« J’ai un souvenir merveilleux, vraiment merveilleux au sens du miracle.
On est en 1999, les élections européennes approchent, il y a un intense débat parce que Jacques Chirac veut imposer une liste unique de l’opposition de l’époque qu’il veut faire conduire par le leader du RPR, Philippe Séguin d’abord, Nicolas Sarkozy à sa suite. Après un débat de conscience pour moi très important, je pense que l’idéal européen, cela mérite quelqu’un qui le défende.
Je vous rappelle que Philippe Séguin avait voté "non" à Maastricht. Après une assez grave dispute avec Jacques Chirac - ça m’est arrivé quelques fois, je convoque un Congrès pour qu’on décide de ce qu’on va faire. Et je décide de proposer au Congrès que l’UDF malgré ce qu’elle vient de vivre, ses déchirures, va proposer une liste indépendante.
Et naturellement tout le monde tremble. Ce Congrès monte en puissance.
Et à la fin du Congrès, on voit une main fragile se lever. Et c’est Pierre Pflimlin, 94 ans, qui demande la parole. Il faut dire qui est Pierre Pflimlin dont j’avais été le collaborateur quinze ans auparavant, en 1984, alors qu’il était président du Parlement européen, maire de Strasbourg. Il avait été le dernier président du Conseil de la IVe République, celui qui a transmis le pouvoir à De Gaulle. Un homme éminent, extraordinaire d’éminence et de vision. Un grand homme au destin politique brisé.
Et je vois Pflimlin qui demande la parole. J’étais à la tribune et je n’étais pas très rassuré parce que Pierre Pflimlin, c’était quelqu’un à qui on ne dictait pas ce qu’il avait à dire. Il était à ce moment-là au bout de ses forces physiques : il était malade, il allait mourir quelques mois après seulement. Il était né en 1908, il a 92 ou 93 ans, j’ai dit 94 mais il est dans sa 93e année. Il monte à la tribune, on le porte à la tribune. Quelque part la vidéo doit exister de cet admirable discours, si vous la trouvez, je vous invite à la mettre sur le site...
Il fait le discours suivant : il commence à voix basse, c’était son truc pour faire taire les gens, après cela montait en puissance. On le porte à la tribune parce qu’il ne pouvait pas monter les escaliers. Il s’appuie à la tribune et il redevient le tribun qu’il n’avait jamais cessé d’être.
À la tribune, il dit : "Je suis venu vous dire que j’ai vécu dans ma vie trois choses que je n’aurais jamais cru pouvoir vivre.
J’ai vécu après la guerre, la réconciliation de la France et de l’Allemagne". Il raconte ce que pour lui, homme de l’Est, homme de la frontière, avait été la guerre entre la France et l’Allemagne, ce qu’avait été cette déchirure-là, qu’il était passé plusieurs fois d’une nationalité à l’autre, d’un Etat à l’autre. Il a dit : "quand on a fait la réconciliation, quand on a fait l’Europe, quelque chose s’est passé que quelques mois auparavant je n’aurais jamais imaginé".
Et puis il dit : "J’ai vécu en 1989, la chute du mur du Berlin". Il explique ce que pour les hommes de sa génération, l’empire soviétique avait été, la puissance incroyable de cette machine. On avait l’impression que c’était là pour des siècles et puis tout d’un coup c’est tombé d’ailleurs à l’immense surprise de tout le monde, y compris de François Mitterrand, de Giscard, et au fond de tout le monde, de tous les observateurs.
Et là il s’arrête et il dit : "J’ai vécu aujourd’hui la renaissance de ma famille politique". Explosion dans la salle. Moi, j’étais vachement fier. »
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