Depuis lundi 5 novembre 2007 et jusqu’au 28 novembre se déroule le procès de Charles Pasqua, 80 ans, célèbre figure du post-gaullisme à la fois « prestigieuse et controversée » selon les mots du président du tribunal Jean-Louis Kantor.
La dernière fois qu’il avait fait parler de lui politiquement, c’était il y a quelques semaines pour s’opposer à l’amendement Mariani (première version) qui instituait des tests ADN pour le regroupement familial, dont le relookage l’a finalement convaincu de voter favorablement au Sénat.
Pasqua, personnage sulfureux et pourtant qui ne manque pas de séduction. J’ai eu l’occasion de le croiser deux fois au Sénat de façon impromptue, et sa bonhomie joviale, son sourire du sud, sa bonne humeur m’ont rendu sympathique un personnage qui pourtant terrorisait bien des étudiants il y a une vingtaine d’années.
Car Charles Pasqua, c’était d’abord le Ministre de l’Intérieur qui voulait terroriser. Pas les étudiants, mais les terroristes. Qui voulait montrer une fermeté et une poigne qui rendaient son visage presque cruel, méchant, comme celui d’un molosse prêt à mordre alors que son sourire, ses yeux malicieux et son accent savoureux auraient pu le faire passer pour un Fernandel de la politique.
Nicolas Sarkozy, en 2002, n’a fait que reprendre cette visibilité à son compte, en voulant, lui aussi, se montrer ferme comme Ministre de l’Intérieur, à tel point qu’un peu partout en France, dans les lycées, dans les universités, dans les entreprises, les gens évoquent pour plaisanter ‘Sarkozy’ pour parler de punition, de sanction, de surveillance etc. Il y a 20 ans, on évoquait ‘Pasqua’ de la même manière. Leur opération marketing avait atteint leur but : rendre leur nom synonyme d’ordre.
Reprenons la vie de Charles Pasqua.
L’homme d’action et de terrain
Il est loin de ce qu’on appelle les ‘technocrates’, ni ENA, ni X, pas de diplôme prestigieux (seulement des certificats de licence de droit). Un homme de terrain. Un commercial de chez Ricard. En une dizaine d’années, il devient le numéro deux du groupe.
Le côté sulfureux arrive dès le retour au pouvoir de De Gaulle avec la mise en place en 1960 du service d’action civique (SAC) dont il est l’un des fondateurs. Mouvement soi-disant de gardiens fidèles et dévoués au gaullisme mais qui a dérivé dans plusieurs affaires criminelles jusqu’à sa dissolution le 3 août 1982 par François Mitterrand après la tuerie d’Auriol.
Mais Charles Pasqua avait été exclu du SAC dès 1969. Jacques Foccart aurait d’ailleurs obtenu son exclusion car ce dernier, plutôt mal vu par les autres membres du SAC, avait voulu en prendre le contrôle après la révolte étudiante de mai 1968.
En juin 1968, il fut élu député de Clichy-Levallois dans la vague gaulliste et s’investit au sein de l’UDR.
Le conseiller de Chirac
Conseiller de Jacques Chirac avec Marie-France Garaud et Pierre Juillet qui virent en Chirac le dauphin de Pompidou, Charles Pasqua fut le maître d’œuvre et de bluff de la prise de l’UDR par Chirac en décembre 1974. Alors Premier Ministre de Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac était ressenti comme un traître par les barons gaullistes car il avait fait échouer la candidature de Jacques Chaban-Delmas.
C’est dans ces circonstances-là que l’on peut comprendre toute la force d’une bonne maîtrise d’un congrès (ou d’assises) : Charles Pasqua répandait auprès de tous les cadres de l’UDR l’idée que Chirac était majoritaire et qu’il valait mieux pour eux d’être parmi les vainqueurs.
Cette prise de l’UDR en 1974 par Jacques Chirac et Charles Pasqua fait d’ailleurs curieusement penser à la conquête de l’UMP en 2004 par Nicolas Sarkozy (obtenue contre les lieutenants du chiraquisme).
En 1981, Charles Pasqua organisa la campagne présidentielle de Jacques Chirac (alors que Marie-France Garaud se présenta aussi de son côté) et encouragea les militants du RPR à favoriser l’élection de François Mitterrand (Giscard d’Estaing l’aurait d’ailleurs compris en se faisant passer lui-même pour un militant du RPR entre les deux tours de la présidentielle de 1981).
Ainsi, la voie fut ouverte à Jacques Chirac pour devenir le seul leader de la droite et du centre face à la gauche socialo-communiste.
Pendant les cinq années de la majorité de gauche, Charles Pasqua fut l’un des principaux batailleurs contre les réformes du gouvernement, fort de sa présidence du groupe RPR au Sénat.
