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8 janvier 2013 2 08 /01 /janvier /2013 07:47

Débat improbable entre Jean-Luc Mélenchon et Jérôme Cahuzac, deux personnalités issues du PS. Au-delà de l’aspect médiatique (débat pris comme un simple spectacle où l’on compterait seulement les coups), quelques vérités se sont révélées, notamment sur les intentions gouvernementales et sur le décalage entre les discours de campagne et les décisions présidentielles.


yartiMelCah01En ce début d’année, la télévision publique a gratifié ses téléspectateurs d’un débat politique inédit. En effet, le lundi 7 janvier 2013, Yves Calvi a reçu dans son émission "Mots Croisés" sur France 2 deux représentants de la gauche diamétralement opposés sur la politique économique à suivre : le Ministre du Budget Jérôme Cahuzac et l’ancien candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc MélenchonIl y a eu, entre les deux, une sorte de bataille d’arrogance si ce n’était une bataille d’ego.

Ce débat, aussi pugnace que le débat entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sur BFM-TV le 14 février 2011, a d’abord été, évidemment, un spectacle médiatique conçu comme tel. Cependant, il m’a paru utile aussi sur le fond à bien des égards. Il a apporté un éclairage particulier à la politique fiscale du gouvernement pour le moins brouillonne ces derniers mois avec l’avalanche de mesures peu populaires (augmentation de l’impôt sur les revenus, augmentation de la TVA) ou suscitant des polémiques bien stériles (taxe de 75% sur les hauts revenus). Il a également complété l’opinion qu’on pouvait avoir de deux personnages clefs de la vie politique actuelle.


La forme

Les médias savent depuis longtemps à quoi s’en tenir quand ils invitent Jean-Luc Mélenchon. Depuis 2008, il se lâche désespérément, arborant parfois un sourire crispé lorsqu’il flirte trop avec les frontières de l’impolitesse. Ce lundi soir, il n’a pas franchi la limite de l’incorrection mais n’a quand même pas hésité à exprimer sa "sainte" colère contre l’appauvrissement d’une certaine partie de la population. On pourrait même devenir admiratif devant sa capacité d’indignation malgré ses presque trente années de vie politique. C’est de toute façon toujours rassurant de savoir que la politique est encore pratiquée par des personnalités capables d’une telle expression orale, ce qui est très rare.

Moins connu, néanmoins aussi voire plus important que son contradicteur, Jérôme Cahuzac est au cœur de la politique budgétaire du gouvernement. On dit qu’il est intraitable avec ses collègues ministres et très dur en négociations, ce qui fait qu’il n’est pas très aimé mais est très efficace. C’est sans doute pour cette raison que le Président François Hollande l’a nommé à ce poste essentiel. Rappelons que le Budget et l’Intérieur sont les deux postes stratégiques pour toute ambition nationale, postes qui ont été occupés par exemple par les deux prédécesseurs directs de François Hollande, même si parfois, ils sont occupés par des "technocrates" plus que des "animaux politiques".

La manière dont Jérôme Cahuzac a tenu face à Jean-Luc Mélenchon a montré très clairement qu’il est passé de l’image de "technocrate" (connaissant très bien ses dossiers) à une image plus politique. Certains l’imagineraient même comme le successeur de Jean-Marc Ayrault à Matignon, alors que son interlocuteur s’est clairement présenté comme le recours pour la majorité socialiste. Cependant, la supposée affaire du compte en Suisse pourrait se transformer en même boulet fatal sur le chemin de Matignon que l’affaire démarrée en juin 2010 sur Éric Woerth, lui aussi destiné comme Premier Ministre après la réforme des retraites de novembre 2010.

Jérôme Cahuzac a su désamorcer toutes les périphrases mélenchoniennes, et en particulier sa colère à propos de la dette. Il a su lui laisser le bénéfice du doute sur sa sincérité et a même admis la justesse de son diagnostic, mais il a fermement réfuté les solutions qu’il proposait avec un sens de la conviction assez affirmé.

Même sur la forme, connaissant la personne, il a su tenir tête "les yeux en face" à celui qu’il a appelé plusieurs fois le "clown" pour répondre à l’insulte de Jean-Luc Mélenchon parlant de Hollandréou et de Cahuzacréou, pour les associer à la gestion désastreuse de la Grèce par le socialiste Georges Papandréou Jr. C’est d’ailleurs là où la verve de Jean-Luc Mélenchon rencontre les limites de la bonne foi : Jean-Luc Mélenchon n’autorise pas aux autres ce qu’il se permet lui-même de faire comme attaque, comme transformer le patronyme de ses contradicteurs.

