(dépêches)
Jacques Delors : il faut sauver le soldat Europe !
http://www.challenges.fr/magazine/0211.030649/il_faut_sauver_leurope.html
Actualités Challenges < 06.05.2010
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Il faut sauver l'Europe
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C'est une coïncidence qui ne doit laisser personne - simple citoyen ou chef d'Etat - indifférent. Le 9 mai, le jour où l'Europe devrait célébrer dans la gratitude le 60e anniversaire de l'appel de Robert Schuman, les pays de la zone euro ont sauvé in extremis la Grèce, après des mois d'atermoiements. Il y a soixante ans, parmi les rares personnes au courant de la proposition du ministre des Affaires étrangères français de jeter les bases de la Communauté européenne du charbon et de l'acier - les richesses de l'époque - figurait le chancelier Adenauer. Aujourd'hui, Angela Merkel semble ailleurs. Méritant le surnom d'Angela Slow Motion dont l'affuble désormais la presse américaine, la chancelière est tiraillée entre la crainte de perdre une élection et les désordres de sa coalition. Or c'est à l'action et notamment à l'action des Allemands qu'appelle Jacques Delors dans l'émouvante interview que l'ancien président de la Commission européenne nous a livrée (lire pages suivantes). Il semble avoir été entendu par Nicolas Sarkozy, qui, à peine rentré de Chine, s'est jeté sur le dossier avec l'envie d'avancer qu'on lui connaît. Ouf ! Il faut dire que lui n'a pas à ménager son opinion publique. Elle est favorable à 60 % à un plan d'aide à la Grèce, selon un sondage BVA-Canal+. Sans doute parce que les trois quarts des Français pensent qu'ils pourraient « connaître un jour une situation de crise comparable à celle de la Grèce ». Le laxisme d'hier nous rendrait-il sages aujourd'hui ? Peut-être. Compréhensifs, sûrement.
Vincent Beaufils
http://www.challenges.fr/magazine/enquete/0211.030649/sos_europe_l_appel_de_delors.html
http://www.challenges.fr/magazine/enquete/0211.030649/il_faut_sauver_l_europe.html
http://www.challenges.fr/magazine/enquete/0211.030638/l_europe_est_face_a_son_test_le_plus_important.html
Actualités Challenges < Enquêtes 06.05.2010
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L'appel de Jacques Delors aux Européens
« L'Europe est face à son test le plus important »
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Union, ressaisis-toi ! Fervent artisan de la construction européenne, père de l'Union monétaire, l'ancien président de la Commission Jacques Delors appelle avec force et émotion à plus de courage et de cohérence politique pour sauver l'Europe.
Challenges. La crise grecque, les atermoiements de l'Union, le recours au FMI, n'est-ce pas la fin du voyage européen soixante ans après l'appel de Robert Schuman ?
Jacques Delors. Je l'ai dit, je suis meurtri. L'Europe pouvait résoudre cette crise sans faire appel au FMI. C'est un aveu d'impuissance politique. Je comprends qu'il soit normal de ne pas garantir la solidarité à tout le monde. Mais une fois face au problème, moralement, il faut résister à la spéculation des banques, dont certaines ont reçu l'aide des Etats il y a un an ! L'Union européenne en avait les moyens.
Comment pouvait-elle sauver la Grèce ?
En mobilisant les ressources financières nécessaires pour permettre à la Grèce de résister. Certains ne voulaient pas payer pour les erreurs grecques - les Allemands, les Hollandais. Mais il y a deux idées que l'on oublie en Europe. J'ai appris la première de Kohl : l'Allemagne reçoit de l'Europe, mais elle doit aussi donner. La seconde est française : tous les proeuropéens français ont considéré que la grandeur de la France passait par l'unité de l'Europe. Si on perd ces deux idées, on n'y arrive pas. Celle de l'Allemagne est perdue depuis Schröder. Celle de la France est en train de se perdre, sous la poussée des ego. Ajoutons les défaillances du Conseil de l'euro, qui n'a rien vu venir, y compris les crises de l'endettement du secteur privé. La responsabilité des seize pays membres est donc engagée pour assurer l'avenir de l'Union économique et monétaire.
Au fond, les Allemands ont raison de ne pas vouloir faire de « chèque en blanc » ...
