pas ignorer. Dans toutes les révolutions, aussi justifiées soient-elles, il y a des côtés épouvantables et, vu l'ambiance du journal dans lequel travaillait mon père, il était normal que moi, Tintin, le redresseur de torts, je raconte surtout ces côtés-là. Alors, d'accord, c'était de l'anticommunisme primaire. Mais il était tout à fait logique que je me rende en Russie.
Et Hergé regrette cet anticommunisme primaire ?
Non, il ne le regrette pas, même s'il n'est plus le sien. C'est ainsi, il faut accepter ce qui a été fait comme on accepte un péché de jeunesse.
Et pourtant, pendant très longtemps Tintin au pays des Soviets n'a pas été réédité, ce qui pouvait laisser supposer un certain remords de la part d'Hergé.
Eh bien ! je vais vous dire le seul et vrai remords qu'Hergé avait, était dû à des raisons esthétiques. Je ne voudrais pas faire de la peine à mon père, mais Tintin au pays des Soviets c'était les premiers dessins qu'il avait faits et c'étaient de très mauvais dessins ! Et c'est pour cela surtout que cet album n'a pas été réédité. Quant au reste, il était tout de même difficile de rééditer cet album après la guerre sans que cela apparaisse comme une prise de parti, et ce d'autant plus que les Russes étaient devenus nos alliés. Peu à peu, le temps a passé et mon père comme son éditeur ont pensé qu'il était possible de faire une réédition "historique" sous forme d'album-archives. Cet album existe maintenant, il montre que Tintin au pays des Soviets existe et voilà : tirez ou ne tirez pas sur le pianiste...
Si l'on s'interroge sur votre première aventure, on s'interroge encore plus sur votre âge. Quel âge avez-vous en réalité, Tintin ?
Question difficile. Lorsque mon père m'a créé j'avais quatorze ans mon père ayant été scout, quatorze ans était l'âge d'être scout. Aujourd'hui cinquante ans ont passé et je dirais que j'ai dix-sept ans. C'est assez rare cela, vous ne trouvez pas : au bout de cinquante ans je n'ai vieilli que de trois ans!
Vous êtes plutôt un boy-scout ou plutôt un reporter ?
Je suis un journaliste qui a l'esprit boy-scout. Avoir l'esprit boy-scout c'est avoir une certaine curiosité pour la vie, la nature, les animaux et les êtres humains ; c'est aussi un certain sens de la débrouillardise ; et c'est enfin une certaine fidélité dans l'amitié. Tout cela est peut-être un peu naïf, mais c'est ainsi et je ne le regrette pas.
De quoi vivez-vous ? Tintin n'a jamais de problèmes d'argent et du reste, si vous êtes reporter, on ne vous voit jamais écrire un article.
Tintin: De quoi je vis ? De l'air du temps ! La Providence et mon père veillent sur moi et je n'ai donc pas de problèmes d'argent, ce qui est très réjouissant. Mon père s'occupe de tout, il règle mes factures, j'ai de la chance (et lui aussi parce que je suis très raisonnable). Quant au fait que l'on ne me voit pas écrire un article, ou dormir ou manger, c'est tout simplement parce que dans une aventure il ne faut pas ralentir l'action, il ne faut montrer que les points forts.
Vous avez un père mais en réalité pas de famille ?
C'est vrai. Je n'oserais pas reprendre la parole de Jules Renard qui disait : "Tout le monde ne peut pas être orphelin." Moi j'ai cette chance. Enfin presque : je n'ai qu'un père. Je suis libre d'aller où je veux (certes avec l'accord de mon père, mais il est toujours d'accord avec moi) et je ne dépends d'aucune autorité, ce en quoi je suis différent des adolescents.
Vous avez été dans le monde entier et même sur la Lune. Mais vous n'avez jamais été au centre de la Terre ou tout simplement en France ?
