(dépêches)
L'académicien Maurice Druon est mort
LEMONDE.FR | 14.04.09 | 21h35 • Mis à jour le 14.04.09 | 22h01
L'académicien français Maurice Druon est mort mardi 14 avril à l'âge de 90 ans, a annoncé Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie française. Ecrivain particulièrement prolifique, Maurice Druon est mort à son domicile à 18 heures.
Né le 23 avril 1918 à Paris, d'un père russe originaire d'Orenbourg, dans l'Oural, il publie différents articles dans des revues et journaux littéraires dès l'âge de 18 ans. Après la défaite française en 1940, Druon rejoint la Résistance et quitte la France en 1942, traversant clandestinement l'Espagne et le Portugal pour rejoindre Londres et les rangs des Forces françaises libres. Il devient l'aide de camp du général François d'Astier de la Vigerie.
Co-auteur avec son oncle Joseph Kessel du Chant des partisans, il commence sa carrière littéraire en 1946. Rendu célèbre par la série historique des Rois maudits, il reçoit le prix Goncourt en 1948 pour Les Grandes Familles.
Il est élu à l'Académie française en 1966 au fauteuil de Georges Duhamel et en devient secrétaire perpétuel en novembre 1985. Il démissionnera de cette fonction mais l'exercera à nouveau à titre honoraire à partir du 1er janvier 2000.
En avril 1973, Maurice Druon devient ministre des affaires culturelles sous la présidence de Georges Pompidou et crée le Conseil supérieur des lettres et le Centre national des lettres. Membre du conseil politique du RPR (1979-1980), député de Paris (1978-1981), il est élu à l'Assemblée des communautés européennes en juin 1979, mais démissionne un an plus tard.
Refusant de "juger avec nos yeux instruits d'aujourd'hui" plutôt qu'avec nos "yeux aveugles d'hier", il avait pris la défense de l'ancien préfet de Vichy Maurice Papon lors de son procès à Bordeaux, en 1997-1998.
"C'était un ami très proche, c'est une perte immense pour l'Académie, a dit Mme Carrère d'Encausse. Il était la mémoire de l'Académie, il en connaissait les usages et les habitudes."
Le président de la République, Nicolas Sarkozy, a lui aussi rendu hommage à l'académicien, le qualifiant de "grand écrivain, grand résistant, grand homme politique, grande plume et grande âme".
Voici la bibliographie complète de Maurice Druon sur le site de l'Académie française :
Œuvres de Maurice DRUON
1942 Mégarée, pièce en trois actes, créée au Grand Théâtre de Monte-Carlo (La Nef, Alger)
1943 Le Sonneur de bien aller, nouvelle (Julliard)
1943 Préface au Silence de la mer (Londres) (Les Cahiers du silence)
1943 Le Chant des Partisans, en collaboration avec Joseph Kessel (Alger). (Fontaine)
1944 Lettres d’un Européen, essai (Charlot)
1946 La Dernière Brigade, roman (Grasset)
1947 Ithaque délivrée, poème dramatique traduit de l’anglais ; d’après The Rescue d’Edward Sackville-West (Albin Michel)
1948 Les Grandes Familles, roman (Julliard)
1950 La Chute des corps (Les Grandes Familles, II), roman (Julliard)
1951 Rendez-vous aux enfers (Les Grandes Familles, III), roman (Julliard)
1952 Remarques (Julliard)
1953 Un voyageur, comédie en un acte, au répertoire de la Comédie française (L’Avant-Scène)
1953 Le Coup de grâce, mélodrame en trois actes. En collaboration avec Joseph Kessel (Gallimard)
1954 La Volupté d’être, roman (Julliard)
1955 La Reine étranglée (Les Rois maudits, II), roman historique (Del Duca)
1955 Le Roi de fer (Les Rois maudits, I), roman historique (Del Duca)
1956 Les Poisons de la couronne (Les Rois maudits, III), roman historique (Del Duca)