Certains tirent les oreilles, quand d'autres se montrent compréhensifs, souvent d'ailleurs d'autant plus compréhensifs que les premiers tirent les oreilles. Tout cela est un peu hypocrite, alors que l'Europe se retrouve face à son test le plus important. Ce qui est en cause maintenant, c'est l'euro, un des fleurons de la construction européenne. Si ce fleuron venait à disparaître, le coup porté à l'Union irait bien au-delà des seuls aspects monétaires. Leur valse-hésitation depuis quelques semaines n'a fait qu'encourager la spéculation, nourrir l'euroscepticisme. Heureusement, la Commission, la Banque centrale européenne et la France ont exercé une forte pression en vue d'une solution rapide à la dimension du problème.
Les Eurobonds auraient-ils été une solution ?
Oui. Et la première fois que j'en ai parlé, c'est dans mon Livre blanc, en 1993. Mais il paraît que l'Union européenne ne peut pas s'endetter ! Ce serait, disaient les opposants à cette idée, un pas de plus vers l'Europe fédérale... On aurait pourtant pu mettre un plafond. Des Eurobonds pour sauver la Grèce auraient permis d'emprunter à 3,5-4 % - on a approché les 9 % avant qu'Athènes ne fasse officiellement appel à l'Union. Face à la capacité d'emprunt de l'Union, la spéculation se serait dit « Attention ! » Mais on ne l'a pas fait. La spéculation, il ne faut pas seulement la critiquer, comme l'a fait Nicolas Sarkozy dans des discours contre le capitalisme que je n'aurais même pas imaginé prononcer : il faut y faire face.
Derrière la crise grecque, n'y a-t-il pas un vice de forme de l'euro ?
Evidemment. J'avais en tête une Union économique et monétaire (UEM) avec un cadre commun, monétaire, économique et social, et j'ai perdu cette bataille. Quand l'euro s'est profilé, j'ai évoqué, dès 1997, le déséquilibre entre le monétaire et l'économique. C'est alors que les Français ont fait rajouter au « pacte de stabilité » la précision « et de croissance ». Ah ! le nominalisme des responsables politiques français. Il est plus facile, dans les déclarations, de se contenter d'un mot, que de donner un contenu sur la chose à obtenir ! Malheureusement, les événements m'ont donné raison.
Comment donner du contenu au concept de coordination économique ?
En rapprochant les politiques économiques et en obtenant un minimum de rapprochement des législations fiscales, et pas seulement en présentant les perspectives budgétaires à l'Eurogroupe. On ne peut à la fois profiter d'une monnaie unique et faire du dumping fiscal. Si les pays ont compris les excès du monde financier, il leur faut maintenant, au-delà de leur seul rôle de pompiers, devenir des architectes, pas seulement du G20, mais aussi pour la zone euro. J'espère, puisque la peur a été bonne conseillère, que les pays de l'euro vont s'engager sur de nouvelles règles de gouvernance, avec un conseil de l'euro traitant de toutes les dimensions, économique, financière, monétaire et même sociale, avec un pouvoir d'initiative et de régulation enfin confié à la Commission.
Pourtant, même les membres de l'Eurogroupe n'y sont jamais arrivés...
Pourquoi ? Parce que les ministres des Finances ne veulent pas parler de leurs propres problèmes aux autres. Or si l'euro n'est pas conforté par ce volet économique, un jour, ce sera une catastrophe. J'ai toujours pensé, en travaillant sur la monnaie unique, à des échecs comme celui du serpent monétaire.
En 1950, qu'est-ce qui a permis à Robert Schuman de réussir, lui ?
Quand il a fait son appel pour mettre en commun nos richesses du charbon et de l'acier et commencer à travailler ensemble, le climat international était particulier, marqué par la peur, le début de la guerre froide... En Europe dominait une mémoire rancunière compte tenu de la guerre et de ses atrocités.
Compte tenu de ce climat, cet appel a-t-il été lancé en catimini ?
Pas du tout, Schuman l'a fait d'une manière solennelle, le 9 mai 1950 à 18 heures, dans le salon de l'Horloge du Quai d'Orsay - il était alors ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Georges Bidault. Il y a eu dix brouillons de ce discours, avec sept personnes au courant, dont le chancelier Adenauer. L'idée - est-il besoin de le préciser - venait de Jean Monnet.
Il n'y avait pas eu de prémices...
Il y avait eu une réunion mémorable à La Haye en 1948, présidée par Winston Churchill, à laquelle assistait notamment François Mitterrand, autour du slogan « Plus jamais la guerre entre nous ». L'élan était donné, mais il fallait trouver le déclic.
Le déclic qu'a trouvé Schuman...