Ce qui compte pour moi c'est l'exotisme. Et la France ce n'est pas l'exotisme, même s'il est vrai qu'on peut trouver de l'exotisme partout, par exemple dans certains quartiers de Bruxelles. Mais, d'une manière générale, ce qui était important pour moi et pour mon père c'était le voyage : toujours cet esprit de reportage d'un Joseph Kessel ou d'un Albert Londres partant au bout du monde pour voir ce qui s'y passe. Voilà pourquoi en ce qui concerne la Lune, je dirai la même chose : ce qui comptait là, c'était le voyage en soi et non pas l'arrivée. Hergé, qui aime bien la philosophie zen, s'intéresse plus au voyage qu'au but du voyage et il n'a pas du tout l'esprit science-fiction. M'envoyer sur la Lune ce n'était pas de la science-fiction (d'autant plus qu'aujourd'hui on y a été sur la Lune). Et pour Hergé, m'envoyer au centre de la Terre aurait un caractère plus scientifique qu'aventureux, ce qui l'intéresse moins.
Il m'a semblé que vous couriez plus dans vos premières aventures alors que vous réfléchissez plus dans les dernières.
C'est un problème qui m'a effectivement inquiété. Je crois que l'âge de mon père (soixante-dix ans) joue un rôle là-dedans. Je suis le reflet de mon père. Or, sans le savoir ni le vouloir, mon père a l'impression que dessiner quelqu'un en train de courir le fatigue plus. Pourquoi ? Sans doute parce que mon père, à soixante-dix ans, pense moins à courir et que ses centres d'intérêt sont plus la réflexion que le sport.
Vous m'avez dit n'avoir vieilli que de trois ans en cinquante ans, ce dont je vous félicite. Mais votre caractère a-t-il évolué ?
Je dois avoir évolué comme mon père a dû évoluer au cours de ces cinquante ans. J'ai évolué d'abord dans le sens du dessin : il y a une maturité qui s'est effectuée du point de vue graphique. D'autre part, et comme je vous l'ai rappelé, au début de mon existence mon père ne pensait pas du tout que j'allais devenir un métier pour lui. Le journal où il travaillait sortait le mercredi après-midi à cinq heures - comme la marquise - et parfois mon père arrivait le mercredi matin sans avoir rien fait : il sautait sur sa plume et ses dessins partaient immédiatement à la photogravure puis au tirage. Il ne réfléchissait donc pas à mes aventures, c'était un jeu. Et ce jusqu'au jour où mon père a annoncé que moi, Tintin, j'allais me rendre en Chine. Alors il a reçu une lettre d'un abbé, aumônier des étudiants chinois de l'université catholique de Louvain. Cette lettre disait en substance ceci : "Vous allez envoyer Tintin en Chine. Faites attention parce que tout le travail que nous faisons ici pour rapprocher la Chine de la Belgique, pour arriver à plus de compréhension, risque d'être réduit à néant si vous commencez à caricaturer les Chinois. Vous allez très probablement leur mettre des tresses alors que, depuis des années, les Chinois ne portent plus de tresses, le signe d'esclavage." Cette lettre a attiré l'attention d'Hergé. Il a rencontré cet abbé qui l'a mis en rapport avec un étudiant dont il s'occupait. Ce jeune garçon s'appelait Tchang Tchong-jen et était étudiant à Bruxelles à l'Académie de sculpture et de peinture. C'est lui qui a ouvert les yeux de mon père sur la culture chinoise et, depuis ce jour capital, mon père apporte plus de soins à ce qu'il fait. Il a considéré qu'il avait une sorte de responsabilité, qu'il voulait toujours raconter des histoires amusantes mais qu'il ne fallait quand même pas raconter n'importe quoi. C'est Le Lotus bleu qui est le grand tournant de mes aventures.
Vous êtes un héros et en tant que tel les enfants qui vous lisent doivent s'assimiler à vous...
Tintin: Je me permets de vous interrompre parce que je crois, vu mes cinquante ans d'existence, que la majorité de mes lecteurs sont ... des adultes. Ceux qui m'ont aimé lorsqu'ils avaient quinze ans n'ont pas décroché et, même s'ils sont devenus des grandes personnes, ils continuent à m'aimer. Et comme j'ai aussi beaucoup de lecteurs enfants dans les nouvelles générations, mes aventures ont de plus en plus de succès si j'en juge par le tirage de mes albums. Mon père rougirait s'il m'entendait dire cela!
