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Eloge de l'Assemblée Nationale du député Jean-Paul Charié, mort le 3 novembre 2009
http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2009-2010/20100097.asp#P441_93222
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Éloge funèbre de Jean-Paul Charié
M. le président. Madame, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent), c’est avec infiniment de tristesse et d’émotion que nous avons appris la mort, le 3 novembre dernier, de notre collègue et ami Jean-Paul Charié.
Pour la République, Jean-Paul Charié était un serviteur passionné. Pour le Parlement, un député exemplaire. Pour ceux qui l’ont connu, il restera un homme de cœur, aimé et respecté. À tous, il manquera, et manque déjà, à la mesure de son remarquable engagement public, profondément humain.
Ce sens de l’engagement, Jean-Paul Charié le cultive dès son plus jeune âge aux côtés de son père, Pierre Charié, figure de la Résistance et député du Loiret de 1958 à 1973. À cette école de la République, il découvre et embrasse des convictions gaullistes qui le guideront toute sa vie au service de la France et de l’intérêt général.
Pour Jean-Paul Charié, la valeur n’attend pas le nombre des années : né en 1952 à Égry, il est chef d’entreprise à vingt-quatre ans à peine, prenant la tête du Courrier du Loiret. C’est à vingt-neuf ans, en 1981, qu’il est élu député du Loiret : il devient, avec François Fillon, le benjamin de l’Assemblée nationale. Tous deux, à ce titre, entourent le doyen d’âge, Marcel Dassault, lors de la cérémonie d’ouverture de la septième législature de la Ve République.
Jean-Paul Charié ne quittera plus les bancs du Palais Bourbon : le talent et la passion qui l’animent lui vaudront d’être réélu sans discontinuité pendant vingt-huit ans. Cette confiance renouvelée à chaque élection n’est au fond guère surprenante, tant Jean-Paul Charié était investi dans son mandat, un mandat unique auquel il consacrait toute son énergie.
À l’Assemblée, il gagne rapidement l’estime de tous, bien au-delà de sa famille politique, par son assiduité, son sérieux, son exigence. Dès son entrée au Parlement, il se consacre aux questions liées au commerce et à la distribution, privilégiant toujours des méthodes d’écoute et de concertation. Très vite, il devient, en ces domaines essentiels au plan sociologique, politique et économique, la référence parlementaire incontestée.
Pendant vingt-huit ans, Jean-Paul Charié restera l’un des piliers de la commission de la production et des échanges, rebaptisée commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, dont il assure le secrétariat à partir de 2008. C’est là, en particulier, qu’il défend sans relâche le petit commerce, l’artisanat et les petites et moyennes entreprises, convaincu que les valeurs de travail et de proximité sont le ciment de tout projet de société.
C’est dans cet esprit qu’il préside, en 1999, la mission d’information sur l’évolution de la distribution, puis, de 2002 à 2007, le groupe d’études parlementaire sur les petites et moyennes entreprises.
Soutenant une économie loyale, à taille humaine, il préside ensuite le groupe d’études sur l’artisanat et les métiers d’art, ainsi que la commission d’examen des pratiques commerciales.
C’est tout naturellement qu’il est nommé, en 2008, rapporteur d’un des textes phares de notre législature : la loi de modernisation de l’économie. C’est en son nom, et en hommage à sa contribution décisive, que la commission des affaires économiques et son président, Patrick Ollier, mèneront à son terme le rapport de contrôle d’application de cette loi, dont les conclusions devraient être rendues très prochainement.
Chargé, l’an dernier, par le Premier ministre d’une mission sur l’urbanisme commercial, Jean-Paul Charié remet un rapport dont le titre seul pourrait résumer ses préoccupations : « Avec le commerce, mieux vivre ensemble ».
C’est du Loiret, auquel il était si profondément attaché, que lui vient cette conviction. Pour les électeurs de sa circonscription de Pithiviers, il est d’abord le défenseur des « petits ». Chaleureux, généreux, direct, il s’implique sans réserve à leurs côtés. Son soutien n’a jamais manqué aux commerçants ou aux agriculteurs. Il n’a jamais manqué à quiconque pouvait être en difficulté : face à la montée du chômage, par exemple, il n’hésite pas à créer une association d’aide au retour à l’emploi. C’est à l’aune de son écoute et de sa disponibilité que tous regrettent aujourd’hui l’enfant du pays.