Son appel avait une grande force spirituelle, au sens laïc. J'ai trouvé dans un livre de Hannah Arendt paru en 1961 la formule pour le résumer : « le pardon et la promesse ». Le pardon qui n'est pas l'oubli, et la promesse faite aux nouvelles générations qu'après cent ans de guerre en Europe, elles retrouveraient la paix et, avec elle, un climat de compréhension mutuelle et de coopération.
Comment devient-on militant de la cause de l'Europe ?
C'est venu de discussions avec mon père. Il était un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, laissé pour mort sur le champ de bataille, et mutilé à 90 %. Le climat familial était antiallemand et pourtant, c'était un homme de réconciliation. C'est lui qui m'a guidé. Il fallait trouver une autre voie que celle des affrontements tragiques.
Challenges. Le couple franco-allemand, c'est pourtant un miracle permanent...
Jacques Delors. Déjà, au moment du traité de Rome, je me demandais si l'Allemagne n'allait pas éclater dans son costume de premier communiant, par rapport à une France qui ne serait pas à la hauteur. On retrouve cette interrogation aujourd'hui. Et que Giscard et Schmidt soient arrivés à faire le Système monétaire européen (SME) alors qu'ils sont entrés dans la double crise - le dollar et le pétrole - avec deux diagnostics opposés sur la façon d'en sortir et deux économies très dissemblables. Cela tient effectivement du miracle, ou plutôt de la vision et de la volonté politiques.
Qu'est-ce qui a rapproché autant Kohl et Mitterrand ?
Le chancelier Kohl est un homme extraordinairement européen. Il faut savoir qu'à 15 ans, à la fi n de la guerre, il est allé casser des bornes-frontières entre la France et l'Allemagne ! François Mitterrand, qui était donc à La Haye en 1948, a fait son grand choix en 1983 : pas simplement le choix de la rigueur, mais le choix de l'Europe. Et entre les deux, il a eu le geste de Verdun, expression d'une convergence politico-spirituelle qui avait pour moi une résonance particulière. Ils étaient si différents. Le chancelier avait la capacité de faire rire Mitterrand, et Mitterrand impressionnait Kohl par sa culture politique et sa stature d'homme d'Etat. Je pense qu'entre eux le sentiment était aussi fort que le calcul politique - souvenez-vous des larmes de Kohl à l'enterrement de Mitterrand. C'est une coïncidence extraordinaire qui ne s'est pas reproduite depuis.
Quand, en 1985, vous devenez président de la Commission, vous profitez de ce climat exceptionnel...
Et c'est bien pour cela qu'en arrivant, après avoir fait le tour des capitales, je propose un triptyque : un marché unique et la cohésion économique et sociale, puis une monnaie commune, puis enfin une défense commune. Avec la mise en place du premier, on a pu développer un engrenage vertueux avec 3 % de croissance par an et 9 millions d'emplois créés entre 1985 et 1992.
N'avez-vous pas le sentiment que ce rôle de président a changé ?
Chacun peut utiliser les institutions comme il l'entend, c'est une question de confiance entre la Commission et les chefs d'Etat ou de gouvernement. Je me souviens avoir forcé la main de madame Thatcher, par exemple, sur le lancement du programme d'échange d'étudiants Erasmus en jouant sur le droit d'initiative de la Commission. Autre exemple, beaucoup plus significatif : c'est le Conseil européen de Hanovre, en 1988, qui a demandé au président de la Commission de présider le comité chargé de réfléchir à la mise en place de l'Union économique et monétaire.
Le traité de Lisbonne vous satisfait-il ?
Non. Sur le plan strictement institutionnel, il est compliqué, avec deux personnages en plus : le président stable et le haut représentant pour les Affaires étrangères.
N'y a-t-il pas un problème avec Herman Van Rompuy ?
Non, j'ai beaucoup d'estime pour lui. Ce n'est pas lui qui est en cause, mais un système. Lui, cherche sa place. Il voudrait que le Conseil européen se réunisse tous les mois. Je ne vois pas comment un Conseil à 27 peut devenir le gouvernement de l'Europe sans préparation soignée par les institutions (Commission, conseil des ministres). Sinon, cela va devenir une mini-ONU, et on voit comment cela marche...
Le maintien de la présidence tournante, c'est incompréhensible ?
C'est effectivement un compromis bâtard, qui crée des complications.
Et Catherine Ashton, haute représentante, c'est le comble ?