Est-ce que vous croyez que l'on vous aime, vous Tintin, en comparaison de vos autres amis ? Vous êtes un héros très neutre alors que le capitaine Haddock est peut-être plus sympathique parce qu'il a des défauts.
C'est une question très difficile. C'est vrai, je suis neutre alors que du point de vue graphique notamment, tous mes comparses, le capitaine Haddock, Tournesol, Castafiore, etc., sont de terribles caricatures. Moi, mon visage est un schéma, un véritable schéma avec lequel n'importe qui peut s'identifier. Peut-être m'aime-t-on moins que mes comparses, mais le fait que mon visage soit neutre est une des raisons de mon succès car beaucoup de lecteurs jeunes peuvent s'identifier dans ce visage qui est assez malléable. Mon visage rond avec des yeux ronds est presque un masque, pas un masque pour se cacher mais au contraire pour s'identifier. Au moment où l'on préparait un film de Tintin on cherchait des comédiens pouvant incarner le rôle. On avait mis des annonces dans la presse et on a reçu, à l'époque, la lettre d'un petit Noir qui, photo à l'appui, disait : "Moi je veux jouer le rôle de Tintin." Pas une seconde il ne pensait à la couleur de sa peau et il s'était approprié mon visage sans aucune difficulté.
Un sociologue, Jean-Bruno Renard (2), a justement fait remarquer que vos aventures sont graphiquement d'un genre hybride : un dessin très caricatural pour les visages et, au contraire, une précision quasi démoniaque pour le monde alentour. C'est l'une des clefs de votre succès ?
Peut-être. Mon père pense que la précision du décor donne beaucoup plus de crédibilité aux personnages et qu'ils prennent d'autant plus de poids et d'épaisseur que les engins qu'ils utilisent ou les pays qu'ils visitent sont proches de la réalité. Et j'ajouterai un point important : pour que mon père lui-même croie à mes histoires et à mes aventures il faut qu'il m'entoure d'un maximum de crédibilité. Mon père s'est servi de moi découvrant le monde pour se découvrir lui-même.
On a beaucoup parlé de l'une de vos aventures qui est justement une non-aventure : Les bijoux de la Castafiore. Est-ce que cette non-aventure correspondait chez votre père ou chez vous à un besoin de repos ?
C'était surtout un besoin de réflexion ou un besoin de revenir chez soi. Le besoin de mettre ses pantoufles et de se dire : "Je vais voyager autour de ma chambre, là aussi il peut se passer quelque chose aussi bien qu'à Tombouctou ou Vladivostok." Les bijoux de la Castafiore c'est à la fois une anti-aventure et une aventure intérieure où l'exotisme vient à domicile sous la forme des romanichels.
Et c'était une aventure difficile à mener à son terme ?
Ah oui ! Les bjjoux de la Castafiore a commencé à paraître dans l'hebdomadaire Tintin à raison d'une page par semaine. Tenir l'attention pendant 62 semaines, c'est-à-dire plus d'un an, avec une histoire où il ne se passe rien c'était assez excitant mais c'était un dur exercice.
Certaines de vos aventures ont-elles été plus djfficiles que d'autres et y en a-t-il qui ont compté plus que d'autres ?