Dès 1982-1983, les socialistes durent accepter le réalisme économique et remettre à plus tard l’application des 110 propositions de 1981.
Ce qui a abouti à la formation du premier gouvernement de la cohabitation, en mars 1986, et à la nomination de Charles Pasqua au Ministère de l’Intérieur où il eut à faire face à des attentats terroristes meurtriers mais également aux manifestations étudiantes contre la loi Devaquet qui se terminèrent par la mort de Malik Oussékine.
Charles Pasqua aurait auparavant prévenu le gouvernement des risques de ‘bavures’ et de ‘débordements’ et avait demandé le retrait de la loi Devaquet alors que René Monory, le Ministre de l’Éducation Nationale, refusait toute concession (par la suite, en 1992, René Monory sera devenu Président du Sénat, poste que convoitait Charles Pasqua alors que le groupe RPR était devenu le plus important du Sénat).
En 1986, Mitterrand avait refusé de nommer François Léotard à la Défense et Étienne Dailly à la Justice, mais il ne s’était pas opposé à la nomination de Charles Pasqua à l’Intérieur car il estimait beaucoup l’homme et ses engagements dans la Résistance à l’âge de quinze ans (sous le nom de ‘Prairie’) grâce à son père et à son oncle (il fit notamment du repérage de mines allemandes du côté de Grasse en 1943).
C'est pour cette raison (engagement dans la Résistance) que Jacques Chirac lui conservera toute son amitié et son estime malgré la rudesse de leurs relations après 1988.
Entre temps, Neuilly avait changé de maire.
L’ami et le rival de Sarkozy
En septembre 1982, Charles Pasqua fut le témoin du premier mariage du jeune Nicolas Sarkozy, ce qui montra le début d’une complicité-rivalité entre les deux hommes qui dura deux décennies.
En effet, à la mort du maire de Neuilly-sur-Seine en avril 1983, Achille Peretti, qui venait d’être réélu en mars, maire depuis 1947, ancien Président de l’Assemblée Nationale (pour remplacer Jacques Chaban-Delmas nommé à Matignon), Charles Pasqua, qui aurait dû lui succéder, se fit court-circuiter par Nicolas Sarkozy.
À 28 ans, Nicolas Sarkozy devint alors maire de Neuilly-sur-Seine alors que Pasqua n’avait pas pu faire sa campagne au sein de la majorité municipale car hospitalisé pour une opération. Jacques Chirac évoqua par la suite son rôle en disant qu’il avait laisser faire Nicolas Sarkozy, trop déterminé, tout en dissuadant Charles Pasqua de s’y opposer.
Cela n’empêcha pas Charles Pasqua de nommer dans son cabinet ministériel ce même Nicolas Sarkozy comme chargé de mission pour la lutte contre les risques chimiques et radiologiques de 1987 à 1988.
Le balladurien
Après l’échec de Chirac à la présidentielle de 1988, Charles Pasqua prend du recul, d’abord en créant avec Philippe Séguin (mentor du Premier Ministre actuel François Fillon) un courant souverainiste au sein du RPR en 1991, puis en faisant campagne contre le Traité de Maastricht lors du référendum de septembre 1992.
Redevenu Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement d’Édouard Balladur entre 1993 et 1995, Charles Pasqua, promu Ministre d’État (même titre que Nicolas Sarkozy dans le gouvernement de Dominique de Villepin douze ans plus tard), avait réussi à acquérir aussi d’autres attributions comme l’Aménagement du Territoire pour ne pas rester confiné au rôle de l’éternel ‘premier flic de France’.
Croisement de destins et rivalité de personnalités entre Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy quelques jours après le suicide de Pierre Bérégovoy en mai 1993.
La prise d’otages de vingt-et-un enfants dans une école maternelle de Neuilly-sur-Seine fut l’occasion pour Nicolas Sarkozy de se faire connaître tant par sa volonté d’être présent sur le terrain que de faire front à l’adversité, montrant dans ces circonstances un courage physique manifeste.
« Il a le réflexe, qui montre l'animal politique, de faire venir le seul homme de communication, le pompier chargé de la communication, qui avait une caméra. » selon l’ancien procureur de la République de Nanterre, Pierre Lyon-Cean.
Pendant ce temps, à l’Intérieur, Charles Pasqua tempêtait contre celui qui s’était imposé à la cellule de crise et prenait, selon lui, des risques inutiles, et il l’éloigna des négociations.
En 1993, Pasqua réforma le code de la nationalité qui fut le début d’une longue série de lois sur l’immigration qu’a poursuivi Nicolas Sarkozy depuis 2002, tant place Beauvau qu’à l’Élysée.