1956 L’Hôtel de Mondez, nouvelle (Julliard)
1957 La Loi des mâles (Les Rois maudits, IV), roman historique (Del Duca)
1957 Tistou les pouces verts, récit pour enfants (Del Duca)
1958 Alexandre le Grand, roman mythologique (Del Duca)
1959 La Louve de France (Les Rois maudits, V), roman historique (Del Duca)
1960 Le Lis et le Lion (Les Rois maudits, VI), roman historique (Del Duca)
1962 Des Seigneurs de la plaine à l’hôtel de Mondez, nouvelles (Julliard)
1962 Théâtre (Mégarée, Un voyageur, La Contessa) (Julliard)
1963 Les Mémoires de Zeus, roman mythologique (Grasset)
1964 Bernard Buffet, essai (Hachette)
1964 Paris, de César à Saint Louis, essai historique (Hachette)
1965 Le Pouvoir, notes et maximes (Hachette)
1965 Les Tambours de la mémoire, texte commémoratif (Plon)
1966 Les Rois maudits, roman historique, 6 vol., nouvelle édition (Del Duca)
1967 Les Mémoires de Zeus, II, roman historique (Plon)
1967 Le Bonheur des uns, nouvelles (Plon)
1968 Vézelay, colline éternelle (U.G.E)
1968 L’Avenir en désarroi, essai (Plon)
1968 Grandeur et signification de Leningrad (Éditions Estienne)
1970 Lettres d’un Européen et Nouvelles Lettres d’un Européen, 1943-1970, essai (Plon)
1970 Splendeur provençale (édité aux Baux-de-Provence)
1972 Une Église qui se trompe de siècle, essai (Plon)
1974 La Parole et le Pouvoir (Plon)
1977 Œuvres complètes, 25 volumes comprenant 5 recueils d’inédits Au pas de la vie (4 vol.), Politique et Civilisation, Discours (1 vol.) (Genève, Edito, diffusé par Lausanne, Rencontre et Paris). (Cercle du bibliophile)
1977 Quand un Roi perd la France (Les Rois maudits, VII), roman historique (Plon)
1981 Attention la France ! (Stock)
1982 Réformer la démocratie (Plon)
1985 La Culture et l’État (Vouloir la France)
1987 Vézelay, colline éternelle, nouvelle édition (Albin Michel)
1994 Lettre aux Français sur leur langue et leur âme (Julliard)
1997 Circonstances (Le Rocher)
1998 Circonstances. ** : Circonstances politiques, 1954-1974 (Le Rocher)
1999 Le bon français (Le Rocher)
1999 Circonstances. *** : Circonstances politiques II, 1974-1998 (Le Rocher)
2000 La France aux ordres d’un cadavre. (Le Fallois)
2002 Ordonnances pour un État malade (Éditions de Fallois/du Rocher)
2003 Le Franc-parler (Le Rocher)
2006 Mémoires. L'aurore vient du fond du ciel (Plon/Éditions de Fallois)
Sur la langue française
Opinion
Libre opinion: Le bicorne de M. Druon...
Marie-Éva de Villers, Auteure du Multidictionnaire de la langue française
Édition du vendredi 20 janvier 2006
Mots clés :
«J'ai ouï parler d'une espèce de tribunal qu'on appelle l'Académie française. Il n'y en a point de moins respecté dans le monde car on dit qu'aussitôt qu'il a décidé, le peuple casse ses arrêts et lui impose des lois qu'il est obligé de suivre.» - Montesquieu, Lettres persanes, 1721
L'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie française, Maurice Druon, est furieux. Malgré ses admonestations répétées, en dépit de l'opposition de l'auguste assemblée des Immortels, la féminisation des titres et des fonctions est entrée dans les moeurs en France. «Ce n'est pas au Québec que j'irai prendre des leçons de langue française. Que les Québécois fassent ce qu'ils veulent, mais nous sommes chargés de garder la correction de la langue française. Nous n'acceptons pas d'atteintes à la grammaire», a fulminé Maurice Druon sur les ondes de Radio France internationale (RFI) au cours d'un débat sur la féminisation.