Toutes mes aventures, sauf les premières, où jouait la merveille de l'inconscience, ont été difficiles à mener à bien, toutes. Mais il y en a qui ont été plus importantes que d'autres pour mon père, et surtout Tintin au Tibet. Comme je vous l'ai raconté, mon père avait rencontré un jeune Chinois et il l'a d'ailleurs mis en scène dans Le Lotus bleu sous le nom de Tchang. Le vrai Tchang, un garçon très fin et très cultivé, est rentré chez lui à Shangai et il a écrit quelques lettres à mon père. La guerre est arrivée, puis la révolution chinoise avec Mao et Tchang n'a plus donné de nouvelles. Mais mon père pensait toujours à lui parce que Tchang Tchong-jen lui avait ouvert les portes de ce monde oriental dont la philosophie et la langue l'attirent beaucoup depuis. Il m'a donc envoyé au Tibet et cette aventure a correspondu à une période très difficile de sa vie. Tintin au Tibet c'était à la fois une épreuve pour mon père - d'où l'importance tout à fait inconsciente de la couleur bIanche - et un hymne à l'amitié car, dans cet album, moi Tintin, malgré tous ceux qui me disent que mon ami est mort dans un accident d'avion, je pars et je finis par le retrouver.
Mais dans la réalité Hergé, votre père, a-t-il retrouvé Tchang Tchong-jen ?
Tintin: Eh bien, oui, il y a seulement trois ou quatre ans. C'est une histoire extraordinaire si l'on songe qu'il y a 800 millions de Chinois. 0r, tenez-vous bien : une amie d'Hergé a été dans un restaurant chinois à Bruxelles et le frère du propriétaire de ce restaurant est un ami intime de Tchang qui est aujourd'hui directeur d'une académie de sculpture. Des dizaines d'années après Tintin au Tibet Hergé a retrouvé son ami Tchang, c'est prodigieux.
Votre grand ami, Tintin, c'est le capitaine Haddock. Mais le capitaine Haddock n'est-il pas plutôt un oncle pour Tintin ?
Vous avez sans doute mis l'accent sur la bonne filiation. Effectivement le capitaine Haddock est pour moi plus qu'un ami, il est plutôt un parent ou un oncle. Le capitaine Haddock m'amuse parce qu'il est truculent, spontané, colérique, parce qu'il a des défauts et que moi, Tintin, je n'en ai pas, hélas. Remarquez toutefois que lorsque Hergé a créé Haddock le capitaine était une pauvre épave, un alcoolique triste au point d'être désagréable. Et petit à petit, grâce à mon influence j'espère, son caractère s'est modifié et il a acquis certaines caractéristiques qui sont celles des amis d'Hergé, notamment d'Edgard Jacobs (auteur de La marque jaune).
Mais le capitaine ne vous a jamais transmis l'un de ses défauts ?
Il semble que non.
Parlons de la quasi-absence des femmes dans vos aventures. Il y a très peu de femmes autour de vous et les seules que l'on voit sont de terribles caricatures.
Mais c'est justement parce qu'il ne veut pas faire de caricatures de femmes que mon père en a mis très peu dans mes aventures. Reprenons au début. Lorsque Hergé m'a créé, le monde de Tintin était celui des boys-scouts. Et à l'époque les boys-scouts et les girls-guides ne se connaissaient pratiquement pas : il y avait d'un côté les garçons et les filles de l'autre. Dès le début les filles ou les femmes étaient donc absentes de mon univers à moi, Tintin. Petit à petit quelques femmes sont entrées dans mes aventures mais ces femmes ne pouvaient pas être jolies et ne pouvaient être que des caricatures parce que justement tous les personnages m'entourant, de Haddock jusqu'à Tournesol, sont des caricatures. Tous ils sont des personnages très laids...
Mais ils sont sympathiques. Et qu'est-ce qui empêchait votre père de créer des femmes caricaturées mais sympathiques ?
La Castafiore n'est pas antipathique...
Ah ! vous trouvez ? Et Peggy, la compagne du général Alcazar que l'on rencontre dans votre dernier album Tintin chez les Picaros, vous reconnaîtrez que c'est une épouvantable enquiquineuse?
Oui, elle est épouvantable. Hergé a vu cette personne-là à la télévision, c'était une Américaine, secrétaire d'une association abominable que je ne nommerai pas. Et il a trouvé amusant dans mes aventures de lui faire épouser un dictateur, le général Alcazar, pour "dictatorifier" le dictateur.
Donc Hergé ne peut vraiment pas faire la caricature d'une femme sympathique.