C'est le système de Westphalie : tu ne veux pas de Blair, alors donne-moi Ashton en échange. Et pour la succession de Trichet, on mettra un Allemand ! Des grandes nations européennes aux petits calculs, alors que, pendant ce temps-là, les Etats-Unis et la Chine forment le G 2. Et le président Obama va à Prague et y réunit les pays de l'Est en oubliant l'Union européenne...
Alors, que faire ?
Revenir à la méthode communautaire. Tout était dans le traité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca) : le sens de l'action, une coopération accrue, les petits pas, la méthode communautaire incomparable pour préparer et prendre des décisions, et puis agir. Et des institutions simples qui permettent aux hommes, qui sont tous un peu déraisonnables, de se conformer à certaines règles. Enfin, permettre la différenciation. Comme on l'a fait pour l'UEM et pour Schengen. C'est aussi ce que je propose pour l'énergie.
Pourquoi se focaliser sur l'énergie ?
Parce que, une fois de plus, s'impose le slogan qui a réveillé l'Europe dans les années 1970 : « La survie ou le déclin. » L'énergie, c'est aussi un élément fondamental de politique étrangère. J'ai été humilié de voir tous ces chefs d'Etat traiter séparément avec Poutine ; je suis inquiet de voir des intérêts divergents se disputer sur les tracés de trois gazoducs. Cela veut dire que dans ce domaine vital, l'Europe n'existe pas. L'énergie aujourd'hui, c'est l'équivalent de la Ceca en 1951.
Vincent Beaufils
http://www.challenges.fr/magazine/enquete/0211.030637/in_ou_out_les_anglais_doivent_choisir.html
http://www.challenges.fr/actualites/20091127.CHA9443/?xtmc=delors&xtcr=1
Actualités Challenges < Monde 30.11.2009 | 15:04 video
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La naissance d'une Commission selon Delors
Vidéo Challenges.fr Président de la Commission européenne de 1985 à 1995, l'ancien ministre des Finances français explique comment se négocient les portefeuilles.
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La version complète de l'entretien avec Jacques Delors
Vidéo Interview de... Michel Rocard (ancien Premier ministre) : "L'Europe politique est morte"
3 questions à... Jean-Louis Bourlanges (ancien député européen) : "On n'a pas cessé de mentir aux Européens"
3 questions à... Pervenche Bérès (présidente de la commission Emploi du Parlement européen) : "Une chance pour Barroso de tirer son épingle du jeu"
DURANT son long mandat à la tête de la Commission européenne, de 1985 à 1995, Jacques Delors a eu l'occasion à trois reprises de présider à la répartition des portefeuilles. Pour Challenges.fr, il détaille le processus que vient de revivre José Manuel Barroso. [Lire la version complète de l'interview]
Propos recueillis par Jean-Marie Pottier
(le vendredi 27 novembre 2009)
La naissance d'une Commission selon Delors
Challenges.fr - 30/11/2009 15:04:38
DURANT son long mandat à la tête de la Commission européenne, de 1985 à 1995, Jacques Delors a eu l'occasion à trois reprises de présider à la répartition des portefeuilles. Pour Challenges.fr, il détaille le processus que vient de revivre José Manuel Barroso. [Lire la version complète de l'interview] Propos recueillis par Jean-Marie Pottier(le vendredi 27 novembre 2009)
http://www.challenges.fr/actualites/monde/20091127.CHA9448/herman_van_rompuy_est_un_bon_choix.html
Actualités Challenges < Monde 02.12.2009 | 19:12
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"Herman Van Rompuy est un bon choix"
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Ancien ministre de l'Economie et des Finances (1981-1984) et président de la Commission européenne (1985-1995), Jacques Delors est le fondateur du think tank Notre Europe et est aujourd'hui éditorialiste pour Challenges.
José Manuel Barroso vient de finaliser la composition de la nouvelle Commission européenne. Quel souvenir gardez-vous de ce moment, quand vous occupiez son poste ?
- Mon prédécesseur [le Luxembourgeois Gaston Thorn, président de 1981 à 1985, ndlr] avait eu la pire difficulté à répartir les portefeuilles et les missions, au point qu'on avait surnommé ce moment "la nuit des longs couteaux", avec des coups de fil des capitales pour faire pression sur le président de la Commission... Il n'était pas question pour moi d'agir ainsi: quelques mois avant d'être nommé, j'ai rencontré en tête à tête chaque commissaire puis je les ai réunis et j'ai proposé la répartition des postes. Lorsque j'ai pris mes fonctions, début janvier 1985, l'équipe était prête à travailler.
Quels sont les portefeuilles les plus importants actuellement ?
