Ronald Reagan était venu à la Maison Blanche avec ces mots « America is back » suite à l’humiliation infligée à Jimmy Carter par le gouvernement iranien qui avait pris des centaines d’otages américains en 1980. En 1988, Jean-Marie Le Pen avait repris le slogan « La France est de retour » par amour de la copie (il fera en 2002 un plagiat de Jean-Paul II).
Mais les mots ont aussi leur sens. Avec tous ces déclinologues, la France doutait d’elle-même. La voici revigorée.
Comme chaque second tour d’élection présidentielle, il y a mille et un commentaires à faire sur tout et sur rien. Mais le premier constat, et c’est très réjouissant, c’est que la France est redevenue un modèle de démocratie, pleine et saine, un modèle pour les autres (après la honte d’un Le Pen au second tour en 2002), mais un modèle aussi pour elle-même.
Trois raisons à cela :
1. Une campagne présidentielle exceptionnelle
Malgré la personnalisation à outrance du débat (je suis de gauche mais je n’aime pas Royal, je suis de droite mais je n’aime pas Sarkozy etc.), ces derniers mois furent un véritable condensé du débat démocratique. À tel point que les Français se sont passionnés par cette élection, tout le monde avait son opinion, son adhésion, son rejet, ses peurs, ses espoirs, son grain de sel… Dans les écoles, au travail, dans les salles de sports, chez l’épicier… la campagne électorale était présente partout sur tous les lieux de la quotidienneté.
Le fort taux d’indécis n’était pas de l’indifférence, mais une farouche volonté de prendre position. Beaucoup de sujets ont été abordés. Beaucoup de thèmes.
La démagogie n’était pas certes absente, mais comme le disait très bien Jean-Dominique Reffait sur Agoravox, les inexactitudes notables de tous les candidats sur les dossiers techniques étaient compensées par l’expression d’une véritable vision de la France qu’ils ont proposée aux électeurs, rompant avec l’habitude des gouvernants gestionnaires qui ne savaient parler que technique.
Mais les débats internes étaient aussi une nouveauté : le choix démocratique des trois principaux candidats, avec une désignation par les adhérents de leur parti respectif, même si à l’UMP ou à l’UDF, personne ne s’était présenté contre Sarkozy ou Bayrou, donne une vision plus populaire de la politique, encore que les sondages soient ainsi devenus un élément majeur d’aide à la décision tant lors du choix de Ségolène Royal choisie car « la seule capable de battre Sarkozy » (alors que beaucoup disent aujourd’hui que Dominique Strauss-Kahn aurait eu plus de chance de battre Nicolas Sarkozy qu’elle) que lors de la consécration de Nicolas Sarkozy qui avait pourtant beaucoup d’adversaires à l’UMP.
2. Une participation historique de 84%
Avec la très forte mobilisation des inscriptions sur les listes électorales entre 2002 et 2006, et la très forte participation des deux tours de l’élection présidentielle de 2007, la France retrouve ses scores des années 1970 complètement improbables aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Allemagne… Chaque Français était concerné et a pris part à l’expression populaire. Et apparemment, plus encore au second tour qu’au premier tour (de 0,2%) malgré les nombreuses indécisions d’entre les deux tours (notamment chez les électeurs de Bayrou et de Le Pen).
C’est bien sûr la preuve d’une excellente santé démocratique, un besoin très affirmé d’écoute et d’expression de chaque individu, mais cela donne également au nouvel élu une responsabilité écrasante, mais aussi une force incroyable avec une attente formidable, et la moindre déception (facilement prévisible, je le dis par expérience !) pourrait se retourner très vite contre celui qui vient d’en profiter.
3. La double défaite de Jean-Marie Le Pen
Au premier tour, rassemblant laborieusement 10,4% des voix, Le Pen, 78 ans, semble en avoir fini d’influencer de façon décisive la vie politique française. Marine Le Pen a beau dire que les principaux thèmes colportés par Le Pen ont été au cœur du débat électoral, je préfère de loin les voir aborder par Sarkozy ou Royal que par Le Pen.
La seconde défaite est le taux de participation supérieur à celui du premier tour alors que le 1er mai 2007, Jean-Marie Le Pen avait appelé à une "abstention massive".
Bref, aujourd’hui, le vieux leader du Front National n’est plus écouté, et le Front National va subir des dislocations internes très intenses. C’est une excellente nouvelle pour la démocratie et la vie politique en général.
Bien évidemment, Nicolas Sarkozy n’a pas été le seul, dans cet campagne, à réhabiliter la politique, ou à réhabiliter le politique : François Bayrou, par son discours original de refuser le diktat manichéen entre la gauche et la droite, et Ségolène Royal en proposant sa méthode originale de débats participatifs, ont également montré que la chose politique était un sujet essentiel de notre vie quotidienne.
Malgré tout, cela n’ôte rien au mérite spécifique de Nicolas Sarkozy, enfant précoce de la politique avant même d’être majeur, qui n’avait jamais hésité à dire très haut, même aux pires moments de la désaffection des Français pour la politique dans les années 1990, que si lui en faisait, c’était parce qu’il aimait la politique (comme les autres élus qui, eux, moins audacieux, n’osaient plus le dire).
Que Nicolas Sarkozy soit le vecteur de ce retour de la France politique n’est que justice et résultat du celui qui, pour ces dernières années, fut le « meilleur » dans l’action politique, meilleur au sens qu’il a gagné de toute part : en s’imposant dans son camp rempli de haine et de détestation de lui, puis, en s’imposant dans le débat national, souvent à force de bluff et de démagogie, mais également de combativité et de pugnacité.
