Très prudent parce qu’il connaît bien les multiples retournements qui peuvent malmener la vie politique, l’ancien Premier Ministre a néanmoins esquissé les bases d’une possible future campagne présidentielle…
Depuis plusieurs mois, une hypothèse se fait de plus en plus explicitement et les sondages actuels, plutôt favorables, pourraient lui donner corps : Alain Juppé pourrait être le candidat de l’UMP à l’élection présidentielle en 2017. Personne ne lui conteste sa stature, ses compétences, son sérieux, son autorité, sa vision, sa pondération et son expérience. En clair, une sorte d’extraterrestre au sein d’une UMP ravagée par la rivalité entre François Fillon et Jean-François Copé, minée par les hypothèses de retour de Nicolas Sarkozy, éclatée par l’ambition des plus jeunes et lâchée par Dominique de Villepin.
Il est vrai qu’à presque 68 ans (il les aura le 15 août prochain ; il aura donc 71 ans à l’élection présidentielle et 76 ans à la fin du prochain quinquennat), Alain Juppé, normalien, énarque sorti inspecteur des finances, est l’une des "grosses pointures" de sa génération (sacrifiée ?) avec Laurent Fabius (qui a un an de moins) dans le paysage politique français.
Le "meilleur d’entre nous" selon l’expression du Président Jacques Chirac qui l’a considéré comme son dauphin permanent, grâce à qui, après être passé par la mairie de Parie comme adjoint aux finances (du 14 mars 1983 au 18 juin 1995), il est devenu ministre, d’abord au poste stratégique du Budget lors de la première cohabitation (20 mars 1986 au 10 mai 1988), puis aux Affaires étrangères (31 mars 1993 au 11 mai 1995), premier Premier Ministre de Jacques Chirac (17 mai 1995 au 2 juin 1997), et enfin Ministre d’État sous Nicolas Sarkozy, à l’Écologie (du 18 mai 2007 au 18 juin 2007), à la Défense (du 14 novembre 2010 au 27 février 2011) et enfin, de nouveau, aux Affaires étrangères (du 27 février 2011 au 10 mai 2012).
Comme on le voit, le Ministère de l’Écologie semble maudit puisque Alain Juppé n’y a pas fait de plus vieux os que sa successeur Nicole Bricq, mais pour une autre raison, à cause de son échec aux législatives du 17 juin 2007 face à Michèle Delaunay, l’actuelle ministre déléguée chargée des personnes âgées (depuis le 16 mai 2012).
Le 19 juin 1995, alors nouvellement nommé à Matignon (et en même temps président du RPR), il a "repris" la mairie de Bordeaux dans la lourde succession de Jacques Chaban-Delmas (certains chiraquiens ont regretté qu’il n’ait pas plutôt "repris" la mairie de Paris, car les divisions du RPR en 2001, entre Philippe Séguin et Jean Tibéri, ont offert sur un plateau d’argent la mairie à Bertrand Delanoë qu’Alain Juppé avait battu aux législatives de juin 1988 dans le 18e arrondissement).
Mais en fait, comme pour son collègue socialiste (revenu souvent au pouvoir depuis trente ans), Laurent Fabius, qui a dû réduire à la baisse ses ambitions présidentielles pour cause d’affaire du sang contaminé, l’ambition d’Alain Juppé a surtout été handicapée par l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris : le tribunal correctionnel de Nanterre l’a condamné le 30 janvier 2004 à dix-huit mois de prison avec sursis et à dix ans d’inéligibilité, peine réduite le 1er décembre 2004 par la cour d’appel à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité, ce qui l’a forcé à se démettre de ses deux mandats de député-maire de Bordeaux le 2 décembre 2004 (il a provoqué une nouvelle élection pour se faire réélire maire de Bordeaux le 13 octobre 2006).
Or, cette condamnation a brisé sa stratégie en vue de succéder à Jacques Chirac en créant l’UMP en 2002 dont il prit la présidence. Obligé de se retirer de l’avant-scène politique, il a ainsi laissé à Nicolas Sarkozy le terrain libre pour se présenter et gagner l’élection présidentielle de 2007. Ce dernier a pu en effet reprendre l’UMP à son compte et la transformer en parti entièrement sarkozyste (qu’elle reste encore).
C’est d’ailleurs sur ce point qu’Alain Juppé aura sans doute du mal à revenir, indépendamment de son âge avancé : non seulement il n’a plus aucun courant qui le soutient spécifiquement au sein de l’UMP, mais il peut être considéré comme la vieille garde un peu à l’instar d’un Valéry Giscard d’Estaing dans les années 1980 et 1990.