- On cite toujours les mêmes: le Marché intérieur et les services financiers, la Concurrence, les Affaires économiques et monétaires, l'Agriculture... Sans oublier le portefeuille qu'occupait Jacques Barrot, la Justice, qui prend de plus en plus d'importance.
On a l'impression qu'avec la crise économique et financière, la Commission s'est quelque peu effacée derrière le Conseil des ministres...
- Je pense que cela remonte à plus loin, à la volonté des grands pays de marginaliser la Commission. La Commission avait, avant même le début de la crise financière, accepté dans une certaine mesure cette marginalisation.
Or, on sait bien que nos chefs de gouvernement ne se lèvent pas tous les matins en pensant à l'Europe: cela, c'est le rôle de la Commission. Son président doit être au service des chefs de gouvernement: plus il leur rend des services en rapprochant les points de vue ou en tenant compte de difficultés nationales, plus il est écouté et peut faire des propositions.
Comment jugez-vous la nomination d'Herman Van Rompuy à la présidence stable de l'UE ?
- Je suis absolument en désaccord avec les critiques qui ont été faites, certaines méprisantes, d'autres ignorant la réalité de l'Union, qui n'est pas les Etats-Unis d'Amérique. Pour la présidence, je plaidais pour un chairman plutôt qu'un executive president [un président arbitre plutôt qu'en charge de l'opérationnel, ndlr] dont le risque aurait été qu'il en fasse trop et provoque des tiraillements avec les institutions.
Je ne peux qu'être satisfait du choix d'Herman Van Rompuy, un homme fin, de grande culture, dans la tradition belge d'engagement européen. Je pense qu'il essaiera de rapprocher les points de vue, de faire en sorte que le système soit plus flexible et que les décisions soient prises plus rapidement. C'est un bon choix.
Et celui de Catherine Ashton pour les Affaires étrangères ?
- La presse a expliqué pourquoi on l'avait choisie, avec une sorte de négociation entre certains Etats. C'est un poste extrêmement délicat, avec une personnalité qui vient d'un pays qui a eu une position différente de l'Allemagne et de la France au moment de la guerre en Irak, ce qui constitue un test. De plus, elle aura la responsabilité très importante de créer le service diplomatique commun entre les fonctionnaires des différents pays et de la Commission. Elle a un rôle extrêmement important et j'espère que certains ne s'en mordront pas les doigts un jour.
Vous inquiétez-vous, comme certaines personnalités, du peu d'intérêt apparent de Barack Obama pour l'Europe ?
- Le dire reviendrait à instruire un procès sans pièces à conviction. La puissance américaine est toujours là, c'est plutôt à l'Europe de s'affirmer: il ne faut pas qu'oublier qu'au moment de la deuxième guerre d'Irak, les Etats-Unis l'ont trouvé divisée, ou que quand les pays de l'Est sont sortis du communisme, ils avaient plus d'attrait pour l'Alliance atlantique que pour la CEE.
L'Union doit asseoir son influence sur trois points: ses relations avec les Etats-Unis, avec la Russie et avec les pays pauvres. Si l'on arrivait à surmonter les désaccords sur l'énergie nucléaire, une communauté européenne de l'énergie, par exemple permettrait d'aboutir à un vrai marché, d'assurer la sécurité des approvisionnements et d'avoir une action commune de politique étrangère vis-à-vis de la Russie, en mettant fin au ballet des chefs de gouvernement auprès de Dmitri Medvedev et de Vladimir Poutine.
Propos recueillis par Jean-Marie Pottier
(le vendredi 27 novembre 2009)
[Regarder un extrait vidéo de l'interview de Jacques Delors
http://www.challenges.fr/actualites/20100217.CHA1487/?xtmc=delors&xtcr=5
Actualités Challenges < Monde 24.02.2010 | 11:39
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La Grèce, une sonnette d'alarme pour l'Union monétaire
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Chronologie de la crise financière grecque
L'AFFAIRE grecque met à l'épreuve la solidarité entre les pays membres de l'Union économique et monétaire (UEM), mais, plus encore, elle illustre les lacunes de celle-ci. Lors du bilan des 10 ans de l'euro, j'avais rappelé, une fois de plus, que la monnaie européenne protège les pays membres, mais ne les stimule pas. Bien plus, elle les protège même de leurs bêtises. Pourquoi en est-il ainsi? Pour répondre, il n'est pas inutile de revenir en arrière.
