Nous avons désormais un futur chef de l’État qui s’est désacralisé par son côté très direct.
Refusant de prendre le pouvoir trop vite, il se permet quelques jours de vacances avec un étrange comportement de gagneur du loto (l’élection, une grande loterie ?) qui donne une très amère image même s’il est finalement très humain de vouloir récupérer un peu entre une campagne longue et épuisante et une lourde charge nationale.
Mais, finalement, ces péripéties sont bien secondaires face à l’important : comment va présider Nicolas Sarkozy ? comment va-t-il gouverner ?
Et c’est là que l’étrange arrive : depuis son retour de croisière, Sarkozy s’est installé dans une résidence provisoire appartenant au Premier Ministre et… il consulte. Il consulte à tout va.
Cela laisse un parfum de IVe République si décriée par lui lorsqu’il s’agissait de pourfendre Bayrou.
Sarkozy reçoit donc beaucoup de responsables de l’UMP (évidemment), des députés UDF redevenus « raisonnables », et, alors qu’on associe souvent Sarkozy à un esprit partisan, il reçoit aussi des personnalités très honorables de la gauche : Hubert Védrine, Anne Lauvargeon, Claude Allègre… le fait même qu’elles se déplacent montre leur intérêt à la démarche présidentielle qui avait, avant l’élection, déjà séduit des intellectuels comme Max Gallo.
Est-ce si étonnant ?
Peut-être pas.
Nicolas Sarkozy, avec sa large élection, a en effet tout intérêt à rassembler le plus large éventail politique.
Il le sait pour au moins deux raisons : la popularité (qu’il a acquise depuis cinq ans) est toujours très friable, il le sait pour avoir été l’un des plus impopulaires à l’époque post-balladurienne (il n’a obtenu que 14% aux européennes de 1999), et toute réforme nécessite un minimum de consensus social et politique s’il veut éviter des crises de type CPE.
Mais plus généralement, tout nouveau Président de la République a élargi sa base politique au moment de prendre ses fonctions.
Ce fut le cas de Charles De Gaulle en janvier 1959 en nommant le gouvernement de Michel Debré qui intégrait des ministres MRP comme Robert Buron et SFIO (socialiste) comme Guy Mollet, au moment où le mouvement gaulliste (UNR) était en train de naître.
Ce fut le cas de Georges Pompidou en 1969 en rassemblant autour de lui des centristes, créant ainsi une scission entre le Centre Démocrate, attaché à son autonomie, et le CDP englobé dans la majorité présidentielle, il faut dire que celle-ci était conduite par un Premier Ministre entreprenant, Jacques Chaban-Delmas, qui voulait rompre avec les conservatismes par sa « nouvelle société », conseillé par… Jacques Delors. Pompidou sut aussi avec pertinence rappeler aux Finances Giscard d’Estaing.
L’arrivée en 1974 de Valéry Giscard d’Estaing marqua aussi une nouvelle étape dans l’ouverture présidentielle. Non seulement les centristes de Jean Lecanuet intégraient le gouvernement, mais également des personnalités atypiques, parfois proches de la gauche, comme Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud.
Même François Mitterrand en 1981 a voulu élargir sa base électorale, malgré une majorité absolue de députés socialistes, en nommant aux gouvernements de Pierre Mauroy non seulement quatre ministres communistes, mais aussi des anciens concurrents du premier tour, tels que Michel Crépeau (et même, quelques années plus tard, Huguette Bouchardeau) et également en nommant Ministre d'État au Commerce Extérieur Michel Jobert, un gaulliste de gauche.
En 1988, François Mitterrand s’est même payé le luxe de débaucher des responsables dits de droite, tels que Jean-Pierre Soisson, Michel Durafour, Jean-Marie Rausch et Bruno Durieux, alors que l’Assemblée Nationale n’avait aucune majorité absolue. Mais la tentation centriste fut écartée malgré la proximité de Bernard Stasi et de Michel Rocard, car Mitterrand ne souhaitait aucun accord de programme.
Donc, l’ouverture politique à l’arrivée d’un nouveau Président, c’est une règle habituelle qui a eu une très grande exception : lors des deux élections de Jacques Chirac, pourtant élu avec le moins de voix au premier tour (20%, chose très rare entre 1965 et 2007).
Ainsi, en 1995, gardant rancune des trahisons de campagne, Chirac a refusé de rassembler autour d’Alain Juppé les balladuriens, ce qui lui donna un véritable handicap qui se solda par un échec retentissant lors de la dissolution de 1997.
La seconde occasion ratée était évidemment en mai 2002, où, élu par 82% dont plus de la moitié des gens de gauche, Chirac est resté arc-bouté sur ses seuls fidèles, verrouillant même un peu plus sa majorité avec la création de l’UMP.
C’est d’ailleurs cette possibilité historique de gouvernement d’union nationale qu’a reprise à son compte, au cours de la campagne présidentielle de 2007, François Bayrou.
Fort de ces leçons, Sarkozy a réussi, dès janvier 2007, à rassembler tout son camp pourtant initialement hostile à sa candidature.
Il est tentant d’ailleurs de comparer Nicolas Sarkozy avec Valéry Giscard d’Estaing : parcours d’homme très ambitieux, avec un réel talent politique, réussissant dès la première fois à se faire élire assez jeune, et n’ayant occupé que des fonctions ministérielles, certes de première importance, mais sans plus, et rappelé par le prince après avoir été disgracié.
Le style Sarkozy sera sans doute direct, sans trop de protocole. Il rompt avec presque trente ans de système où est récompensé le chef de parti expérimenté et tenace.
La manière dont il a fait sa première réunion au Palais Bourbon comme un chef de parti montre bien qu’il a encore du mal à se glisser dans sa fonction.
Alors, l’une des questions, c’est : la fonction fera-t-elle l’homme, ou l’homme remodèlera-t-il la fonction ?
En envisageant un gouvernement conduit par un gaulliste social, impliquant selon certains Alain Juppé et Philippe Séguin, les deux anciens rivaux du RPR des années 1990, et en y mettant un peu de centristes de l’UDF, un peu de socialistes indépendants, et sans doute des personnalités qui ne proviennent pas du sérail politique, Sarkozy pourra bénéficier, d’une part, d’une sécurité pour le professionnalisme de ses ministres et, d’autre part, d’une preuve de bonne volonté et d’ouverture.
Pour le reste, le Président Sarkozy sera jugé sur les actes.
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