Excellent documentaire sur la Révolution iranienne qui fête son trentième anniversaire.
Parfois, la télévision est un excellent outil pédagogique ou didactique.
Le soir du 17 février 2009, la chaîne publique France 3 proposait la première partie d’un documentaire retraçant l’histoire de la révolution islamique en Iran, sur la période 1978-1981.
Une très bonne émission historique
Le 1er février 1979, il y a trente ans, l’ayatollah Ruhollah Khomeini arrivait à Téhéran et instaurait la théocratie iranienne. Dans l’avion qui quittait Roissy, les conseillers du guide islamique avaient astucieusement invité de très nombreux journalistes pour éviter tout attentat. Dans sa cabine, on peut voir Khomeini souriant une derrière fois, ce qui étonne tant son regard baissé, caché par d’épais sourcils, empêche de voir ses pensées.
Pour ceux qui ont vécu les événements par médias interposés, il était à la fois intéressant de se remémorer les faits et émouvant de retrouver quelques souvenirs vus ou entendus à l’époque.
La grande qualité de ce documentaire réalisé par Delphine Jaudeau en 2008, c’est de ne pas avoir fait du sensationnel comme le style à la mode depuis plusieurs années, avec un ton inutilement dramatique et des séquences de fiction pitoyables, mais justement de limiter au maximum la voie off et donner avant tout présence aux nombreux témoins.
De riches témoignages
Et c’est à ce sujet que le téléspectateur est surpris : la réalisatrice a réussi à retrouver tous les protagonistes du drame qui s’opère de 1978 à 1981 en Iran, en France et aux États-Unis. Des témoignages actuels ou déjà anciens (pour ceux qui sont décédés), avec des images d’archives qui montrent la fuite du temps sur les visages.
Parmi les témoins américains, on retrouve Jimmy Carter, le Président américain, son conseiller principal, Zbigniew Brzezinski, son Secrétaire d’État Cyrus Vance et son adjoint, Warren Christopher, qui sera le Secrétaire d’État de Bill Clinton (on se dit que Jimmy Carter était bien entouré), des diplomates retenus en otages à Téhéran, et aussi Walter Mondale, le Vice-Président de Jimmy Carter, dont les traits vieillis restent surprenants (depuis sa candidature malheureuse de 1984, Walter Mondale n’a plus eu beaucoup d’activités publiques).
Côté iranien, non seulement il y a Chapour Bakhtiar (Premier Ministre nommé par le Shah in extremis avant de quitter l’Iran, assassiné le 7 août 1991 en France), Abolhassan Bani Sadr (le premier Président iranien depuis le retour de Khomeini), mais aussi le chef du commando étudiant qui a pris en otage le personnel de l’ambassade américaine et des conseillers de Khomeini, la femme du Shah également.
Valéry Giscard d’Estaing intervient aussi dans le documentaire ainsi que des émissaires français de l’époque.
Un déroulement historique bien articulé
Le documentaire montre la pression de la rue face à des dirigeants distants et sans écoute : la classe moyenne iranienne proteste contre le pouvoir oligarchique du Shah d’Iran qui se heurte à l’islam en modernisant le pays et en lui imposant les valeurs occidentales.
Le Shah est soutenu fermement par les Américains pour qui son pouvoir est un gage de stabilité dans la région.
Khomeini, comme le Shah quelques années après, ne cesse de changer de terre d’asile et ses conseillers ont l’idée de le conduire en France dont les lois sont plus simples (pas besoin de visa). En France, Khomeini fait beaucoup de propagande, ce qui gêne évidemment le gouvernement français qui soutient le Shah.
Il est assez surprenant de voir à quel point le Shah obéit aux consignes des Américains, à tel point qu’il ne savait plus comment réagir face à la foule des contestataires : par la force ou par la discussion. Les Américains veulent d’abord un rétablissement ferme pour montrer que le Shah est aux commandes, puis lâcher du leste sur les revendications des opposants.
Finalement, sur le conseil de Bakhtiar, le Shah quitte l’Iran le 16 janvier 1979 (officiellement, pour se reposer). Khomeini y arrive quelques jours après, tellement secoué dans sa voiture par ses partisans qu’il doit la quitter et prendre un hélicoptère.
Jimmy Carter refuse les demandes d’asile politique du Shah car il sait par ses diplomates à Téhéran que la situation pourrait devenir explosive. Il rapatrie la majeure partie de l’ambassade américaine à Téhéran (qui passe de 2 000 à moins de 100 personnes). Sur le conseil de Brzezinski, il finit par accepter un asile temporaire au Shah pour se faire soigner à New York (le 22 octobre 1979).
Cet asile enflamme la population iranienne et un petit groupe d’étudiants (parmi lesquels le futur et actuel Président iranien Ahmadinejad qui refuse le principe de s’en prendre aux Américains car il estime qu’il faut désormais s’éloigner des Soviétiques qui sont aussi des ennemis de l’islam) organise l’assaut de l’ambassade américaine le 4 novembre 1979. Ils prennent en otage les 66 Américains présents et réclament l’extradition du Shah pour être jugé.