Malgré le vouvoiement dû à l’espace public (Jean-Luc Mélenchon a quand même parlé d’Arnaud Montebourg en le tutoyant), on imagine sans mal que ces deux personnalités qui se sont côtoyées au parti socialiste pendant plus de vingt ans doivent très bien se connaître, mais cette émission a montré aussi qu’ils ne doivent pas du tout s’apprécier l’un l’autre.


Le fond

Le fond du discours de Jean-Luc Mélenchon n’est pas nouveau puisqu’il est le même depuis le début de la campagne présidentielle. En revanche, sur les propos de Jérôme Cahuzac, en charge du pays, il était très intéressant de noter une nouvelle inflexion. Elle a d’ailleurs été pointée du doigt par Jean-Luc Mélenchon avec insistance.

Jérôme Cahuzac a en effet annoncé que le gouvernement renonçait à une grande réforme fiscale, qui paraît pourtant nécessaire tant les dispositifs apparaissent comme une usine à gaz généralement illisible même pour les meilleurs des fiscalistes. Jean-Luc Mélenchon a eu d’ailleurs cette analogie très bien trouvée que lorsqu’il fallait imaginer un nouveau dispositif fiscal, c’était comme si l’on pêchait avec une épuisette trouée, tant les niches fiscales réduisaient l’efficacité des mesures.

En fait, il ne l’a pas dit comme cela, mais le Ministre du Budget a considéré que la grande réforme fiscale venait d’être adoptée par le Parlement en décembre 2012, en estimant que le fait que réinjecter les revenus du capital dans l’impôt sur le revenu était une mesure révolutionnaire (et en expliquant les 40% d’exonération comme l’équivalent de l’avoir fiscal). Cependant, j’avais entendu parler de la refonte de la CSG dans l’impôt sur le revenu, réforme qui paraît désormais lettre morte. C’était pourtant le premier cheval de bataille du candidat François Hollande dès janvier 2010, à l’époque où il devait se différencier de ses concurrents socialistes en vue de la primaire en se dressant une stature d’homme raisonnable et sérieux.

Il y a eu un sujet pour lequel aucun des deux débatteurs n’a été convainquant, c’est sur leur engagement lors des différents traités européens, en particulier sur les deux principaux, leur position aux deux référendums, en septembre 1992 pour Maastricht et en mai 2005 pour le Traité constitutionnel européen (TCE). Jean-Luc Mélenchon a voté oui à Maastricht et non au TCE tandis que Jérôme Cahuzac a fait exactement l’inverse. Et si Jean-Luc Mélenchon a fait au moins amende honorable en disant s’être trompé en 1992 ("on a cru que", "on nous a faire croire que"… mais qui prouve que Jean-Luc Mélenchon ne se trompe pas encore aujourd’hui ?), Jérôme Cahuzac a justifié de manière alambiquée la cohérence de ses deux votes (non à Maastricht et oui au TCE) alors que, comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon, le Traité de Maastricht était inclus dans le TCE.

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Sur la colère mélenchonienne à propos de la dette publique, Jérôme Cahuzac a en revanche véritablement terrassé l’argumentation de Jean-Luc Mélenchon. Pour ce dernier, la France ne devrait la rembourser que lorsqu’elle le pourrait. Et ce n’est pas avec les 132 milliards d’euros d’impôts supplémentaires (!) qu’a proposés Jean-Luc Mélenchon que l’État pourrait venir à bout de ses 1 800 milliards d’euros de dette. Jérôme Cahuzac a pris l’exemple de l’année 2013 où la France devrait emprunter 169 milliards d’euros sur les marchés internationaux (aujourd’hui, à très faibles taux d’intérêts, parfois même  négatifs !) dont une vingtaine de milliards pour la sécurité sociale. Si la France disait qu’elle ne rembourserait plus la dette, elle ne pourrait plus emprunter d’autres milliards et en définitive, elle ne pourrait même plus payer ses fonctionnaires à la fin de l’année (comme en Grèce). Jérôme Cahuzac en a même profité pour fustiger la volonté de Jean-Luc Mélenchon de recruter 30 000 fonctionnaires par an alors que le gouvernement auquel il appartient a, lui aussi, fait du recrutement massif de fonctionnaires son thème de campagne.

