(dépêche)
Abdellatif Filali, ancien premier ministre marocain
Nécrologie
LE MONDE | 15.04.09 | 15h55 • Mis à jour le 15.04.09 | 15h55
Ancien premier ministre marocain, Abdellatif Filali est mort, vendredi 20 mars, à l'âge de 80 ans, dans un hôpital de la région parisienne.
Les hommes politiques des pays en développement écrivent rarement leurs Mémoires. Ils disparaissent sans laisser de témoignage personnel. On regrette d'autant plus ce manque, s'agissant d'Abdellatif Filali, qu'il était un fin lettré. Sa longue carrière politique lui avait permis de côtoyer, entre autres, le général de Gaulle, le caudillo Franco, Abdelaziz Bouteflika, Bill Clinton et, bien sûr, le roi Hassan II du Maroc, qui en fit son premier ministre en 1994.
Non pas que M. Filali n'ait rien écrit. Il y a tout juste un an il avait publié en France, où il s'était retiré depuis une dizaine d'années, un ouvrage, Le Maroc et le Monde arabe (Ed. Scali). Il y exprimait son amertume et sa consternation face à un monde arabo-musulman assoupi. Mais ce livre n'était pas celui d'un pamphlétaire. Abdellatif Filali n'y réglait aucun compte et ne trahissait aucun secret d'Etat. D'Hassan II intime, il ne soufflait mot dans ces pages lisses et il était muet sur son fils, l'actuel roi Mohammed VI.
Affaire de tempérament autant que d'éducation sans doute. M. Filali était un homme mesuré. Il avait ses convictions mais se livrait peu. Son livre était à son image, tout en retenue et allusif.
Né le 26 février 1929 à Beni-Mellal, fils d'un cadi, Abdellatif Filali avait fait des études de droit en France avant d'opter pour la carrière diplomatique. Elle allait être substantielle : chargé d'affaires auprès de l'ONU, à New York (1958-1959), puis en France (1961-1962) ; successivement ambassadeur à Pékin, en pleine révolution culturelle, à Alger, à Madrid, à Londres, il entre ensuite au gouvernement.
Différents portefeuilles - dont celui des affaires étrangères - lui sont confiés avant que le roi Hassan le nomme premier ministre en 1994. Sa mission : préparer une alternance qui, quatre ans plus tard, allait voir les socialistes revenir aux affaires et diriger le gouvernement.
Le pouvoir royal voulut-il offrir un lot de consolation à celui qui avait servi le Trône si longtemps, ou Hassan II entendait-il conserver à la tête de la diplomatie un serviteur loyal et compétant ? Toujours est-il que le monarque fera en sorte qu'Abdellatif Filali fasse partie du premier gouvernement d'alternance au poste de ministre des affaires étrangères.
Ce portefeuille, il ne le conservera qu'une seule année. Ainsi en décida le roi. Abdellatif Filali conçut de l'amertume de cette éviction. Pourtant avare de confidences, l'ancien premier ministre, au soir de sa vie, dira à des amis que sa disgrâce finale avait un lien avec les mésaventures de son fils, Fouhad. Ce dernier, propulsé patron de l'ONA, le premier groupe privé du royaume (groupe contrôlé par le Palais), en fut brusquement débarqué le 20 avril 1999 à la suite de ses démêlés conjugaux avec Lalla Meryam, la fille aînée d'Hassan II dont il allait se séparer. A Rabat, les chroniqueurs de la cour ne manquèrent d'ailleurs pas de souligner que le jour même où Abdellatif Filali était décoré par Hassan II de la plus haute distinction du royaume, son fils était congédié de l'ONA.
Débarqué du gouvernement, Abdellatif Filali allait s'installer en France, le pays natal de l'écrivain Marcel Proust, qu'il admirait beaucoup, et du maréchal Lyautey, sur lequel il était en revanche très critique. Des goûts opposés à ceux d'une grande partie de la bonne société marocaine.
Jean-Pierre Tuquoi
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Dates clés
26 février 1929
Naissance à Beni-Mellal (Maroc).
1958
Début de carrière diplomatique.
1994-1998
Premier ministre du Maroc.
20 mars 2009
Mort à Clamart (Hauts-de-Seine).
Article paru dans l'édition du 16.04.09