Cacophonie chez les socialistes sur l’interdiction du cumul des mandats des parlementaires. On s’aperçoit que les discussions tournent seulement autour de leur seul intérêt partisan. L’intérêt général est oublié, et la loi contre le cumul pourrait même réduire la démocratie parlementaire avec l’arnaque des suppléants.
Totalement invisible dans son leadership du parti socialiste, le nouveau premier secrétaire Harlem Désir cherche à rester intransigeant sur quelques sujets qui font polémiques au sein de la majorité socialiste. C’est sa manière d’exister dans le paysage politique et il a raison de ne pas s’en priver.
L’un des thèmes qui fâchent le plus est l’interdiction du cumul des mandats. François Hollande n’y était pas vraiment favorable à l’époque de la primaire socialiste mais se l’était finalement imposée dans son programme présidentiel à cause de la fermeté de sa concurrente de l’époque, Martine Aubry, qui dirigeait le PS.
Le non-cumul mou
Comme dans beaucoup de domaines, y compris le mariage pour les couples homosexuels, le Président de la République s’y était donc mollement rallié, malgré l’avis de quelques-uns de ses meilleurs soutiens, notamment deux grands potentats locaux, François Rebsamen, le sénateur-maire de Dijon, et Gérard Collomb, le sénateur-maire de Lyon.
Depuis, tout est une bataille d’appareil : quel serait le meilleur intérêt du parti socialiste ? La France et surtout, les citoyens français sont légèrement oubliés dans cet âpre débat interne. Ainsi, François Rebsamen voudrait exclure les sénateurs de cette interdiction, ce qui lui permettrait de cumuler lui-même, avec cette idée que les sénateurs devraient rester les représentants des collectivités locales.
L’un des points clefs de la négociation porte cependant sur la date d’application de la future loi. Les candidats socialistes aux législatives de juin 2012 avaient pourtant clairement annoncé qu’ils démissionneraient leurs mandats locaux avant la fin 2012 ! Mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Attendre 2017 pour ménager les cumulards de 2014
Dans une longue interview au journal "Le Parisien" du 15 février 2013, le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls, en charge de la réforme et bien au courant des enjeux institutionnels, a ainsi été clair sur le fait qu’il fallait repousser la date d’application au-delà des municipales de mars 2014 : « Il est évident qu’il faut évoluer. Il y aura une loi qui interdira le cumul des mandats, c’est un engagement de François Hollande, pour application fin 2016 ou début 2017. Pour 2014, c’est très difficile parce que cela provoquerait plusieurs dizaines de démissions de députés qui choisiraient de garder leur mandat local. Ce serait une mini-dissolution. Ce serait une faute. ».
Et voilà donc l’argument : le risque d’une mini-dissolution qui n’irait pas à l’avantage du PS. En effet, en cas d’une trentaine ou quarantaine d’élections législatives partielles, l’opposition pourrait se ruer sur l’occasion pour rééquilibrer les élections de juin 2012. La majorité pourrait même perdre sa prédominance si le cas était généralisé (environ 260 parlementaires seraient actuellement en situation de cumul).
En effet, si un député venait à préférer son mandat de maire ou de président du conseil général ou régional, il serait dans l’obligation de démissionner et une nouvelle élection partielle serait alors nécessaire pour désigner son successeur.
On comprend alors mieux pourquoi Manuel Valls ne voudrait une application que "fin 2016 ou début 2017". Les prochaines élections législatives (sauf dissolution) sont prévues pour juin 2017. Or, si un siège est vacant sur la période commençant six mois avant la date ordinaire des prochaines élections, le député n’est pas remplacé. En clair, à partir de décembre 2016, la démission d’un député ne sera pas suivie d’une élection partielle. Le siège restera simplement vacant.
Cuisine électorale
Le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, ne souhaite en aucun cas reporter au-delà de 2014 l’application de cette interdiction de cumul. Pour lui, soutenu par les militants et les jeunes de son parti, il est nécessaire d’aller au plus vite. Le 15 février 2013, en réaction aux propos de Manuel Valls, il lâchait fermement : « Je réaffirme la position du PS d’adopter un loi sur le non-cumul des mandats applicable dès le prochain renouvellement électoral, en 2014. ».
Dans l’absolu, on pourrait croire qu’il a raison et qu’il soutient la tendance "propre" et "intègre" de la vie politique. Son expérience d’ancien président de SOS-Racisme le prédestine d’ailleurs à un rôle plus moral que politicien.
Certes, on peut aussi faire remarquer que lui-même n’a pas l’occasion de se sentir concerné puisqu’il n’a jamais eu qu’un mandat européen, uniquement sur liste au scrutin proportionnel (d’ailleurs très mal élu puisqu’il s’était effondré face aux listes écologistes en juin 2009) et jamais élu sur son nom personnel.
Le problème, c’est qu’en tant que chef de parti, il a bien compris l’importance d’éviter ces mini-dissolutions qui pourraient mettre en péril la majorité au cours du quinquennat. Pour cela, il a tout de suite une réponse appropriée : il voudrait que les députés qui démissionneraient pour cause de cumul soient remplacés par …leurs suppléants ! Sans nouvelle élection !