Non, il n'y parvient pas. S'il dessinait une jolie femme il introduirait alors une dimension amoureuse dans mes histoires, ce qui n'est pas son but ?
Excusez-moi, mais vous m'avez dit tout à l'heure que vous aviez dix-sept ans. A dix-sept ans on peut être amoureux ?
Attention, j'ai la forme de quelqu'un de dix-sept ans mais moralement j'ai encore quatorze ans ! Mon père, je vous l'accorde, n'a pas compris que j'ai vieilli!
Alors nous ne verrons jamais autour de Tintin des femmes avec des défauts sympathiques ?
Je ne sais pas et je ne pourrai pas le promettre au nom de mon père. Ce n'est pas de la misogynie de la part d'Hergé. Mais il pense que la présence des femmes dans mes aventures créerait des ambiguités auxquelles il ne tient pas.
Tintin, je voudrais vous demander maintenant ce que vous pensez, au fond, des savants. Il y en a quelques-uns dans vos aventures mais, à l'image de ce cher Tournesol, ils sont tous lunatiques et un peu cinglés ou alors dangereux. Vous avez peur de la science ?
J'aime bien la science et la bande dessinée m'est très utile de ce point de vue puisque sous cette forme-là n'importe quelle invention se justifie. On peut inventer ce que l'on veut. Et cela ne rate pas forcément. La preuve : nous avons été avec mes amis sur la Lune beaucoup plus vite qu'avec une fusée Apollo de la NASA parce que Tournesol est arrivé à construire une fusée à accélération constante. Mais il est vrai que dans le fond j'ai une sorte de défiance non pas vis-à-vis de la science en soi mais vis-à-vis des applications de cette science. Je suis un peu inquiet des expériences que l'on fait pour vérifier une invention, celle d'une bombe ou d'un médicament
Autour de vous, les policiers, dont les plus célèbres sont Dupont et Dupond, sont bêtes ou méchants ou les deux à la fois.
Il est vrai qu'il y a beaucoup de policiers bizarres et véreux autour de moi. C'est peut-être une méfiance à l'égard d'une sorte de pouvoir. L'un de mes commentateurs a dit que j'étais un anarchiste rose. C'est vrai : un boy-scout face à la police ou au monde politique est forcément un peu contestataire.
Hormis les Chinois peut-être, les étrangers que vous rencontrez sont tous présentés comme un peu sauvages.
Tintin: Non. Vous exagérez là et votre remarque ne s'applique qu'aux indiens. Les étrangers sont des êtres différents qui font partie du décor de mes aventures exotiques et rien de plus. Je ne peux pas être un psychologue ni un militant fraternisant, même si j'ai souvent pris parti pour eux.
Et si nous parlions de ces personnages importants que sont les animaux ? Je crois que votre père aime beaucoup les chats. Or votre ami à vous Tintin est un chien, Milou ...
Il est beaucoup plus facile de se promener avec un chien qu'avec un chat. Lorsque mon père m'a fait naître il a donc pensé au chien car c'était un animal plus facile à faire voyager et peut-être plus facile à faire parler. Reste que Milou parlait beaucoup plus à l'époque que maintenant parce qu'aujourd'hui le capitaine Haddock vitupérant l'a remplacé. Milou était un peu mon Sancho Pança disant : "Restons tranquilles dans nos pantoufles." C'est le capitaine Haddock qui remplit ce rôle aujourd'hui et donc Milou est moins important qu'il ne l'était au début.
Les autres animaux que vous rencontrez sont très souvent des animaux agressifs. II n'y a pas de fraternité avec eux.
C'est curieux ! Il y a du vrai dans ce que vous dites ... Mais ce n'est pas le reflet de ce que pense mon père. Il se fait qu'iI m'arrive des aventures. Or rarement vous allez avoir une aventure avec un chaton ou un animal domestique. L'aventure ne peut arriver qu'avec un animal qui vous agresse : le tigre, la panthère, le moustique, le serpent. Mon père a une très grande estime pour les animaux, moi j'ai des aventures avec les animaux. Il y a une dualité, là, et il ne faut pas confondre la vie privée de mon père et ce qu'il me fait faire. Et puis j'oublie de vous dire aussi qu'il est pétri de contradictions. Vous l'avez remarqué d'ailleurs.