Charles Pasqua apporta son soutien (comme Nicolas Sarkozy) à la candidature d’Édouard Balladur, très populaire, à la présidentielle de 1995, ne croyant pas à une résurrection de Jacques Chirac qui plafonnait alors à 11% dans les sondages (argument qu’a utilisé de nombreuses fois François Bayrou en fin 2006 au début de sa campagne présidentielle).
Dans certaines hypothèses, on disait que Charles Pasqua aurait été nommé à Matignon en cas d’élection d’Édouard Balladur, mais Alain Juppé, président du RPR, semblait cependant incontournable malgré son soutien à Jacques Chirac.
Le souverainiste indépendant
L’échec de la dissolution de 1997 avait encore renforcé l’autonomie de Charles Pasqua vis-à-vis de son ancien poulain Jacques Chirac. Philippe Séguin devenait président du RPR, Nicolas Sarkozy secrétaire général du RPR.
Fort de ses conceptions souverainistes, Charles Pasqua mena une liste commune avec Philippe de Villiers aux élections européennes de juin 1999.
Étrangement, par un hasard des circonstances, après le renoncement de Philippe Séguin à mener la liste officielle du RPR, Charles Pasqua se retrouva confronté à Nicolas Sarkozy, tête de liste de remplacement.
La rivalité entre les deux listes fut importante puisque, en fin de course, la liste Pasqua arriva devant la liste Sarkozy, avec plus de 12%. Pour Nicolas Sarkozy qui fit là sa première expérience d’élection nationale (et seule avant 2007), ce fut un échec complet.
Ce succès électoral fut le point de départ de la formation d’un nouveau parti, le RPF (même sigle que le parti de De Gaulle sous la IVe République), mais ne dura pas en raison d’une brouille avec Philippe de Villiers.
C’est le financement de la campagne européenne de 1999 qui est actuellement reproché à Charles Pasqua.
Le retour de l’enfant prodigue
En 2002, Charles Pasqua avait eu l’intention d’être candidat à l’élection présidentielle mais n’aurait pas eu, selon lui, assez de signatures de maires pour se présenter. Cette raison paraît assez farfelue de la part d’un homme qui avait su si bien organiser les congrès partisans, qui avait tant manœuvré pour ses intérêts politiques, qui avait été, pendant quatre ans, le ‘patron ministériel’ de ces maires, à la tête de toutes les préfectures et des Renseignements généraux…
Les raisons que l’on pourrait imaginer de l’abandon de sa candidature seraient d’abord sa très faible popularité (1% environ dans les sondages) et, pour les plus médisants, le besoin de laisser tout l’espace politique à Jean-Marie Le Pen (Philippe de Villiers ne se présentant pas) pour faire barrage à Lionel Jospin dès le premier tour.
En 2004, après seize ans de mandat, il céda la présidence du Conseil général des Hauts-de-Seine (très riche département) à Nicolas Sarkozy qui garda cette responsabilité pendant trois ans (malgré son retour au gouvernement en 2005) et qui la laissa ensuite à Patrick Devedjian en guise de ‘lot de consolation’ (ce dernier ayant fait les frais d’une ‘ouverture politique’).
Fut-ce un retour d’ascenseur ? En septembre 2004, Charles Pasqua retrouva une immunité parlementaire (qu’il perdit avec son mandat de député européen en juin 2004) en reprenant son ancien siège de sénateur avec l’onction de Nicolas Sarkozy (les élections sénatoriales dans les Hauts-de-Seine en 2004 ayant été très confuses).
Un personnage singulier
Charles Pasqua, retraité de la politique (encore sénateur cependant), un des personnages clefs de la vie politique depuis trente ans, est donc un personnage très contrasté, impliqué dans beaucoup d’affaires politico-judiciaires (dès l’affaire Maréchal en début 1995), visiblement homme de main indispensable à certains hommes politiques de premier plan, et sorte de doublure dans l’ombre d’un Nicolas Sarkozy qui se mit dans les mêmes traces que lui.
Inquiétant et trouble, affable et charmeur, maniant l'humour et l'ironie, Charles Pasqua a fait aussi partie du paysage politique avec ses fameuses formules que l’on s’amuse encore à ressortir de nos jours :
« Les promesses électorales n’engagent que ceux qui les reçoivent. »
« Avec des amis comme ça, je n’ai pas besoin d’ennemis. »
« Il faut terroriser les terroristes. »
« La démocratie s’arrête où commence l’intérêt de l’État. »
« Ce n’est pas en rassemblant un borgne et un paralytique qu’on fait un champion de cross. »
« Nous avons commis la plus belle escroquerie du siècle : nous avons fait croire aux Français que nous étions de droite. »
« Notre capacité à faire des bêtises reste quand même importante. Nous avons toutefois un avantage : c’est que nous le savons. »
« Si De Gaulle avait été Tito, j’aurais été communiste. »
Sylvain Rakotoarison
Article paru sur Agoravox.