C’est du reste la position du Président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, qui disait déjà dans le journal "Libération" du 7 février 2013 : « Et surtout, pour éliminer tout risque de dissolution, un élu renonçant à son siège de député doit être remplacé par son suppléant. », même si l’occupant du perchoir a souhaité, lui aussi, reporter l’application de la loi le plus tard possible : « Comme cette évolution nécessite une révision constitutionnelle, le non-cumul ne pourra s’appliquer d’ici les municipales (…). Notre contrat avec les Français sera de l’appliquer en 2017. ». Il faut dire qu’il sait ce qu’est le cumul des mandats, lui qui a cumulé député et maire pendant longtemps puis président du conseil général de Seine-Saint-Denis.
Pourtant, le choix de faire remplacer les députés cumulards démissionnaires par leurs suppléants est profondément antidémocratique. Un électeur voterait pour une personnalité bien précise et ce serait une autre personne qui siègerait ? Quelle hypocrisie ! Ainsi, les grands élus locaux prêteraient leur nom et renommée (et capacité d’influence par leur clientélisme) pour faire finalement élire une autre personne qui serait peut-être incapable de se faire élire elle-même sur son nom. Où est le gain démocratique ?
Un suppléant n’est pas élu sur son nom
La législation sur les suppléants est très claire (et constitutionnelle) : le suppléant ne remplace le député que dans deux cas bien précis : lorsque le député est nommé membre du gouvernement et lorsque le député décède.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a même renforcé l’importance du député élu sur son suppléant pour les anciens membres du gouvernement. Avant cette réforme, un ancien ministre ayant quitté son siège de député pour devenir ministre ne pouvait pas redevenir automatiquement député (comme aujourd’hui). Il demandait à son suppléant de démissionner pour provoquer une élection partielle qui lui permettrait de se faire réélire (ou battre).
Maintenant, le suppléant a moins de poids puisqu’il doit systématiquement s’effacer derrière l’ancien ministre si celui-ci veut revenir au Parlement. C’était le cas entre autres d’André Santini (et son suppléant Frédéric Lefebvre a finalement été nommé au gouvernement).
En revanche, si l’ancien ministre ne souhaite pas redevenir parlementaire, son suppléant, qui n’a aucune légitimité même s’il a été élu en binôme avec lui, doit se faire élire à l’occasion d’une élection partielle (le refus de redevenir parlementaire de l’ancien ministre est équivalent à sa démission de parlementaire). Ce fut le cas du suppléant de Christine Boutin qui n’avait pas souhaité retourner au Palais-Bourbon après son éviction du gouvernement.
En somme, ce que veut faire Harlem Désir (et Claude Bartolone), pour le seul intérêt du parti socialiste (éviter des élections partielles qui seraient catastrophiques pour le pouvoir), c’est de retirer aux citoyens la capacité d’élire leur député réel, celui qui siégera réellement, au profit d’un vague suppléant qui n’aurait pas beaucoup de légitimité personnelle.
Messieurs les socialistes, arrêtez donc l’hypocrisie et laissez les Français élire leurs vrais députés, pas des prête-noms prêts à quitter la barque pour continuer à contrôler leur collectivité locale (mairie, conseil général ou régional) où ils ont plus de pouvoir dans la gestion de budgets publics. Harlem Désir, touche pas à la démocratie !
Qu’en pense le Premier Ministre de tout cela ?
Toujours aussi courageux dans ses arbitrages, Jean-Marc Ayrault a mollement déclaré lors d’un déplacement à Bordeaux le 15 février 2013 en compagnie de la Ministre de la Justice Christiane Taubira : « Le gouvernement prépare un projet de loi qui sera prochainement présenté en Conseil des ministres. En tout cas, le gouvernement va l’adopter dans les prochaines semaines. (…) Le Président de la République a été très clair : il souhaite que cette réforme soit mise en œuvre pendant son quinquennat. C’est pour moi la parole présidentielle et l’engagement qui est le plus important. ». Bref, il n’a rien dit !
Il y en avait pourtant un qui n’aurait pas attendu…
Dommage que le candidat François Bayrou n’ait pas été élu le 6 mai 2012. Il avait promis à la Maison de la Chimie à Paris le 25 février 2012 qu’en cas d’élection, il organiserait dès le premier tour des élections législatives du 10 juin 2012 un référendum sur la moralisation de la vie politique où l’interdiction du cumul des mandats aurait pris une place importante dans le projet. Avec lui, l’histoire du non-cumul aurait été jouée depuis plus de huit mois… et par la grande porte, celle de la démocratie et du référendum.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 février 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Manuel Valls.
Valls et les institutions.
Claude Bartolone.
François Bayrou.
La moralisation de la vie politique selon François Bayrou.
Mode de scrutin aux européennes : retour aux listes nationales ?
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/harlem-desir-et-le-cumul-des-130949