Selon le commissaire européen Michel Barnier, c’est une « décision historique ». Le brevet unique européen est un acte fondateur et un nouveau pas dans une Europe de la propriété intellectuelle et donc, dans une Europe de la compétitivité.
Cela aurait dû être l’information de la semaine à placer en une, mais ce n’est pas très sexy pour la société du spectacle médiatique. Le brevet unique européen est enfin né cette semaine. Il a mis trente-neuf ans de gestation ! Le conseil des ministres a validé l’accord le 10 décembre 2012 (le jour où l’Union Européenne recevait son Prix Nobel de la Paix à Oslo) et le Parlement européen l’a largement approuvé le 11 décembre 2012. C’est une grande victoire pour l’innovation juste avant le Conseil européen de ces 13 et 14 décembre 2012.
De quoi s’agit-il ? D’un accord entre vingt-cinq pays de l’Union Européenne pour accepter le principe d’un brevet unique qui serait reconnu sur l’ensemble du territoire des pays signataires. Une seule procédure et surtout, car c’est cela qui est essentiel, une seule langue parmi les trois officielles suivantes : anglais, français et allemand.
C’est d’ailleurs à cause de ce point crucial (les langues) que l’Italie et l’Espagne ont refusé de signer l’accord, considérant que l’italien et l’espagnol devaient faire partie de ces langues principales. Rien n’empêchera d’ailleurs ces deux pays de rejoindre les signataires dans quelques mois ou année, comme le propose le Traité de Lisbonne. L’accord sera mis en application à partir du 1er janvier 2014.
L’autre point délicat qui a mis longtemps à trouver un compromis, c’est le lieu physique pour le siège de ces brevets européens. La discussion tournait autour de trois grandes places économiques : Londres, Paris et Munich qui est déjà le siège de l’Office européen des brevets (European Patent Office). L’accord de principe sur le siège était intervenu au cours du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012.
Finalement, l’accord ressemble un peu à un jugement de Salomon : la Cour européenne du brevet européen, à savoir la juridiction chargée de juger les litiges des entreprises, sera installée à Paris, pour son siège et le bureau de son président, mais l’administration sera établie à Munich. Des chambres spécialisées seront implantées dans les trois villes : le textile et l’électricité à Paris, la métallurgie, la chimie et la pharmacie à Londres et l’ingénierie et la mécanique à Munich. Ce compromis a incité le Premier Ministre britannique David Cameron à conclure les négociations car les domaines attribués à Londres correspondent aux dépôts les plus nombreux, ce qui avantage la Grande-Bretagne.
La décision marque la fin d’un long processus qui a commencé avec la Convention de Munich sur le brevet européen (signature intervenue le 5 octobre 1973, mise en application le 7 octobre 1977) qui avait institué un accord entre plusieurs pays européens (trente-cinq au 1er avril 2009) mais n’avait pas fait naître de brevet unique.
Les dépôts de brevet unique européen se feront donc auprès de l’Office européen des brevets à Munich qui a enregistré 250 000 demandes en 2011 dont un tiers provenant de l’Asie. Pour instruire chaque demande, l’office utilisera ensuite l’une des trois langues officielles.
Concrètement, cela signifie que les frais de dépôt d’un brevet en Europe seront moins élevés et les procédures simplifiées. Il restera cependant coûteux mais une grande partie de ce coût correspondait à la traduction dans la langue du pays du dépôt. Des améliorations très nettes avaient déjà été faites avec le Protocole de Londres (signé le 29 janvier 2008 par la France et entré en vigueur le 1er mai 2008) qui faisait renoncer certains pays à la traduction obligatoire du brevet dans leur langue nationale (à l’époque, c’était la France qui avait bloqué l’accord dans sa défense de la francophonie mais le Président Nicolas Sarkozy l’avait heureusement ratifié pour une question de compétitivité).
La finalisation de cet accord est aussi une petite victoire pour le Commissaire européen chargé du marché intérieur et des services Michel Barnier qui a travaillé un an et demi sur le sujet.
Sur la photographie, on peut l’apercevoir brandissant le brevet d’invention de Louis Pasteur sur le procédé de fabrication de la bière, déposé le 28 juin 1871.
Michel Barnier s’est en effet réjoui de cette décision de faire de l’Union Européenne un territoire unifié pour l’innovation qui va faire considérablement encourager les dépôts de brevets en Europe. Seulement 60 000 brevets sont délivrés chaque année en Europe contre 224 000 aux États-Unis et 172 000 en Chine (statistiques sous réserve de différenciation entre les brevets déposés et les brevets délivrés, fournies soit par "L’Expansion" le 12 décembre 2012, soit par "Le Figaro" le 29 juin 2012).
Pour le commissaire européen, c’est clairement un atout supplémentaire pour augmenter la compétitivité des entreprises innovantes européennes : « Je ne crois pas que nous pouvons nous payer le luxe de ne pas augmenter notre compétitivité. » et a ajouté : « Il va réduire très fortement les coûts de protection. Les entreprises les plus petites vont pouvoir se protéger de la contrefaçon qui détruits des emplois. ».
Sujet très consensuel (les parlementaires européens de gauche et de droite ont ratifié la décision ensemble), Laurence Parisot, la présidente du Medef, a également insisté sur l’étape historique franchie : « C’est le signal fort que les décideurs européens, quand ils en ont la volonté politique, peuvent donner à nos entreprises, en particulier aux PME, les moyens de lutter à armes égales face à leurs concurrents internationaux. ».
Pour rappel, le brevet est une protection essentielle pour toutes les innovations technologiques. Ces dernières sont le seul levier des gisements d’emplois de demain. Il protège les entreprises des éventuels contrefacteurs et leur donne la possibilité d’amortir les frais de recherche et développement par une rente temporaire (vingt années). Dans ces temps de crise, le brevet est donc une arme vitale pour accompagner la stratégie des entreprises et renforcer leur compétitivité.
La définition européenne du brevet est ainsi : « Les brevets européens sont délivrés pour les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle. ». Il y a donc trois conditions : nouvelles (il faut donc que les chercheurs ne s’autoantériorisent pas par des publications scientifiques avant la date du dépôt), activité inventive (donc, pas simplement un accumulation d’anciennes inventions, comme le crayon-gomme), application industrielle (et donc utile à la consommation). En clair, peuvent être brevetés soit un produit soit un procédé. Sont exclus de ce champ de protection juridique (entre autres) les logiciels et tout ce qui est en rapport avec le vivant.
Cette décision du brevet unique européen va donc assurément encourager l’innovation en Europe et renforcer l’emploi. Qui a dit que l’Union Européenne ne s’occupait pas de la vie quotidienne des cinq cent millions de citoyens européens ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 décembre 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La France ratifie le Protocole de Londres (2008).
Renforcer la compétitivité de la France.
Les investissements d’avenir.
L’Union Européenne à Oslo.
http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/acte-de-naissance-du-brevet-unique-127487
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