Votre père adore le monde du langage, les jeux de mots ?
Oui, Hergé aime les calembours. Tous les matins en arrivant à son bureau c'est un rituel pour mon père de dire à son secrétaire " Comment va tuyau de poêle ?", lequel répond invariablement: "Et toiture de zinc '". Mais mon père n'utilise presque jamais les calembours dans mes aventures parce qu'il est freiné chaque fois par les problèmes de traduction. Alors il se venge avec les injures sonores et sans signification du capitaine Haddock.
Vous, Tintin, contrairement aux autres personnages vous avez un langage sans failles. Tournesol a un problème fondamental de langage, il est à moitié sourd, Haddock invente des injures inouïes, la Castafiore déforme tout le temps les mots et notamment celui de Haddock, quant aux Dupondt ils ont un défaut de prononciation.
Oui, moi je m'exprime correctement et je ne cherche pas à inventer des mots. Au fond, moi, je suis le meneur de jeu et je suis là pour faire le point, pour indiquer le chemin. Mon langage doit être clair pour faire comprendre à mes lecteurs ce qui se passe. Je suis le fil conducteur.P.B. En somme vous représentez l'ordre. Vous êtes partisan de l'ordre en toutes choses 'Tintin. Oui, je n'aime pas le désordre même si je sais que c'est utopique et qu'il faut du désordre dans la vie.
Que pensez-vous de l'alcoolisme du capitaine Haddock ?
D'abord, c'est un alcoolisme de papier. Et puis grâce à mon influence, vous avez vu, il s'est calmé, il a nettement appuyé sur le frein : ce n'est plus 100 litres au 100 kilomètres. Alors l'alcoolisme du capitaine Haddock je le juge avec un sourire indulgent.
Mais c'est un désordre pourtant.
Je n'aime pas l'ivrognerie et au début j'ai fait la morale au capitaine Haddock parce qu'il y allait trop fort. Mais maintenant, s'il a envie de boire un verre ou même deux, pourquoi pas ? Au début il avait l'alcool triste et maintenant il est plutôt colérique. Et si jamais il lui arrive de trop boire, son ivrognerie tourne mal : elle est à chaque fois sanctionnée et il lui arrive des malheurs.
Vous êtes croyant, Tintin ?
Non, mon père ne m'a pas élevé dans une religion bien précise.
La religion catholique est évoquée dans vos aventures mais elle n'est jamais moquée.
Je ne me moque ni de la religion catholique ni des autres. Mon père s'informe toujours beaucoup pour me faire courir à travers le monde et, par exemple, il s'est beaucoup documenté sur la religion des Incas pour faire Le temple du Soleil. Mais il ne se moque pas : il s'amuse. On a reproché un jour à mon père de se moquer de la religion musulmane parce que les deux Dupontd débarquant dans le désert voient un type agenouillé et lui flanquent un coup de pied dans le derrière. Ce n'est pas se moquer de la religion musulmane mais se moquer des deux Dupontd. C'est tout à fait différent : c'est une atteinte à l'intégrité physique et non à la religion.
Quels sont vos rapports avec votre père et inversement ?
Tintin: Génétiquement je dépends de mon père, de ses rêves comme de sa situation. Mon père aurait voulu être reporter et je suis reporter. Mon père aurait voulu être un héros, et moi je le suis (mais pas lui, c'est évident).
Vous n'avez jamais eu de difficultés avec votre père ?
Oh si ! j'en ai eu. Je dirai par exemple que nos rapports sont toujours distendus entre chacune de mes aventures. Hergé ne veut plus s'occuper de moi. Il veut m'abandonner, il en a un peu marre et il me dit : "Tintin, ça suffit, laisse-moi tranquille". Et puis chaque fois l'envie le reprend de raconter une aventure et il repense à moi. Pourvu que ça dure !
