L’Union des démocrates et indépendants vient de naître. Entre une renaissance anachronique et nostalgique de l’UDF et la création d’un mouvement moderne propre aux enjeux du XXIe siècle, le capitaine Jean-Louis Borloo devra tenir le cap de la crédibilité et de la mobilisation. Première partie.
Je me suis rendu à l’assemblée constituante de l’UDI, Union des démocrates et indépendants, ce dimanche 21 octobre 2012 à la salle de la Mutualité, rue Saint-Victor à Paris. L’enjeu était très important et je pense que la mission de cette première grande réunion politique a été remplie. La création effective a eu lieu le 18 septembre 2012.
Je reconnais avoir émis quelques réticences et réserves sur la formation de l’UDI, en préparation depuis juillet 2012. Si l’idée d’origine me paraît solide, celle de regrouper dans un seul et même parti tous les centristes et baser ce parti sur des lignes programmatiques fortes (l’Europe, la décentralisation, la discipline budgétaire, la compétitivité des entreprises, la justice sociale, la préoccupation écologique, entre autres), il me semblait que la simple addition de tous les mouvements actuels, parfois groupusculaires, se réclamant du centre n’était pas forcément la meilleure méthode.
Ils étaient là, d’ailleurs, ces mouvements : le Parti radical valoisien de Jean-Louis Borloo et de Rama Yade, le Nouveau centre d’Hervé Morin, la Force européenne démocrate de Jean-Christophe Lagarde, l’Alliance centriste de Jean Arthuis, la Gauche moderne de Jean-Marie Bockel et deux ou trois autres mouvements non médiatiquement identifiables (le CNIP de Gilles Bourdouleix, "Territoires en mouvenement" du député-maire de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe Fromantin et des groupes d’outremer, "Calédonie ensemble" et "Tahoeraa huiraatira").
Le ciment a pris !
Pourtant, à l’évidence, il s’est produit quelque chose ce dimanche midi. La sauce a pris, pourrait-on dire. Plus de trois mille personnes se sont rendus à la Mutualité, parfois de très loin, et non seulement la grande salle était remplie, mais également les salles du dessus retransmettant les débats sur écran géant. Yves Jégo, député-maire de Montereau et grand ordonnateur de la cérémonie, retransmise aussi en direct sur LCP, s’émerveillait que parallèlement, plus de trois mille internautes suivaient les débats depuis leur ordinateur.
Cette très forte mobilisation, cette très forte participation, elle est due avant tout à un grand besoin, celui de l’existence d’une formation politique de centre droit. Ce besoin était d’autant plus grand, au fil de ces dix dernières années, que l’UMP s’est droitisée de plus en plus avec Nicolas Sarkozy et que le MoDem, fils légitime de l’UDF, s’est, lui, au contraire, gauchisé avec François Bayrou. Or, l’échec respectif de ces deux leaders à l’élection présidentielle de 2012 les a rendus absents du jeu politique, pour le moment (on ne peut jamais rien savoir de l’avenir) mais c’est un fait nouveau depuis 2002 ! Ce qui permet aux initiatives de se réaliser hors du contexte de Nicolas Sarkozy et de François Bayrou.
Ayant soutenu les candidatures présidentielles de François Bayrou depuis 2002 (déjà à l’époque, il avait mis en garde comme la dette publique qui filait), je regrette évidemment que le rassemblement des centres ne se réalisent pas avec la réunion de François Bayrou et de Jean-Louis Borloo dans une même formation. Les deux le justifieront en parlant de « projets différents » mais nul doute que la psychologie humaine a sa part dans l’affaire.
Je l’ai déjà beaucoup évoqué dans le passé, mais l’expérience du printemps 2012 a été encore plus démonstrative : il n’y a pas d’alliance possible des centristes avec la gauche pour la simple raison que la gauche n’en veut pas. Cela pourrait d’ailleurs être une erreur cruciale pour François Hollande (j’en reparlerai) mais c’est une réalité et la conséquence, c’est que la stratégie d’isolement de François Bayrou n’est plus tenable. Apparemment, ce dernier ne semble pas encore l’avoir bien compris malgré sa défaite personnelle dans sa circonscription.