Les otages américains, une humiliation encore ressentie
Ce que le documentaire retrace bien, c’est qu’au départ, les ministres de Khomeini font tout pour résoudre ce problème dont ils ne sont pas responsables mais Khomeini, au contraire, donne raison aux étudiants islamistes et inaugure un nouveau mode de relations internationales tout en se libérant des ministres et conseillers les plus modérés.
Après des sanctions économiques et diplomatiques et l’échec de tentatives de négociation, Jimmy Carter décide de faire libérer lui-même les otages. Très peu de conseillers sont au courant. Cyrus Vance est contre le principe d’une telle opération car il sera impossible de la justifier auprès des Commissions de la Défense du Congrès. Jimmy Carter profite d’un déplacement de Cyrus Vance à Miami pour exécuter l’Opération Eagle Claw en y adjoignant à sa place Warren Christophe (adjoint de Vance).
Cette opération, la nuit du 24 au 25 avril 1980, est une catastrophe militaire, diplomatique et politique. Des hélicoptères sont en panne avant d’arriver à Téhéran, Jimmy Carter annule l’opération et une collision entre deux appareils américains fait huit morts. Walter Mondale doit réveiller tous les leaders de partis la nuit pour leur expliquer l’opération et son échec avant qu’ils en soient informés par la presse.
Pour Jimmy Carter, l’histoire des otages à Téhéran est sa priorité numéro un qui plombe sa candidature pour sa réélection de novembre 1980.
Cependant, les généraux de l’armée iranienne n’étant plus là (exécutés ou ayant fui), l’Iran se trouve avec une armée en très mauvais état et sans pièce de rechange. Cela l’incite donc à renouer contact avec les Américains. La mort du Shah le 27 juillet 1980 encourage aussi les négociations.
Warren Christopher explique sa surprise de voir un jeune émissaire iranien en costume cravate à l’Occidentale. Les demandes iraniennes sont acceptées par les Américains (reversement des biens iraniens dans les banques). Le lendemain, 22 septembre 1980, Saddam Hussein envahit l’Iran sans aide américaine mais sans opposition non plus.
Finalement battu en novembre par Ronald Reagan, Jimmy Carter veut absolument faire libérer les otages avant la fin de son mandat, en précisant que ce serait plus difficile d’obtenir les fonds sous son successeur.
Quelques jours avant la fin de son mandat, Jimmy Carter et ses conseillers font le forcing pour débloquer tous les fonds prévus, conditions nécessaires avant de la libération des otages.
Carter appelle lui-même Thatcher pour lui demander de faire pression sur une banque britannique. La veille, un haut fonctionnaire du Trésor a refusé sa signature (pourtant indispensable) pour un transfert de fonds et est parti en vacances : Carter le limoge alors pour passer outre.
Ce qui est étrange, c’est que ces coups de fil sont filmés et diffusés. On imagine mal ce type de séquences avec un Président français.
Deux heures avant le serment de Reagan, les otages sont dans l’avion mais l’avion ne décolle pas. Carter doit aller à l’investiture de Reagan pendant qu’un conseiller continue à être en liaison avec Téhéran.
Cinq minutes après que Ronald Reagan prête serment, l’avion décolle de Téhéran avec les otages américains : jamais Président américain n’aura été autant humilié que Jimmy Carter.
Instrumentaliser le hasard
Ce que montre bien le documentaire, c’est que Khomeini n’a pas été à l’initiative de la prise d’otage mais a vu tout l’intérêt pour sa Révolution islamique à s’en servir et la date de libération était aussi un hasard (il fallait que le gouvernement américain libère d’abord les fonds iraniens) mais il a malgré tout pris un malin plaisir à retarder de quelques minutes le décollage de l’avion afin d’humilier une dernière fois Jimmy Carter.
Cet épisode montre à quel point on peut comprendre que, depuis 1979, l’Iran constitue l’un des "axes du mal" des États-Unis.
Aujourd’hui, un climat de détente semble s’instaurer entre Ahmadinejad, l’ex-étudiant ami du commando de la prise d’otages, et Obama, nouveau Président des États-Unis.
À voir donc
La première partie du documentaire diffusée le 17 février sera rediffusée sur France 3 le samedi 21 février 2009 à 01h35 et la seconde partie sur la période 1982-2001 sera diffusée ce 18 février à partir de 23 heures.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 février 2009)
Pour aller plus loin :
N'oubliez pas le Guide.
Dossier sur la Révolution iranienne de la Télévision Suisse Romande.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=51845
http://fr.news.yahoo.com/opinions.html
http://www.lepost.fr/article/2009/02/20/1430996_de-quoi-fouetter-un-shah.html
http://www.centpapiers.com/de-quoi-fouetter-un-shah/5512/
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