Est-ce que vous aimeriez, Tintin, rencontrer certains de vos comparses appartenant à d'autres bandes dessinées ?
Ce sont des mondes différents et je ne crois pas que j'aurais envie de les connaître. Nous sommes faits pour ne pas nous rencontrer, nous sommes des parallèles qui ne se rejoignent jamais.
Est-ce que votre père lit beaucoup de BD ?
Il n'aime pas tellement lire de la bande dessinée, tout au moins celles qui se rapprochent de mes aventures parce que mon père est une espèce d'éponge s'imbibant des choses et les restituant sans se douter qu'il les a vues ailleurs. Il se méfie beaucoup de cela. Mais je sais qu'Hergé a beaucoup d'admiration pour Claire Bretécher, Wolinski, Fred ou Reiser.
Vous appartenez totalement à votre père' En d'autres termes, est-ce que vous pouvez lui survivre ?
Non, là je suis formel. Si Hergé a des collaborateurs travaillant pour lui, collaborateurs qui ont un grand talent (et souvent plus que lui dans certains domaines), je crois que malgré tout l'oeuvre de mon père a un caractère profondément personnel. Tintin ne peut pas survivre à Hergé.
(1) La bande dessinée, essai d'analyse sémiotique, Hachette.(2) Clefs pour la bande dessinée, Seghers.
TINTIN A 80 ANS – Mille milliards de mille sabords !
Ecrit par Damien Bouhours, le 19-01-2009 00:00
Le reporter le plus célèbre a fêté la semaine dernière ses 80 ans. Les aventures du petit blondinet à houppette bien que terminées font toujours la joie des enfants (et des plus grands). Aimé et lu à travers le monde, Tintin fait pourtant l'objet de polémiques autour de son créateur, Hergé
Le 10 janvier 1929, un petit journaliste blond (photo Afp/@RG Moulinsart 2005) fait son entrée dans le supplément jeunesse le Petit Vingtième du quotidien bruxellois le Vingtième siècle et par la même occasion rentre dans l'imaginaire populaire.
De ses premières aventures "au pays des Soviets" à la dernière inachevée "Tintin et l'Alph Art", les 24 tomes de l'éternel jeune homme aux pantalons de golf ont fait rêver des générations d'enfants à travers le monde. Traduite en 60 langues et écoulée à plus de 200 millions d'exemplaires, la série de bandes dessinées d'Hergé n'a pas pris une ride malgré son arrêt définitif à la mort de celui-ci en 1983.
La Belgique célèbre son héros
Pour célébrer le succès non-démenti du reporter belge, la gare de Bruxelles-Luxembourg a inauguré une fresque, mercredi dernier. Un musée Hergé, imaginé par l'architecte Christian de Portzamporc, devrait également ouvrir ses portes à Louvain-la-Neuve, au mois de juin. Un bon moyen de (re)découvrir l'univers rempli d'action, de suspense, de voyages et de bons sentiments de Tintin, son chien Milou, le capitaine Haddock, Nestor le majordome, le professeur Tournesol ou encore Dupont et Dupond. Un anniversaire que l’on fêtera aussi du côté d’Hollywood puisque Steven Spielberg planche actuellement sur l’adaptation d’une des aventures du blondinet.
La face obscure de Tintin : Hergé
Le 80ème anniversaire de Tintin soulève la joie des nombreux aficionados mais également les polémiques autour de son créateur, Georges Prosper Rémi alias Hergé. Sujet de plusieurs biographies, le dessinateur belge a été interrogé plusieurs fois sur ses prises de positions (notamment politiques) que reflètent les histoires de son personnage. Jugé anti-communiste suite à "Tintin au pays des Soviets", Hergé s'explique en précisant que le Vingtième siècle était une publication "catholique, d'extrême droite, dans un contexte alors très anti-bolchevique" Il ne regrette pourtant pas le contenu de ses histoires qui dans certains albums comme "Tintin au Congo" passe pour colonialiste et raciste (un racisme relayé par les nombreuses injures xénophobes prononcées par le capitaine Haddock lors de ses colères légendaires).