Pourtant, la phrase «Madame la ministre est présente» est tout à fait grammaticale, contrairement à celle que préconise le secrétaire perpétuel («Madame le ministre est présente»). C'est justement en prônant le masculin pour un titre désignant une femme que l'on porte atteinte à la grammaire: les plus éminents grammairiens et linguistes de la francophonie ont avalisé depuis longtemps la féminisation des titres. Dans Le Bon Usage, Maurice Grevisse précise que «ce n'est que pour les noms animés que le genre n'est pas arbitraire, parce qu'il est déterminé par le sexe des êtres désignés, du moins pour ce qui concerne, en général, les êtres humains».
«Oui, on peut dire "la ministre"», affirme Henriette Walter, qui rappelle «l'habitude que nous avons d'attribuer une forme féminine à un mot désignant une personne du sexe féminin».
La féminisation des titres s'inscrit parfaitement dans la logique de la langue puisque le genre naturel et le genre grammatical se confondent dans la majorité des cas pour les noms d'êtres animés. Ayant participé aux travaux sur la féminisation de 1986, la regrettée Josette Rey-Debove, des dictionnaires Le Robert, pouvait «affirmer que cette règle est appliquée dans 95 % des cas».
Au Québec, le dossier est clos depuis que l'Office de la langue française a publié en 1979 un avis officiel recommandant la féminisation à la Gazette officielle du Québec, avis qui a été largement suivi. Pour nous, cette question appartient déjà à l'histoire ancienne.
Ironie sur nos origines poitevines
Maurice Druon a profité de l'occasion pour user d'ironie à propos du français du Québec en nous reprochant nos origines poitevines et en se moquant des québécismes originaires de France qui demeurent vivants en ce coin français d'Amérique.
En fait, l'académicien devrait peut-être consulter ses livres d'histoire car les premiers habitants de la Nouvelle-France sont principalement venus de Paris (Île-de-France), de la Normandie, puis du Poitou, de l'Aunis, de la Saintonge et de la Bretagne. Il est utile de rappeler que, dans une large majorité, ils étaient originaires d'une région où le parler français prédominait.
Et puis, Maurice Druon nous reprochera-t-il d'avoir conservé le terme achalandage -- que Jean de La Fontaine, Émile Zola, Marcel Proust ou André Gide employaient -- et qui a été remplacé par l'emprunt goodwill dans la comptabilité française? Se moquera-t-il de notre traversier, auquel il préfère sans doute le ferry-boat?
Quand on étudie attentivement le français du Québec dans la presse contemporaine, on constate que ce ne sont pas les archaïsmes maintenus ni les dialectalismes qui en constituent la principale originalité, comme on est généralement porté à le croire, mais plutôt les mots créés pour désigner une réalité québécoise ou canadienne, pour nommer une nouvelle réalité ou pour éviter un emprunt à l'anglais. Et ces néologismes sont formés à partir des ressources classiques de la langue française.
La prédominance des québécismes de création (par exemple: acériculture, babillard, courriel, dépanneur, pourvoirie, téléavertisseur) témoigne du dynamisme et de la vitalité du français québécois. En même temps, l'importance de l'innovation lexicale révèle la détermination des francophones du Québec à garder leur langue apte à dénommer les réalités nouvelles, leur volonté inébranlable depuis la conquête anglaise, voilà plus de deux siècles, de ne pas démissionner devant le raz-de-marée anglo-saxon.
Le tronc commun des usages que se partagent les locuteurs de la langue française est très étendu: les recoupements sont infiniment plus nombreux que les éléments distinctifs et traduisent l'unité au sein des usages de la communauté francophone.