(dépêche)
Nicolas Sarkozy et l'OTAN : gaulliste ou gaullien ?, par Patrick Jarreau
LE MONDE | 20.06.08 | 13h55 • Mis à jour le 16.04.09 | 14h24
Chronique
Un des paradoxes de ce président, à tant d'égards étrange et si décalé par rapport à l'idée que les Français ont de sa fonction, est qu'il a, pour sa présidence, les plus hautes ambitions. Il n'est pas seulement gaulliste, il l'est absolument. C'est-à-dire qu'il est gaullien. Nicolas Sarkozy n'a rien de ce que le chef de la France libre devait à sa culture, au métier militaire, à son caractère et, par-dessus tout, à sa rencontre avec l'Histoire. Mais il ne s'en juge pas moins capable d'une audace égale à celle dont fit preuve le général quand il revint au pouvoir, en 1958, et entreprit de transformer le pays pour lui faire épouser son siècle.
De cette audace, la décision de retirer les forces françaises de l'organisation militaire de l'OTAN, en 1966, a été un des accomplissements les plus extraordinaires. Il faut se représenter le bouleversement causé en France, en Europe et aux Etats-Unis par l'expulsion du territoire français des unités américaines et des structures de l'Alliance atlantique qui y étaient installées. Que la France se sépare ainsi des Américains, qui lui avaient rendu la liberté et qui, depuis vingt ans, la protégeaient contre la menace soviétique, c'était inimaginable. Mais, justement, toute la force du geste de De Gaulle était dans le défi qu'il lançait - comme toujours, c'était sa marque - aux idées reçues, à la résignation et même au bon sens.
Ce qui paraissait insensé à beaucoup s'est imposé. La décision du général de Gaulle a été reconnue comme fondatrice de la politique internationale de la France. Toute remise en question de cette position singulière, dans l'Alliance atlantique, est devenue synonyme de renoncement à l'indépendance. Les successeurs du général ont été soupçonnés d'être prêts à brader l'héritage. A tort, car ils l'ont tous conservé. Seul un gaulliste, Jacques Chirac, trente ans après, a osé écorner le tabou en autorisant, en 1996, la présence d'un représentant de la France au comité militaire de l'Organisation. Mais la réintégration pleine et entière échoua en raison des conditions mises du côté français et du côté américain.
Nicolas Sarkozy semble décidé, aujourd'hui, à égaler de Gaulle en parcourant le chemin inverse de celui de 1966. Il estime que les proclamations françaises en faveur d'une défense européenne ne convaincront personne tant que Paris restera à l'écart des états-majors où les militaires de tous les pays membres de l'OTAN réfléchissent, discutent, s'organisent ensemble. Les Etats-Unis ayant admis le principe d'un "pilier européen", permettant que les pays de l'Union européenne se coordonnent, politiquement et opérationnellement, sans avoir à passer par Washington, la France pourrait partager sa défense avec ses alliés dans les organes de commandement des forces de l'Alliance.
La remémoration de 1966 aide à comprendre l'importance que revêtirait, aux yeux des dirigeants américains, ce retour de la France dans l'organisation militaire formée autour des Etats-Unis. Ce serait, après la crise irakienne et malgré elle, une relégitimation de leur vision du monde, dans laquelle l'Amérique rassemble autour d'elle des pays qui partagent ses valeurs et ses intérêts. Si elle reprenait sa place dans l'OTAN, la France rendrait la sienne à l'Amérique, en reconstituant le club du "monde libre". Parce que les Etats-Unis sont en peine d'une quasi-réhabilitation, la leur accorder serait peut-être aussi porteur d'avenir que le fut, il y a quarante ans, la répudiation gaullienne.
La gauche s'y refuse. La droite gaulliste y rechigne, Alain Juppé ouvertement, François Fillon à demi-mot. On va voir jusqu'où Nicolas Sarkozy peut être gaullien.
Courriel : jarreau@lemonde.fr.
Patrick Jarreau
Article paru dans l'édition du 21.06.08.