(dépêche)
La difficile succession de Hosni Moubarak (81 ans et malade) en Egypte
http://mobile.agoravox.fr/actualites/international/article/la-succession-d-hosni-moubarak-72620
mercredi 31 mars - par Vincent Fromentin
La succession d’Hosni Moubarak
L’hospitalisation à Heidelberg (en Allemagne) d’Hosni Moubarak à 81 ans au pouvoir depuis 1981 pose la délicate question de sa succession. Les élections présidentielles sont prévues pour septembre 2011.
1. Un système politique verrouillé
Depuis 1981, succédant à Anouar El Sadate, assassiné le 6 octobre, Hosni Moubarak a été réélu en 1987, 1993, 1999 et 2005. Ces dernières élections de 2005, « multipartites », (cf. article précédent) ont conduit le principal rival de Moubarak, Ayman Nour, chef du « Parti de Demain », en prison (Le motif officiel de la condamnation a été faux et usage de faux dans la procédure complexe de reconnaissance des statuts de son nouveau parti en 2004. En réalité, il a inquiété le pouvoir puisque en dépit d’une faible participation de 10% et un système politique verrouillé, le candidat a réussi à obtenir 7,3% des voix.). Ayman Nour a été libéré en février 2009, sous la pression américaine.
La Constitution de 1971 ne prévoit pas de pluralisme puisque c’est l’Union socialiste arabe qui est sensée rassembler toutes les forces politiques du pays. C’est la loi n°40 de 1977 qui organise (quasiment contra legem) les partis politiques mais qui octroie au pouvoir exécutif un pouvoir discrétionnaire important (notamment en son article 8 qui prévoit une commission des affaires des partis politiques). Ce département des affaires des partis politiques est composé de personnalités directement nommées par le Ministre de la Justice et permet in fine de déterminer les concurrents au pouvoir. En théorie donc, le choix des candidats est guidé par la sagesse de l’exécutif. Les nombreuses modifications de cette loi rendent difficiles la création d’un nouveau parti et consacrent l’hégémonie du parti du pouvoir : le PND. Le Parti National Démocratique est le passage obligé vers la vie politique.
Le deuxième élément contribuant à verrouiller le système politique est la manipulation des partis en fonction de la peur du chaos. Au préalable, il faut rappeler les deux barrages que constituent les articles 76 et 62. Tout d’abord, le fameux article 76, amendé en 2005 et 2007, règle dans les moindres détails les conditions de candidature aux élections présidentielles et, pour simplifier, permet à un représentant de parti politique de se présenter mais les chances d’un candidat indépendant de remplir les conditions strictes sont quasiment nulles. De surcroît, l’article 62 prévoit que le candidat puisse bénéficier d’un soutien de 250 membres élus (65 membres de l’Assemblée du Peuple, 25 membres du Conseil Consultatif, 10 membres de conseils régionaux au sein de 14 gouvernorats au moins.) Cette disposition barre la route à des partis comme les Frères Musulmans qui ne sont représentés que dans l’Assemblée du Peuple (88 élus). A propos des Frères Musulmans, le pouvoir opère une stratégie habile en emprisonnant leurs leaders progressistes, laissant le monopole de l’opposition islamique à leur branche radicale (prônant une fusion du politique et du religieux) afin de renforcer leur rôle d’épouvantail.
2. El Baradei : une nouvelle dynamique contestataire
Mohammed El Baradei
Alors que tout porte à croire que Gamal Moubarak, le fils du président, se place pour succéder à son père, la figure d’El Baradei cristallise les espoirs de l’opposition alternative (En 2002, Gamal Moubarak prend la tête du Comité des politiques et contribue à rajeunir et libéraliser le pouvoir. Affaibli par les scores médiocres des élections de 2005 puisque beaucoup de proches perdent leur siège, Gamal est nommé secrétaire-général adjoint du PND alors que des « gamalistes » sont intégrés dans le gouvernement. Au Congrès de 2006, Gamal prononce un discours de politique étrangère, réservé normalement au pouvoir présidentiel. Cet événement marque-t-il l’entrée de Gamal Moubarak sur la scène politique comme futur président ?).