Du côté de l’UMP…
Visiblement, Sarkozy a tout fait pour avoir la victoire modeste. Son score très large (plus de deux millions de voix d’avance) aurait pu le rendre arrogant dès l’élection. Mais il n’oublie pas qu’il doit aussi gagner les élections législatives de juin et qu’il n’a plus à prouver quoi que ce soit. Ses consignes de penser aussi aux électeurs déçus de Ségolène Royal donnent un autre visage du dialogue politique.
Visiblement, François Fillon sera nommé Premier Ministre et on indique même la nomination de Michèle Alliot-Marie aux Affaires Étrangères, de Philippe Séguin (mentor de Fillon), de Valérie Pécresse, de Jean-Louis Borloo…
Pauvre Alain Juppé : étonnant d’entendre qu’il fallait changer, transformer après tant d’années d’immobilisme. Alain Juppé, le premier Premier Ministre de Jacques Chirac, à l’époque élu contre la fracture sociale, et suscitant dès novembre 1995 de très nombreuses déceptions… Alain Juppé qui a juste précisé que les périodes n’étaient évidemment pas comparables…
Du côté de l’UDF…
Pour l’UMP, l’affaire est claire, même trop claire puisque les députés UDF souhaitant avoir le label de majorité présidentielle se verront obligés d’intégrer le groupe UMP à l’Assemblée Nationale et sans ce label, ils se verront opposer un autre candidat UMP. Cette méthode, encore plus verrouillante qu’en juin 2002, a pour but d’éliminer tout groupe centriste parlementaire. Un groupe, c’est-à-dire, un porte-voix et une source de financement public.
Il dépend donc surtout du courage de chaque député centriste à refuser ce diktat et à préserver la survie du groupe centriste. Rappelons qu’en 2002, Bayrou, ne représentant que 6,8% des voix au premier tour, avait obtenu 29 députés malgré l’UMP. Aujourd’hui, représentant près de 19%, Bayrou serait capable de garder des candidats au second tour des législatives dans 400 circonscriptions. Il n’y a donc aucune raison pour que le futur Mouvement démocrate ne parvienne pas à faire élire plusieurs dizaines de députés.
Tout va commencer jeudi 10 mai 2007, avec les fondations du nouveau parti des électeurs de Bayrou. Tout va dépendre de ces premiers jalons et de l’état de décomposition du PS. Des premiers pas difficiles à initier en raison de l’hétérogénéité de l’électorat de Bayrou qui s’est coupé dimanche en trois : 40% pour Sarkozy, 40% pour Royal, 20% en blancs, nuls ou abstentions.
Du côté du PS…
Ségolène Royal, qui n’a pas démérité, a prononcé une déclaration rapide et claire, excellente même, que ses supporters auraient sans doute préféré entendre au soir du premier tour. Très sportivement, Royal a salué le nouvel élu, confirmant que Royal et Sarkozy ont changé la nature du dialogue politique par plus de décontraction.
Le contenu de ses propos est pourtant belliqueux : Ségolène Royal, contrairement à Jospin en 2002, veut rester dans le jeu et rappelle que jamais un candidat de gauche n’a obtenu dans l’histoire électorale autant de suffrages (presque 17 millions).
Bien entendu, cela ne fait pas la joie de Dominique Strauss-Kahn (qui tirait une mine déconfite), ni de Laurent Fabius dont le but est de reprendre en main un PS en dérive depuis 2002. Il est cependant amusant d’entendre François Hollande parler également de rénovation alors qu’il n’a rien fait pendant les dix ans qu’il est à la tête des socialistes.
Amusant aussi l’argument de Hollande d’expliquer sa défaite par l’absence d’union des partis de gauche. Car franchement, la présence de six candidats gauchistes n’a pas vraiment gêné la candidature de Ségolène Royal, puisqu’à part Besancenot, ils n’ont pas beaucoup rassemblé.
Le problème des socialistes, c’est qu’ils ont deux partis en un. Un parti réellement social-démocrate, européen, pragmatique, moderne, qui n’a jamais pu s’exprimer en tant que tel à l’exception du débat de la primaire en novembre 2006. Et un parti marxisant, altermondialiste, incapable de s’adapter à l’évolution du monde (qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore), protectionniste, replié sur ses mythes idéologiques dépassés… et qui, finalement, était la devanture du PS jusqu’à aujourd’hui.
Donc, je résume :
1. Une large élection de Nicolas Sarkozy, qui consacre une passion et une combativité hors du commun dans la classe politique, et qui ne surprend même pas tant elle était attendue et pronostiquée depuis quatre mois.
2. Une grande victoire de la démocratie par la participation élevée, la passion retrouvée des gens, la désignation démocratique des candidats, et le refus de suivre des consignes électorales.
3. Une importance décisive des sondages, devenus le bras armé de la décision démocratique, avec leurs cortèges de désinformations, mais qui ont montré leur fiabilité puisqu’ils pouvaient être une photographie exacte de l’opinion publique.
4. Initiateurs de cette rénovation démocratique, de ce nouveau souffle, de ce rajeunissement extraordinaire de la vie politique, les trois principaux candidats Sarkozy, Royal et Bayrou, quinquagénaires, vont sans doute dominer la vie politique française pour les dix prochaines années.
Exit Chirac. Exit la vieille génération.
Bienvenue à la nouvelle France politique.
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