Son objectif d’être utile à l’UMP (ce qui peut prêter à beaucoup d’interprétations) serait le moyen de redevenir un acteur essentiel de ce parti, un peu l’homme providentiel qui le réunifierait sur des bases concrètes de programme politique. Mais il a pu aussi prendre acte de sa faible influence lors de la crise de novembre et décembre 2012.
C’est un peu le message qu’Alain Juppé a délivré dans l’émission "Questions d’info" sur LCP, AFP et France Info diffusée le 3 juillet 2013 : il a souhaité en effet structurer un pôle majoritaire au sein de l’UMP qui se retrouverait sur quatre points essentiels qui pourraient bien devenir la trame d’un éventuel projet présidentiel.
Le premier point est de soutenir l’économie nationale en encourageant l’initiative et l’entreprenariat, en particulier, en renforçant la compétitivité des entreprises françaises par rapport à leurs concurrentes étrangères.
Le deuxième point est de consolider le modèle social français que quasiment tout le monde souhaite maintenir malgré les déficits qui le minent, en promouvant la solidarité mais aussi la responsabilité. Alain Juppé a pris l’exemple de la suppression du jour de carence en cas d’absence pour maladie dans la fonction publique, qui avait pourtant montré son efficacité (baisse drastique des congés maladie de courte durée), une suppression décidée par le gouvernement actuel qui n’était pas très responsable (et injuste par rapport aux salariés du privé qui ont quatre jours de carences, souvent certes financés par leur employeur).
Le troisième point est de proposer un nouvel élan dans la construction européenne, de renforcer la solidarité entre partenaires européens, de préserver l’esprit d’ouverture qui est le seul garant de retour à la croissance. Pour lui, la sortie de l’Union Européenne signifierait que tout serait possible, dans le mauvais sens, le retour aux nationalismes et à la guerre à l’intérieur de l’Europe.
Enfin, le quatrième point avec lequel il était le moins à l’aise mais qu’il a considéré aussi comme essentiel, c’est de refonder le vivre ensemble, de réfléchir sur la laïcité et les comportements qui permettent à l’ensemble de la société de vivre de nouveau en harmonie (ce qui, aujourd’hui, est loin d’être le cas), en clair, de repenser le creuset républicain.
Dans cette émission télévisée, Alain Juppé a également confirmé qu’il avait encore des projets pour sa ville de Bordeaux pour une dizaine d’années et qu’il les défendrait lui-même aux élections municipales de mars 2014.
Quant aux élections européennes, en raison de son mode de scrutin, il a semble-t-il déjà renoncé à l’idée de listes communes UMP-UDI, d’autant plus que l’UDI compte bien présenter des listes communes avec …le MoDem, ce qui ne surprendra pas Alain Juppé puisqu’il dirige dans sa municipalité une majorité du même type (UMP-UDI-MoDem) depuis mars 2008.
Avec cette approche mesurée et presque timide, il est loin le temps de l’arrogance, des "droit dans ses bottes" et de l’esprit de conquête ou reconquête. Cela ne l’a pas empêché d’en user encore parfois, comme en affrontant le candidat François Hollande le 26 janvier 2012.
Alors, Alain Juppé aura-t-il la possibilité de revenir sur la scène présidentielle ? Il faudra pour cela que François Fillon et Jean-François Copé renoncent à leurs ambitions présidentielles… et que Nicolas Sarkozy, plébiscité encore par les militants de l’UMP, ne soit pas en mesure de faire son retour (pour diverses raisons dont judiciaires). Beaucoup d’incertitudes planent donc, qui laissent Alain Juppé dans la position très inconfortable d’homme providentiel suppléant.
C'est même encore plus incertain depuis l'invalidation définitive, le 4 juillet 2013, des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy par le Conseil Constitutionnel qui a placé dans une situation nouvelle ("inédite"), à la fois l'UMP, étranglée financièrement (trou de 11 millions d'euros) et Nicolas Sarkozy qui, ayant immédiatement quitté ses fonctions de membre du Conseil Constitutionnel, sera présent à la réunion exceptionnel du bureau politique de l'UMP ce lundi 8 juillet 2013. Contrairement à beaucoup de responsables de l'UMP, Alain Juppé, qui ne sera pas présent au bureau politique de ce lundi, a refusé de critiquer, le 5 juillet 2013, cette invalidation : « Le Conseil Constitutionnel est la plus haute juridiction de notre pays et ses décisions s'imposent à tous. Je ne vais pas bien entendu commenter cette décision. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (8 juillet 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jacques Chirac.
Alain Juppé au Sénat ?
Débat Hollande vs Juppé.
Nicolas Sarkozy.
L’UMP.
François Fillon.
Jean-François Copé.
Dominique de Villepin.
Le maudit Ministère de l’Écologie…
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/alain-juppe-candidat-a-la-138245
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