…Ou bien (reformulation), la liberté religieuse est-elle soluble dans la laïcité ?
La crête est mince entre la laïcité et la liberté du culte. Jusqu’où ira-t-on ? Depuis une décision de justice qui s’impose à tous, d’autant plus qu’elle émane de la Cour de cassation, les parlementaires de la majorité et aussi de l’opposition commencent à imaginer une nouvelle loi rédigée à la va-vite pour répondre à cet événement précis : qu’il soit permis de licencier une salariée du secteur privé en cas de port du voile.
Évidemment, le sujet est ultrasensible et les passions se déchaînent rapidement. Les clivages sont nombreux. Entre partisans de l’islam et ceux qui veulent réduire au maximum l’influence qu’il peut avoir dans la société, craignant qu’il y ait une réelle volonté d’hégémonie et de conquête ; entre ceux qui croient (quelle que soit la religion) et ceux qui ne croient ; entre ceux qui sont prêts à mettre leur foi, leur religion dans le débat public, à mélanger explicitement religion et politique, et ceux qui, défendant la tradition laïque d’un État indépendant des Églises, ce qui est très rare dans le monde mais semble un élément fondateur du pacte républicain et du vivre ensemble en France, veulent absolument découpler les questions de religions et de politique ; enfin, entre les "libéraux" qui voudraient réduire au maximum toutes les réglementations de l’État et les "interventionnistes" qui, au contraire, considèrent l’État comme le meilleur régulateur des passions françaises.
Dans ces clivages, certains sont d’ailleurs antagonistes. Un chrétien pourrait être tenté de tout faire pour éviter l’expansion sociale de l’islam mais paradoxalement, il pourrait aussi se sentir lésé de renforcer les contraintes dans la pratique de son propre culte.
Les déçus du hollandisme révolutionnaire peuvent se comprendre. Ceux qui ont voté pour François Hollande principalement pour s’opposer avant tout à la personnalité de Nicolas Sarkozy semble tomber de haut (ont-ils été si naïfs sur les valeurs entre les deux tours ?). La gouvernance, la manière de gouverner, n’a en effet pas changé, et si le décomplexé Nicolas Sarkozy, prêt à toutes les transgressions, était bien représentatif de cette volonté de légiférer par l’émotion, il n’est visiblement pas le seul puisque lui parti, on continue toujours à expulser manu militari les gens du voyage, on continue toujours à avoir des problèmes de savoir vivre au sein d’une même nation entre des musulmans qui n’hésitent plus à faire du prosélytisme (mot à définitions très variables) et des défenseurs de la laïcité "jusqu’au-boutistes" au point d’en devenir anticléricaux.
Cette frénésie de légiférer sur des faits divers n’est donc pas l’apanage du quinquennat précédent mais bien celui d’une société hésitante et fragile dont le gouvernement a besoin de montrer qu’il agit, même si, en définitive, il ne soigne efficacement aucune des causes profondes du mal être social (emploi, logement, éducation).
Les polémiques semblent désormais s’amorcer autour de décisions de justice. Il y a eu ce jugement du tribunal de grande instance de Lille du 1er avril 2008 sur l’annulation d’un mariage pour cause de mensonge sur la virginité de l’épouse, annulation qui fut remise en cause en appel (à l’époque, cela avait fait grand bruit, tant en batailles juridiques qu’en interprétations de l’intrusion d’une religion dans la réflexion juridique, et la Ministre de la Justice de l’époque avait assez mal réagi en raison de sa propre situation conjugale), puis, ce fut aussi le jugement du Conseil d’État du 27 juin 2008 refusant la nationalité française à une femme qui pratiquait "trop radicalement" sa religion.
Cela a abouti rapidement, à l’initiative de Jean-François Copé, à la loi contre la burqa dans les espaces publics, loi qui est liberticide (sur la manière de s’habiller), qui ne concerne que quelques milliers de cas sur les soixante-cinq millions d’habitants mais qui avait le pouvoir symbolique de rassurer les citoyens sur le rôle protecteur de l’État contre une extension sociale d’une religion (les parlementaires socialistes s’y étaient très majoritairement opposés, à l’exception notable de Robert Badinter).
Je parle d’une religion en étant volontairement imprécis, mais il s’agit bien sûr de l’islam. Si l’anticléricalisme anti-catholique est encore très vivace (cela s’est encore illustré lors de l’élection du nouveau pape), un nouveau front contre les pratiques radicales de l’islam s’est formé depuis une dizaine d’années, au point d’en devenir parfois discriminatoire et affligeant.