Le barrisme n’est pas encore mort !
Ce dimanche, des signes ne trompaient pas. J’ai d’ailleurs retrouvé beaucoup d’anciens UDF dans cette assemblée, et même, des barristes, ce qui me réjouit même si je conçois que le barrisme en 2012 ne peut plus rien signifier en terme d’avenir politique ! Raymond Barre fut le dernier Premier Ministre à avoir équilibré un budget de l’État. C’est peut-être maintenant qu’il faudrait lui ériger une statue, celle de l’orthodoxie budgétaire qui a volé en éclat par tous ses successeurs, tous partis confondus, aux profits de tous les clientélismes électoraux et démagogiques.
Parmi ces signes concrets, il y a que c’est un véritable rassemblement. L’UDI ne sera pas seulement l’addition sans intérêt d’appareils politiques commodes en vue d’une syndicalisation d’élus indépendants (comme le fut le Nouveau centre). Non, il s’agit d’un mouvement de fond bien plus profond. D’abord, il y a les valeurs et le projet (j’en reparlerai à la suite), notamment le principe de ne plus avoir l’Europe honteuse, un élément fort de l’UDI. Ensuite, il y a un phénomène d’attraction qui s’est réalisé dès ce 21 octobre, venu des deux côtés de l’échiquier politique.
Des élus du MoDem et de l’UMP rejoignent l’UDI
D’une part, quelques élus éminents du MoDem sont venus à la Mutualité. Le principal, le sénateur d’Arras Jean-Marie Valerenberghe, vice-président du MoDem, était heureux de rappeler sa fidélité à François Bayrou mais a admis que la réunion des centristes devenait plus que jamais nécessaire dans le contexte politique où le PS fonce dans un mur et l’UMP s’effondre dans une surenchère de la droitisation décomplexée.
D’autre part, il y a eu l’arrivée surprise de l’ancienne Ministre de l’Écologie, actuelle sénatrice de Paris, Chantal Jouanno qui a quitté l’UMP pour rejoindre Jean-Louis Borloo (sans nul doute avec comme horizon, les municipales à Paris en mars 2014). D’autres parlementaires de l’UMP ont aussi adhéré à l’UDI, comme Henri Plagnol (dont l’élection vient d’être invalidée pour une erreur mineure) et Christine de Veyrac (députée européenne).
Des "témoins" de haute volée
En outre, il y a eu aussi la venue de certaines personnalités de premier plan comme l’ancien Premier Ministre belge Guy Verhofstadt, ami de longue date de François Bayrou et se rendant régulièrement à ses invitations, l’ancien ministre gaulliste et actuel commissaire européen Michel Barnier (par ailleurs, ancien rénovateur), l’ancien Ministre des Finances Thierry Breton (maintenant président d’Atos, à la tête de 90 000 ingénieurs, très discret dans les médias), et aussi l’ancien commissaire général du grand emprunt René Ricol (dont le successeur, Louis Gallois, va avoir du mal à vendre auprès de la gauche son rapport sur la compétitivité).
Absent de la réunion mais présent en pensée, l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing s’est évertué à refaire le coup de l’allocution dans un bureau chic (faisant oublier son "au revoir" ?) pour rappeler les principes qui l’ont amené à créer l’UDF en 1978 et pour souhaiter bonne chance à l’UDI. Un encouragement d’autant plus précieux que l'académicien Valéry Giscard d’Estaing est désormais silencieux dans le débat politique depuis plusieurs années.
Séquence émotion avec…
Enfin, le moment le plus émouvant fut sans doute juste avant le discours de clôture de Jean-Louis Borloo. Jean-Louis Borloo montrait à l’évidence des signes de stress pendant toute la matinée, l’enjeu pour lui était assez important. Il s’est pourtant éclipsé pour revenir avec la musique triomphante, mais ce n’était pas pour lui, l’arrivée de la vedette américaine. Au contraire, si lui arrivait effectivement, il n’était pas seul et il laissait la première place à celle qui est devenue la marraine de l’UDI, à savoir… Simone Veil, 85 ans, académicienne, ancienne ministre et ancienne première Présidente du Parlement européen.