Gaulliste convaincu, Jean-Paul Charié ne transigeait pas sur les valeurs républicaines, au premier rang desquelles l’équité, la justice, la dignité. Ce sont elles qui donnaient le ton de toutes ses interventions. « Ma finalité, disait-il, c’est de servir une société de progrès pour l’homme. » Car c’est bien de l’homme que nous parlons, de l’homme qu’il plaçait toujours au centre de son action, mais surtout de l’homme qu’il était : un homme droit et courageux jusque dans son dernier combat contre la maladie, et qui, jusqu’au bout, a rempli son mandat. Un homme de convictions qui savait fédérer et inspirer ceux qui l’écoutaient, par sa voix et ses talents d’orateur inoubliables ; un homme aussi d’une grande gaîté qui avait toujours un sourire, une attention pour chacun : « Le sens de la vie se trouve seulement dans l’ordre du cœur », disait-il.
Pour le général de Gaulle, « la mort n’a d’importance que par ce qu’elle nous fait penser de la vie ». La vie de Jean-Paul Charié, c’est cette grande leçon de cœur, d’engagement, de détermination et de courage, jusqu’aux derniers instants. Nous ne l’oublierons pas.
À vous, madame, à ses enfants Anne-Carole et Romain, à toute sa famille, à ses amis, à ses compagnons et amis du groupe parlementaire majoritaire, j’adresse, au nom de tous les députés de l’Assemblée nationale et en mon nom personnel, mes condoléances attristées.
La parole est à M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, chère madame, de nouveaux défis se présentent, une nouvelle année de travaux législatifs s’annonce, et un ami manque à l’Assemblée pour les aborder.
Jean-Paul Charié, député de la cinquième circonscription du Loiret, nous a quittés le 3 novembre dernier. Sa mort a provoqué la plus vive émotion chez tous ceux qui, comme nous, ont eu le bonheur de faire une partie du chemin de vie avec lui, que ce soit sur les bancs de l’Assemblée nationale ou dans son cher département du Loiret.
Le jour de ses funérailles, à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire où nous étions un certain nombre à partager l’émotion d’une foule immense, j’entendais Éric Doligé, président du conseil général du Loiret, rendre hommage à « un homme au caractère entier, doublé d’un grand cœur ». Éric Doligé évoquait toutes les occasions dans lesquelles l’élu enraciné révèle son véritable tempérament : les cérémonies de toute nature – très nombreuses –, les réunions publiques, les séances de travail, la tenue des permanences.
Certains se prêtent aux manifestations de la vie locale par devoir ou par habitude, mais cela se sent et cela se voit. Jean-Paul Charié y mettait d’autant plus d’énergie et de naturel que son propre vécu l’associait à chaque projet du Gâtinais. Sa personnalité séduisait et rassemblait. Son rayonnement fixait pour beaucoup la poésie du quotidien. Son engagement politique a marqué d’une manière mémorable la vie parlementaire de notre pays ces trois dernières décennies. J’en veux pour preuve que, mieux que d’autres, il savait de quelle histoire les chantiers du département du Loiret procédaient ; il les avait lui-même désirés et portés parfois depuis trente années.
Ainsi, quand un musée de la Résistance et de la Déportation s’ouvrait à Lorris, il y déposait, comme un tribut de fidélité, quelques souvenirs ayant appartenu à son père. Par ailleurs, quand le chantier de l’autoroute A 19 s’achevait à Fontenay-sur-Loing, en juin dernier, il surmontait encore sa fatigue pour conclure par un discours retentissant, dont nous avons gardé le souvenir, plusieurs décennies d’études et de négociations. De même, de 1975 à 2003, cet excellent orateur avait placé le Courrier du Loiret qu’il dirigeait au service de l’animation et du débat local.
Jean-Paul Charié est né à Égry, petite commune rurale du canton de Beaune-la-Rolande, au sein d’une famille qui a su lui transmettre les valeurs de la République et de la démocratie : il y apprit le sens de l’engagement et du labeur.
C’est avec fierté et admiration qu’il portait son regard sur son père – le commandant Pierre Charié –, figure emblématique de la Résistance dans le Loiret, chef de réseau pendant cette période douloureuse.