Au-dessus des lois actuelles et de celles que le législateur pourrait être amené à voter pour répondre à un besoin médiatique ponctuel de réaction, il y a la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui est très claire.
Son article 10 déclare : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » et son article 11 complète cette liberté du culte : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. ».
Ces deux articles sont mis en avant par l’avocat catholique Koztoujours dans son blog le 21 mars 2013 pour rappeler le strict cadre de la laïcité en France, pays « qui respecte toutes les croyances » (selon l’article 1er de la Constitution), et l’auteur du blog insiste justement sur le principe de neutralité de l’État : « Contrairement à ce que certains semblent croire, la laïcité ne consiste pas à interdire à un croyant d’exprimer son opinion voire à lui claquer impunément à la gueule, mais uniquement à consacrer la neutralité de l’État et de l’ensemble de la sphère publique. ».
Et c’est en ce sens qu’il faut interpréter les deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 19 mars 2013, deux arrêts qui paraissent contradictoires d’un point de vue pour ou contre l’islam mais qui obéissent tout à fait à la logique de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Ainsi, toute personne représentant l’État ou des services concédés par l’État (ici la CPAM de Seine-Saint-Denis) doit garder la neutralité religieuse dans l’exercice de sa profession (arrêt n°12-11.690 du 19 mars 2013) mais cela ne s’applique pas aux employés d’entreprises ou d’organismes purement privés, ce qui a remis en cause le licenciement d’une employée de la crèche Baby Loup de Chanteloup-les-Vignes pour avoir porté un voile (arrêt n°11-28.845 du 19 mars 2013).
Ces arrêts rappellent d’ailleurs la directive européenne du 27 novembre 2000 qui protège la liberté du culte ainsi : « Les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. ».
En ce sens, ni le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls, ni celle des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem n’ont vraiment compris ce qu’est le principe de laïcité. Il n’est pas d’éliminer partout dans la vie publique toute expression de la foi des uns et des autres, mais seulement de garantir à tous les citoyens un État neutre, apolitique et aconfessionnel, État ainsi que les services assimilés.
Les socialistes, sous le coup d’une double motivation antagoniste, ne cessent d’émettre des signes contradictoires sur le fondement du pacte républicain. D’un côté, ils prônent le droit de vote aux étrangers qui, concrètement, va engendrer un renforcement des communautarismes dans certaines communes ; et d’un autre côté, ils surpassent le principe de neutralité en voulant ériger une sorte d’anticléricalisme d’État où la pratique religieuse et son expression naturelle dans les espaces publics (celle qui ne trouble pas l’ordre public) seraient purement et simplement proscrites (notamment par le vote de la proposition de loi le 7 décembre 2011 au Sénat qui interdit le port du voile pour les assistantes maternelles).
Oui, il est important de réaffirmer le rôle régulateur de l’État pour garantir cette République laïque. Oui, il est important de refuser toute atteinte à l’égalité entre l’homme et la femme et toute réelle soumission de la femme à l’homme.
Mais non, il ne faut pas que sous prétexte d’une montée en puissance de sentiments clairement xénophobes voire islamophobes de certains électeurs (de droite comme de gauche), l’État en vienne à interdire à ceux qui croient le libre exercice de leur culte, ni à ériger ce que devrait être une pratique "éclairée" de telle ou telle religion. Il doit juste veiller à ce que nos principes fondateurs du vivre ensemble soient correctement appliqués sans empiéter lui-même dans le domaine religieux.
Méfions-nous des provocations qui instruisent les procès et donnent naissance à des jugements de justice propices aux polémiques et gardons toujours à l’esprit ces deux articles de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (10 et 11) qui ont été le creuset de nos libertés publiques.
En clair, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 mars 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Billet de Koztoujours (21 mars 2013).
Mariage annulé pour non virginité (1er avril 2008).
Nationalité française refusée pour pratique religieuse radicale (27 juin 2008).
Interdiction de la burqa.
L’islam rouge.
Apéro saucisson pinard.
Communautarismes et nouvelle citoyenneté.
Transgressions républicaines.
Nicolas Sarkozy et la laïcité.
François Hollande et la laïcité.
Ne pas se voiler la face (ailleurs).
http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/le-voile-est-il-soluble-dans-la-133170
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