Loin d’évoquer les conséquences politiques et géostratégiques des attentats du 11 septembre 2001 et loin de contribuer à la polémique sur la version officielle ou celles qui sont véhiculées sur internet, je voudrais uniquement parler de la manière dont j’avais vécu et ressenti cet événement à l’occasion de ce triste sixième anniversaire.
À l’époque, j’étais chercheur dans le centre de recherches d’un groupe américain et mon bureau était situé dans la région parisienne. Depuis un peu plus d’un an, je travaillais avec, pour principale collègue, une ingénieur américaine (texane) qui avait été séduite par la France et son agréable mode de vie.
Je me trouvais à mon bureau ce 11 septembre 2001 dans l’après-midi et vers 15h15 environ, ma collègue me rejoignit paniquée en me disant qu’elle venait d’apprendre un événement monstrueux.
Elle lisait régulièrement les nouvelles dans le site de US-Today et avait eu très vite l’information d’une ‘attack’ contre les tours du World Trade Center.
Peut-être que le mot anglais le faisait croire, mais dans mon esprit, ce n’était pas un attentat, mais bien une ‘attaque’ (comme de nombreux journaux francophones indiquaient par la suite, oubliant de bien traduire le mot)… une véritable déclaration de guerre…
Je recherchais alors fiévreusement quel en était l’ennemi sur des sites internet américains mais c’était assez difficile car tout était dit et rien n’était dit.
Puis chaque nouvelle tombait comme un nouveau coup de massue… le Pentagone avait aussi été touché. Or, ma collègue avait des amis de ses parents qui y travaillaient… Grosse inquiétude.
Et un autre avion s’écrasait en Pennsylvanie…
Émotion, peur, ignorance… les capitales occidentales prenaient des mesures dans tous les aéroports… Paris, Milan, Francfort, Berlin, Rome, Genève, Madrid, Bruxelles, Londres…
Pendant ce temps, nous apprenions (était-ce avant ou après les deux derniers crashs d’avion, je ne me souviens plus) que l’une des tours, puis la seconde s’écroulaient sous l’impact des chocs.
Nous n’avions pas d’image. Ce n’était que par des communiqués d’agence de presse que nous avions l’information.
Nous n’avions pas de téléviseur dans l’établissement (étrangement, alors que nous étions capables de faire des vidéoconférences) mais des personnes très proches m’ont raconté qu’elles avaient, elles, vécu l’événement en direct (pourquoi regardaient-elles la télévision au boulot ? l’histoire ne l’a pas dit).
J’ai dû aussi en parler un peu autour de moi au centre de recherches… c’était clair que mon travail attendait bien sagement. Nous étions dans une sorte d’atmosphère apocalyptique de fin du monde.
Je quittais alors mon bureau tôt pour une fois, un peu avant 20h00 afin de pouvoir regarder chez moi le journal télévisé.
Il n’y a pas à dire, les images effraient beaucoup plus que les mots, c’est sûr.
À regarder les images des deux tours s’effondrer en boucle, j’en avais la nausée. Mais j’avais aussi ce souci de rester accroché à l’écran de télévision, pas par voyeurisme, mais pour en savoir davantage, pour savoir d’où venait cette nouvelle terreur, si d’autres nouveaux attentats allaient être annoncés...
Et évidemment, ce sentiment, sans doute très banal, de dégoût de l’esprit humain.
Comment pouvait-on commettre des actes aussi odieux (ce n’étaient pas les premiers et ce ne seraient pas les derniers) alors qu’il y avait tant de difficulté déjà à vivre confronté à d’autres fatalités (maladies par exemple) ?
Seul dans mon appartement bien vide, j’ai appelé ma meilleure amie pour partager, à peine discuter, mais surtout ne pas m’émouvoir seul. Sorte de partage du silence.
Certes, les images émeuvent, et l’absence d’image peut rendre indifférent (comme le drame du Darfour), mais il nous semblait que ces attentats constituaient un cran supplémentaire dans la bêtise et la cruauté humaines.
Le lendemain matin, j’ai su que ma collègue américaine était restée quasiment toute la nuit à l’Ambassade américaine à Paris, où les autorités diplomatiques avaient organisé une réception pour les expatriés américains.
Quelques jours plus tard, on m’avait fait la réflexion de changer ma décoration. En effet, plusieurs mois auparavant, j’avais affiché sur ma porte un grand poster de Manhattan de nuit, avec les deux tours géantes bien visibles. Une manière de dire que j’aimais bien les Etats-Unis.
Mais quand un nouveau visiteur américain était venu me voir à mon bureau, cela l’avait beaucoup mis mal à l’aise… tous les films, toutes les images représentant le World Trade Center auraient-ils dû être reformatés, un peu à la manière de l’effacement de la tête de Trotski sur les photos staliniennes ?
Pas question pour moi d’initier ce débat, les Américains avaient été personnellement meurtris dans leur chair par ces attentats, et par empathie, par proximité, moi aussi et tous mes collègues français également.