Si Jean-Luc Mélenchon n’est pas à l’abri de nombreuses approximations historiques (vite remis en place par Jérôme Cahuzac, notamment sur la CGS sous François Mitterrand, un Président qui semblait être étrangement répulsif pour les deux débatteurs), il a au moins de la (courte) mémoire et il est toujours étonnant de voir à quel point les journalistes n’en ont pas (en l’occurrence Yves Calvi).

Ainsi, lorsqu’il entendait Jérôme Cahuzac parler du retour de la taxation à 75% des hauts revenus (qui a été rejetée par le Conseil Constitutionnel le 29 décembre 2012 en raison de la "non conjugalisation" de la mesure), Jean-Luc Mélenchon a rappelé avec pertinence que le soir du jour où François Hollande, à la va vite, avait annoncé cette proposition, le 27 février 2012, sur TF1, Jérôme Cahuzac, dans cette même émission de "Mots Croisés" sur la chaîne concurrente, avait prouvé qu’il n’avait pas été mis au courant, bien que conseiller budgétaire du candidat socialiste, et avait même exprimé son désaccord un peu mou sur le sujet. Pourtant, cette annonce a permis à la candidature de François Hollande de rebondir deux semaines après l’entrée en fanfare de Nicolas Sarkozy dans la campagne présidentielle.

Et c’est cela qui "cloche" justement dans le pouvoir actuel : François Hollande a su habilement faire une campagne suffisamment subtile pour laisser entendre sur sa gauche qu’il changerait profondément la politique de son prédécesseur, cela pour recueillir les voix sur sa gauche qui auraient pu se déporter sur le candidat Mélenchon. Mais en définitive, que ce soit sur le TSCG, sur l’objectif de réduction du déficit public, du constat de la perte de compétitivité et du besoin de redynamiser les entreprises, si le sens de toutes ces mesures était prévisible, cette politique a toutefois surpris plus d’un électeur de François Hollande (un peu comme les clauses en petits caractères sur les contrats de téléphonie).


L’impopularité très rapide de François Hollande

C’est cette différence entre discours et actes qui mine le parti socialiste depuis juin 1982 et le début de la "rigueur". Que ce soient François Mitterrand, Lionel Jospin ou François Hollande, les rares personnalités socialistes qui ont conquis le pouvoir depuis cinquante ans sont toujours restées dans une phraséologie passéiste digne de la fin du XIXe siècle, alors que leur politique s’est conformée (heureusement) à la modernité rationnelle face à la réalité mondiale. Ce décalage n’est pas sans but puisqu’il s’agit avant tout de capter les électeurs de gauche et d’alimenter artificiellement le clivage gauche/droite pour bénéficier de la bipolarité.

Pourtant, depuis plus de vingt ans, le clivage idéologique n’est plus entre la gauche et la droite ou plutôt entre le PS et l’UMP, mais bien entre ceux qui sont optimistes sur la capacité de la France à rester un grand pays et à s’adapter à la rude concurrence économique internationale (notamment des pays émergents) et ceux qui, plus inquiets et angoissés, préfèrent renoncer à cette compétition et replier la France dans une sorte autarcie, complètement irréaliste puisque aujourd’hui, le moindre produit de consommation est fabriqué sur plusieurs continents à la fois. C’est d’ailleurs sur ce clivage que François Bayrou avait voulu placer l’élection présidentielle de 2012 (en vain), entre ceux qui sont prêts à concourir, même si c’est difficile, et ceux qui préfèrent exclure (les immigrés, les musulmans, les riches, les "capitalistes", etc.).

Dommage que ce débat Mélenchon/Cahuzac n’ait pas eu lieu AVANT l’élection présidentielle. Cela aurait mieux éclairé l’électorat et cela aurait été bien plus honnête pour les électeurs. Du moins pour ceux de François Hollande.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (8 janvier 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jérôme Cahuzac et la taxe de 75% (27 février 2012).
François Hollande.
Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Luc Mélenchon vs Marine Le Pen (14 février 2011).
Les 60 000 fonctionnaires de plus.
Retour à la compétitivité.
La dette publique.

yartiMelCah03

 

  http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/melenclown-versus-cahuzacreou-a-la-128610

 

 

 

 

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