La disparition de la "grand-mère" des journalistes français est passée quasiment inaperçue dans la presse française et quand elle est passée, ce fut émaillée de plusieurs inexactitudes. Oubli, ingratitude, ignorance, indifférence, incompétence ? Dommage d’un si petit hommage.
Je l’avais hélas évoqué à la fin de mon article sur France Inter et la possible désignation de Philippe Val à sa direction : le jeudi 2 avril 2009 matin, l’ancienne journaliste Jacqueline Baudrier est morte à 87 ans.
Une journaliste passionnée et passionnante
Jacqueline Baudrier était une "grande dame" de l’audiovisuel français. Elle considérait son job avec beaucoup de passion, de professionnalisme, d’élégance et de distinction.
Née le 16 mars 1922, elle fut la première femme responsable d’une chronique politique en France en 1950 et fut donc très rapidement connue du grand public puisqu’à l’époque, il n’y avait qu’un seul journal parlé, le sien dont elle était devenue la rédactrice en chef en 1960. Elle fut nommée directrice de l’information de la seconde chaîne de télévision (en couleur) en 1969.
Elle fut choisie avec Alain Duhamel par Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand pour animer le premier débat présidentiel d’entre les deux tours en France, le 10 mai 1974 (des images de l’INA nous le rappellent).
À la tête de Radio France
Dès son accession à l’Élysée, le Président Valéry Giscard d’Estaing réforma profondément l’audiovisuel français en faisant éclater le mastodonte ORTF. Le 1er janvier 1975, Jacqueline Baudrier fut alors désignée par lui à la présidence de Radio France, nouvelle structure de la radio publique dont on procède actuellement au renouvellement de la direction (Jean-Luc Hees succédera le 12 mai 2009 à Jean-Paul Cluzel).
Pendant six années et demie, sous son impulsion, France Inter gagna 2,25 millions d’auditeurs, France Culture s’installa au Festival d’Avignon et les deux orchestres de Radio France (l’Orchestre Philharmonique de Radio France et l’Orchestre National de France, aujourd’hui dirigés respectivement par Myung-Whun Chung et Daniel Gatti) multiplièrent les tournées internationales.
Lors de sa dernière présidence de conseil d’administration de Radio France, elle présenta le premier plan de développement pour quadriller la France de radios locales (après les bonnes expériences de Melun FM, Fréquence Nord et Radio Mayenne).
En juillet 1981, avec l’accession au pouvoir de François Mitterrand, Jacqueline Baudrier fut contrainte à la démission alors qu’elle n’avait pas achevé son troisième mandat à la tête de Radio France. L’exécuteur des basses œuvres, le Premier Ministre Pierre Mauroy, qui l’appréciait pourtant beaucoup et avait des états d’âme, lui trouva d’abord un point de chute pour la recaser : ce fut le poste d’ambassadrice de France à l’UNESCO, poste qu’elle transmit ensuite à Gisèle Halimi en 1985.
Sa successeur directe à Radio France évoque ce limogeage dans ses carnets en ces termes : « Mauroy, qui respecte la présidente sortante, Jacqueline Baudrier, et hésitait à la débarquer de la radio, ne m’en avait pas parlé avant qu’il ne lui trouve une sortie convenable. Aujourd’hui, Jacqueline Baudrier est ambassadeur à l’UNESCO. Pierre Mauroy m’appelle donc (…) : j’ai hésité, puis dit oui. ».
Une journaliste reconnue
Après le retour de Jacques Chirac à Matignon en 1986, Jacqueline Baudrier fut nommée membre de la CNCL (Commission nationale de la communication et des libertés) qui remplaça la Haute autorité de l’audiovisuel (présidée par Michèle Cotta de 1982 à 1986) et qui fut transformée après la réélection de François Mitterrand par le CSA (Conseil national de l’audiovisuel), aujourd’hui présidé par Michel Boyon, lui aussi ancien président de Radio France de 1995 à 1998 (laissant la présidence à Jean-Marie Cavada).