En 1988, dans une de ces rares périodes d'euphorie qu'a connue l'Union européenne, le Conseil européen décide de mettre à l'étude la monnaie unique. Il me demande à cette fin de présider un comité composé des gouverneurs de banques centrales et de personnalités qualifiées. Ce rapport est adopté en juin 1989 par le Conseil européen. Il expose les conditions, les étapes et les structures d'une UEM. Il consacre plus de place à l'économique qu'au monétaire. Ainsi, la partie économique devrait comprendre quatre éléments fondamentaux: le marché unique, une politique de concurrence, des politiques communes visant à l'ajustement structurel et le développement régional, une coordination des politiques économiques comprenant des règles budgétaires contraignantes. Le traité de Maastricht reprit les grandes lignes du rapport Delors, mais, bien entendu, laissa le soin au Conseil européen de décider des modalités de mise en œuvre.
C'est en 1997 que se décida le sort de l'UEM. J'avais plaidé depuis la ratification du traité pour un équilibre entre l'économique et le monétaire. Alors que s'élaborait un pacte de stabilité monétaire, je proposai, redevenu simple militant européen, un pacte de coordination des politiques économiques nationales. J'avais pris soin de ne pas utiliser la formule d'un gouvernement économique, connaissant, d'une part, l'allergie allemande et néerlandaise à cette proposition, et, d'autre part, le fait que l'UEM n'est pas une organisation de type fédéral.
Curieusement, les dirigeants français de l'époque, le président Chirac et le Premier ministre Jospin, se contentèrent d'un changement de nom du pacte. On ajouterait "croissance" au pacte de stabilité monétaire, en oubliant le contenu d'une coopération économique. Ah, le minimalisme des responsables politiques français! Qu'il est bon de parler, dans les déclarations politiques, de gouvernement économique pour, ensuite, se contenter d'un mot, le mot étant plus facile à prononcer que la chose à obtenir.
Non pas que je considère inutile ou paralysante l'application de règles budgétaires. Au contraire. Mais elles ne sont pas suffisantes pour assurer une croissance riche en emplois dans la stabilité des prix. D'une part, comme le souligne l'ancien directeur général du FMI, Jacques de Larosière, "durant ces dix dernières années, les banques centrales ont négligé la stabilité financière au profit d'une conception plus simple de la politique monétaire". Soit une politique axée sur la seule stabilité des prix. L'Eurogroupe n'a donc pas vu venir la formation de bulles et l'expansion exagérée du crédit. D'autre part, l'absence de coordination des politiques macroéconomiques ne permettait pas d'optimiser la croissance, ni d'amortir les conséquences d'une récession.
Le train de l'UEM a donc embarqué, comme on dit, des passagers clandestins: d'un côté, les pays qui laissaient aller le crédit et gonfler les bulles ; de l'autre, l'Allemagne, qui profitait, pour ses exportations, d'une conception si peu exigeante en matière d'harmonisation des règles et des coûts.
Il aura fallu la spéculation contre la Grèce pour que l'on évoque à nouveau la nécessité d'un gouvernement économique. Mais encore n'en est-il question qu'au niveau des Vingt-Sept, sans plus de précision. Encore des mots qui n'engagent à rien. Alors qu'une forme de gouvernement économique s'impose dans le cadre plus contraignant d'une union de seize pays liés par une monnaie. Or la construction européenne souffre d'annonces de nos chefs... non suivies d'effet. Il serait cruel d'en faire la liste depuis quinze ans.
Rappelons que l'Union ne dispose même pas d'une capacité d'emprunt en son nom, toujours refusée par une majorité des pays membres. Cette proposition figurait dans le Livre blanc que j'avais présenté au Conseil européen de décembre 1993, et qui avait été approuvé. Il s'agissait notamment de financer de grands programmes européens d'infrastructures, générateurs de compétitivité, de croissance et d'emplois. La même proposition fut renouvelée en 2008 sous la forme d'eurobonds, ce qui aurait permis de soulager, à un moindre coût, les pays en difficulté. Tout en montrant la solidité de notre Union.
Je n'ignore pas la clause de "no bail out" qui figure dans les traités. Mais puisque le Conseil européen a manifesté sa "solidarité politique" avec la Grèce, l'Union risque d'être amenée à des formes de soutien financier bien moins orthodoxes que ceux qu'auraient permis des prêts venant du placement des eurobonds. Et comme il vaut toujours mieux prévenir que guérir, il n'est pas trop tard pour mettre enfin l'UEM sur ses deux jambes: l'économique et le monétaire.
par Jacques Delors, éditorialiste à Challenges, jeudi 18 février 2010.