De retour en Égypte, Mohammed El Baradei, ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a été acclamé le 19 février spontanément par la foule qui a appelé à soutenir son éventuelle candidature à la présidentielle. Comment expliquer l’enthousiasme populaire pour ce Prix Nobel de la paix ?
Décriant un appauvrissement de la démocratie en Égypte, El Baradei réclame des amendements aux articles 62 et 76. Il veut également un accès médiatique égal pour tous les candidats, une supervision judiciaire du scrutin et l’ouverture des bureaux de vote aux organisations non gouvernementales.
L’avantage d’El Baradei est qu’il fait figure d’homme intègre, hors du circuit traditionnel. Mais, il faut transformer l’aura virtuelle (sites, facebook, etc.) en réalité.
3. La puissance militaire, la carte politique oubliée
L’armée joue un rôle socio-politique fort. Historiquement déjà, elle a dû s’imposer face à l’Empire Ottoman et a contribué en 1952 a faire tomber la monarchie (L’Académie militaire ouvre ses portes à la bourgeoisie en 1936 et permet en grande partie ce coup d’état. ) Sous Nasser, l’Armée tient un rôle clé, tant sur le plan intérieur en fournissant plus d’un tiers des ministres, que sur le plan extérieur. Effectivement, l’environnement régional et international implique de disposer d’une force de réaction rapidement mobilisable (notamment autour du Canal de Suez et face à Israël).
Depuis 1981, l’Égypte est en état d’urgence limitant les libertés publiques et légitimant les arrestations arbitraires au nom de la stabilité et la sécurité intérieure. Les réformes politiques initiées par Moubarak n’ont pas entamé cet état d’exception.
Sous Sadate puis Moubarak, les militaires sont de moins en moins représentés dans le pouvoir politique alors qu’ils étendent en contrepartie leur influence dans le secteur civil et social. L’Armée participe du développement général du pays. Encore maintenant, la transmission du pouvoir dépend également du chef des services secrets égyptiens : Omar Suleiman.
Pour conclure, la transmission dynastique du pouvoir semble le scénario le plus envisageable car, d’un point de vue constitutionnel, l’article 76 préserve de toute candidature extérieure au PND, c’est-à-dire soit de Gamal Houbarak soit d’un cacique du PND en cas de mort prématurée du président.
L’opposition n’apparaît que comme figurant : les Frères Musulmans sont réprimés et en net repli depuis les élections municipales, le parti Kefaya, rassemblement trop hétéroclite d’opposition, n’a pas su fédérer. Mais, à en juger les dernières actualités, même les figurants d’un faux procès contre le pouvoir en place sont réprimés…
Bibliographie
Ayad Christophe, Géopolitique de l’Égypte, Complexe, 2002, 143 p.
Cloarec Vincent et Henry Laurens, Le Moyen-Orient au 20ème siècle, Armand Colin, juin 2002, 244 p.
Corm Georges, Le Proche-Orient éclaté (1956-2006), Folio Histoire, septembre 2005, 1074 p.
Francois-Poncet Jean et Monique Cerisier-ben Guiga, Le Moyen-Orient à l’heure du nucléaire, rapport d’information n°630, Commission des Affaires Étrangères et de la Défense, Sénat, septembre 2009, 249 p.
Moghira Mohamed Anouar, L’Égypte, clé des stratégies au Moyen-Orient, Trente ans de politique égyptienne et arabe sous Hosni Moubarak, Mobiles Géopolitiques, L’Âge d’Homme, Lausanne, avril 2009, 346 p.
Penet Luc, Égypte : les enjeux de la succession de Hosni Moubarak, Mémoire d’optionnel rédigé au Collège interarmées de défense dans le cadre du séminaire « Méditerranée et Proche Orient : Enjeux et perspectives », sous la direction du contre-amiral Jean-François Coustillière, octobre 2008.
Victor Jean-Christophe, Le dessous des cartes, Études de géopolitique : Égypte, Paris, La Sept Vidéo, 1996, 36 min.