Parmi les nombreux prix et distinctions que Jacqueline Baudrier a reçus au cours de sa carrière, on peut citer le Prix de la Fondation Louise Weiss en 1997, le Prix Maurice Bourdet en 1960, le Prix international Ondas en 1969, le Prix Unda en 1972 et fut également nommée Commandeur de la Légion d’Honneur.
Honoré par des étudiants, son nom fut attribué à la promotion 1993 de l’École du journalisme de Nice.
Service minimum pour l’annonce de sa disparition
Cette trajectoire très riche, pourtant, semble avoir été très négligée par ceux qui sont aujourd’hui ses successeurs dans l’audiovisuel français. Certes, son état de santé l’avait éloignée définitivement de la scène publique depuis une dizaine d’année, mais est-ce une raison de l’oublier ?
Une rapide revue de presse sur Internet montre ce déplorable oubli.
Sur Google avec uniquement son nom comme mot-clef, au lendemain de son décès le 3 avril 2009 à midi, il n’y avait que deux éléments qui évoquaient sa disparition : une brève temporaire publiée par le site France Culture et Wikipédia qui avait intégré l’information dès 18h38 la veille.
En regardant de nouveau sur Google ce 4 avril 2009 avec le même mot-clef, heureusement, les éléments se sont multipliés (cependant, moins de 2 500) et mon mini-billet placé sur mon blog pourtant très mal référencé arrivait en quatrième position, ce qui donne une idée de la faible occurrence sur le traitement de la disparition de Jacqueline Baudrier.
Des erreurs surprenantes de la part de certains professionnels
Évidemment, l’information fut développée le long de la journée du 3 avril 2009 mais avec quasiment la même dépêche de presse provenant de l’agence AFP qui, pourtant, avait commis deux erreurs (dont une assez grossière) qui n’ont pas encore été corrigées à cette heure.
On passera sur la première concernant la carrière de Jacqueline Baudrier : on prétend la faire débuter en 1950 avec son entrée au journal parlé de la RTF. En fait, elle commença en 1948 à Radio Guadeloupe. Qu’importe.
La seconde erreur est beaucoup plus grave car elle montre une réelle ignorance de certains journalistes (ceux qui ont retransmis l’information) de l’histoire de la régulation de leur propre métier.
Que ce soit sur France 3, dans "Le Parisien", dans une chronique de Jean-Marc Morandini reproduite sur "Yahoo News", dans "Les Échos" ou sur TV5 (pour ne citer qu’eux), Jacqueline Baudrier aurait été nommée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, confondant de manière malheureuse la CNIL (fondée le 6 janvier 1978) avec la CNCL qui ne dura que deux ans en demi (du 30 septembre 1986 au 17 janvier 1989).
Notons que cette erreur n’avait pas été commise par Wikipédia, ce qui renforce l’hypothèse que l’erreur ne provenait que d’une seule personne (errare humanum est) et que ce sont les autres journalistes qui n’ont fait que reprendre la dépêche sans en vérifier la véracité. Ce qui décrédibilise ce qu’on peut entendre dans les médias, mais ce constat est hélas loin d’être le premier.
Célébration
Les obsèques de Jacqueline Baudrier seront célébrées le mercredi 8 avril 2009 à 10 h. 30 en l’église Notre Dame d’Auteuil, 4 rue Corot à Paris 16e.
Elle fut l’honneur du journalisme et l’honneur des femmes.
Mes respects, Madame.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (4 avril 2009)
Pour aller plus loin :
Les changements à Radio France.
Premières dépêches.
Dépêches du 3 et 4 avril 2009.
Sur Google le 4 avril 2009.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=54116
http://fr.news.yahoo.com/13/20090404/tot-la-deplorable-attention-du-journalis-89f340e_1.html
http://www.lepost.fr/article/2009/04/04/1483621_la-deplorable-attention-du-journalisme-pour-sa-grande-dame-jacqueline-baudrier.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-38
http://www.centpapiers.com/la-deplorable-attention-du-journalisme-pour-sa-grande-dame-jacqueline-baudrier/6526/
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