Tintin gay ?
Dernière thèse avancée par le journaliste Matthew Parris, Tintin serait homosexuel. Dans un article du Times intitulé Of course Tintin is gay. Ask snowy (Bien sûr Tintin est gay. Demandez à Milou), l'ancien député revient sur toutes les circonstances qui font de Tintin, un héros gay : coupé de sa famille, vivant avec un autre homme (le capitaine haddock), des personnages féminins très peu présents (si ce n'est la Castafiore, la cantatrice diva) et aucune histoire d'amour.
Si plusieurs spécialistes du personnage nient ces arguments en rappelant que Tintin est un personnage asexué et ne choquant pas la morale catholique de l'époque, Hergé n'a jamais vraiment démenti la rumeur. En 1973, invité de Pivot, Hergé évoque son album préféré "Tintin au Tibet", où le héros part à la recherche de son ami Tchang, en ces mots : "une histoire simple, sans méchants, juste une histoire forte d'amitié, voire d'amour". Une seule personne serait capable, selon Matthew Parris, de faire le coming out de Tintin : son fidèle compagnon canin, Milou. Mais comme le dit malicieusement le journaliste : "Milou a tout vu, Milou sait tout. Et Milou ne dira jamais rien".
Damien Bouhours (www.lepetitjournal.com) vendredi 16 janvier 2009
Tintin, cet alerte et fringant octogénaire
Magazine
mercredi 14 janvier 2009
L'âge n'a pas de prise sur Tintin. : Hergé-Moulinsart 2009
Malgré son grand âge, le petit reporter à la houppette vivra encore une année bien remplie.
Le 10 janvier 1929, Tintin part en reportage au pays des Soviets. C'est ce que découvrent, intrigués puis ravis, les jeunes lecteurs du Petit Vingtième, le supplément jeunesse du Vingtième Siècle. Le quotidien bruxellois est alors dirigé par l'abbé Wallez, un ultra-catholique admirateur de Benito Mussolini, le dictateur italien.
Les exploits du jeune reporter au pays des (méchants) bolcheviks passionnent à un tel point qu'à la fin de l'histoire, l'abbé Wallez a l'idée d'organiser le véritable retour du héros de papier à Bruxelles. Contre toute attente, l'accueil fait à ce Tintin en chair et en os sera digne de celui d'un chef d'État. La légende de Tintin se met en marche.
Aventure et humour
Avec ses pantalons de golf, ce Riquet à la houppe des temps modernes entreprend de parcourir le vaste monde. Chaque histoire amplifie le succès. Vingt-trois et une 24e inachevée (Tintin et l'Alph Art) naîtront de l'imagination fertile d'Hergé, disparu en 1983.
Le dessinateur bruxellois, dont le graphisme s'appuie sur une documentation de plus en plus fouillée, s'avère être un remarquable conteur, une sorte d'alchimiste dosant à la perfection aventure, suspense, humour et bons sentiments. Tintin, qui n'a ni parents, ni femme, ni enfants, ne tarde pas à se trouver une famille de substitution en croisant le chemin du capitaine Archibald Haddock, du savant Tryphon Tournesol, des détectives Dupond et Dupont, de Bianca Castafiore...
Quatre-vingts ans après sa création, Tintin n'a pas pris une ride. Les albums, traduits en soixante langues, dont le breton et le gallo, se sont vendus à plus de 200 millions d'exemplaires. Son étoile, qui n'a rien de mystérieuse, n'est pas prête de pâlir. Steven Spielberg a décidé d'adapter ses aventures au cinéma.
Dans l'immédiat, les festivités autour de l'anniversaire de Tintin débutent, ce mercredi au coeur de la capitale belge, avec l'inauguration d'une fresque à la gare de Bruxelles-Luxembourg. En juin, un musée Hergé, conçu par l'architecte Christian de Portzamparc, ouvrira ses portes à Louvain-la-Neuve.
Dans Tintin et les sept boules de cristal, le jeune reporter passe par Saint-Nazaire.
Alain BESSEC.