L’engagement politique de son père, élu député du Loiret en 1958, alors que Jean-Paul était bien jeune encore, a très certainement marqué son enfance, bercée par les réunions publiques, les inaugurations, les contraintes et le travail d’un député. Il hérita de son père, qui siégea sur ces bancs jusqu’en 1973, le formidable sens de la proximité, qu’il a su développer avec ses administrés du Loiret, ainsi que ses qualités humaines si nombreuses et généreuses qui le rendaient tellement précieux à leurs yeux.
À pareille école, l’inclination de Jean-Paul Charié pour l’intérêt général et la chose publique ne pouvait que se développer. La personnalité du général de Gaulle et les valeurs attachées au gaullisme achevèrent d’ailleurs de forger ses convictions. Répondant à l’appel des habitants de la cinquième circonscription du Loiret, il décida de se présenter aux élections législatives de 1981, prenant le parti de continuer à cultiver le sillon creusé par son père. Brillamment élu à l’âge de vingt-neuf ans, il siégea pendant vingt-huit années au Palais Bourbon, empli du respect que lui a toujours inspiré cette institution, et animé d’un sens du devoir sans égal, dont il ne se départit jamais.
Nous n’avons, à l’évidence, pas tous suivi Jean-Paul Charié dans les rues de Fleury ou de Pithiviers, saluant, écoutant, encourageant, défendant ses convictions auprès de chacun, mais tous, au sein de l’Assemblée nationale, vous avez reconnu sa compétence, son autorité et sa gentillesse. Dès son premier mandat, il avait manifesté une connaissance exacte des problématiques de l’artisanat, du commerce et des petites et moyennes entreprises.
Six fois réélu, toujours fidèle à ce mandat de député dans lequel il s’investissait sans compter, il avait élevé cette connaissance au niveau d’une véritable expertise. Auteur de rapports majeurs sur la loyauté des pratiques commerciales, Jean-Paul Charié était devenu, au gré des missions que la représentation nationale avait su lui confier, le spécialiste de questions aussi actuelles que la compétitivité numérique des entreprises, l’urbanisme commercial, le développement des foires et salons français, la refonte des rapports entre fournisseurs et distributeurs.
Rapporteur de la loi de modernisation de l’économie, il avait occupé dans ce cadre la présidence de la commission d’examen des pratiques commerciales dont il avait inspiré la création. Vingt ans durant, les majorités successives, ici même, ont salué son pragmatisme et son sens du bien commun en le choisissant comme rapporteur spécial du budget des PME.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, au plus dur de ses dernières épreuves, Jean-Paul Charié travaillait encore à réformer le code de l’urbanisme commercial pour rendre l’initiative aux élus et pour restaurer la diversité commerciale au cœur de nos villes. Durant l’automne dernier, il réunissait encore fournisseurs, distributeurs, partenaires institutionnels, autour d’un pacte de bonnes relations dont il achevait la synthèse.
Au cœur de la crise économique et financière, il luttait toujours pour défendre la libre concurrence et ses vertus, mais aussi pour rapprocher intelligemment les entreprises du monde politique par le décloisonnement de leurs cultures.
Ces combats ne disparaissent pas avec lui. Je sais que l’Assemblée nationale aura à cœur de les poursuivre.
Lors de la cérémonie de ses funérailles, je rappelais les mots du général de Gaulle que Jean-Paul Charié affectionnait tant. Il disait en substance que le destin de la France évoquait en lui l’héritage du passé, les obligations du présent et l’espoir de l’avenir. Aujourd’hui, de nouveau, je tiens à rappeler au nom du Gouvernement que l’héritage du passé, Jean-Paul Charié a su l’assimiler et le faire fructifier en honorant de son engagement la représentation nationale ; qu’aux obligations du présent, Jean-Paul Charié ne s’est jamais soustrait, mais qu’il y a toujours fait face avec lucidité, courage et sens du devoir ; que l’espoir de l’avenir, enfin, s’est lu dans chacun des combats politiques qu’il a menés et qui nous inspireront. Puissions-nous, chacun à notre manière, les poursuivre sans relâche.
À vous, madame, à vos enfants, à votre famille, je veux redire au nom du Gouvernement la part que nous prenons à la peine légitime que vous éprouvez. Je veux aussi exprimer au groupe auquel il appartenait, à la commission dans laquelle il siégeait, tous les sentiments que les membres du Gouvernement ressentent en cet instant.
Au nom du Gouvernement de la République française, je veux, simplement, mais solennellement, rendre à Jean-Paul Charié l’hommage de la France reconnaissante.
(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent une minute de silence.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures vingt.)