Bien que visiblement fatiguée, Simone Veil a tenu en effet à faire le déplacement pour assister à la naissance de l’UDI. Dès le début de l’été, elle avait beaucoup encouragé Jean-Louis Borloo, son ancien numéro deux sur sa liste aux élections européennes de juin 1989, à faire cette nouvelle formation politique qui manquait tant au pays. J’imagine aussi, car il me faut être objectif, que Simone Veil a sans doute eu l’arrière-pensée que la réussite de l’UDI signerait la mort du MoDem et également, le retrait définitif de François Bayrou dont elle voue une haine qui va bien au-delà des options politiques.
L’émotion, c’est évidemment que Simone Veil, très faible, était présente, l’œil toujours brillant des espoirs sans mesure, alors qu’elle n’avait jamais été partie prenante dans aucun parti jusqu’à maintenant. À ses côtés, plutôt rocardien, son mari Antoine Veil était également présent, ce qui est, à ma connaissance, sans précédent puisqu’il avait toujours voulu resté discret jusqu’à maintenant pour les choses politiques. Ce serait d’ailleurs très intéressant de lire une enquête sur l’influence du couple Veil dans la vie politique, tant à gauche qu’à droite.
Sa présence a donc été un signe marqueur fort pour soutenir l’UDI et Jean-Louis Borloo qui, évidemment, ne pourrait jamais se permettre d’être un "homme guide" comme le furent les différents présidents de l’UMP ou le président du MoDem.
Pas de culte de personnalité : avant tout, le projet et les élections
Jean-Louis Borloo va devoir faire attention à la susceptibilité de ceux qui lui ont fait confiance, mais il a déjà averti qu’il ne se préoccuperait pas d’un dosage des différentes composantes, car la règle de l’UDI sera un homme (ou femme), une voix. Cela peut paraître évident, mais c’est ce qui avait tué en partie l’UDF avant 1998 : la confédération centriste avait vécu pendant vingt ans (1978-1998) à l’époque d’avant-le-serment du Jeu de Paume dans la mesure que seuls comptaient les différentes composantes sans tenir compte de leur poids respectif réel dans l’opinion publique.
Si l’unité de lieu était tout un symbole, quelques ténors ayant fait remarquer que la Mutualité était une salle de grande camaraderie, l’unité de temps a sans doute été déterminante dans le succès de ce lancement : d’une part, une majorité socialo-écolo en pleine débandade non seulement dans l’opinion publique, mais également sur des sujets déterminants de la vie nationale ; d’autre part, une opposition supposée menée par l’UMP en pleine expectative et qui attend fébrilement l’issue du match entre Jean-François Copé et François Fillon (j’y reviendrai).
L’UDI a pour ambition de regrouper les républicains, européens, laïcs, patriotes, indépendants et démocrates et va s’activer dans deux directions, la mise en forme d’un projet national (prévu pour juin 2013) et la préparation des deux prochaines échéances électorales, les municipales de mars 2014 et surtout, les européennes de juin 2014 où l’UDI pourra se mobiliser pour peser dans le paysage politique. François Bayrou a d’ailleurs estimé sur France Inter le soir du 21 octobre 2012 qu’il n’excluait pas des listes communes MoDem-UDI aux européennes. Quant à Jean-Louis Borloo, il n’exclut pas une dissolution, une victoire de l’UDI et sa désignation à Matignon, un peu à la manière Mendès France. Il peut toujours rêver...
Dans d’autres articles sur l’UDI, je reviendrai sur plusieurs thèmes qui me sont chers, en particulier le thème de la construction européenne et celui de la compétitivité des entreprises.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 octobre 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La famille centriste.
À qui appartient l’UDF ?
Les chapelles du centre.
Centre pour la France.
Le MoDem.
Le Nouveau centre.
François Bayrou.
Jean-Louis Borloo.
Valéry Giscard d’Estaing.
Hervé Morin.
Simone Veil.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/oui-a-l-udi-1-construire-une-124647
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