Les réactions très dures des "amis" socialistes de Jérôme Cahuzac ont sombré dans le surréalisme. Après une prestation télévisée qui n’a pas atteint les objectifs fixés (infléchir la courbe de la popularité présidentielle), le pouvoir est en pleine panade.
Ce n’est pas un poisson d’avril et cela va faire des dégâts politiques considérables, avec sans doute quelques répliques ultérieures. L’ancien Ministre du Budget Jérôme Cahuzac a été mis en examen ce mardi 2 avril 2013 après avoir reconnu publiquement posséder des comptes bancaires à l’étranger.
Sans approfondir sur ce que la justice pourrait concrètement lui reprocher (c’est à la justice de juger), Jérôme Cahuzac a commis en plus une faute morale en ayant menti pendant quatre mois, tant aux citoyens (il est ministre) qu’à ses camarades (et anciens amis) socialistes. Roland Cayrol notait d’ailleurs sur France 3 le 2 avril 2013 que c’était la première fois qu’en France, on reprochait à une personnalité politique d’avoir menti, ce qui, aux États-Unis par exemple, avait constitué en 1999 l’essentiel du scandale contre le Président Bill Clinton dans l’affaire Monica.
Il semblerait donc que l’affaire Cahuzac soit un cas de scandale politico-financier d’enrichissement personnel, ce qui, il faut bien le constater, même si d’autres affaires suivent également leur cours, notamment dans le sud de la France, est différent de détournement à des finalités politiques (en clair, financement de campagnes électorales, cause de la plupart des affaires politico-financières depuis une trentaines d’années). Moralement, tout se vaut évidemment puisqu’il est honteux qu’une personnalité qui a atteint les plus hautes fonctions, et donc, chargée de faire appliquer la loi, d’autant plus quand on est responsable de l’administration fiscale, ne soit pas irréprochable.
Les Français commencent désormais à être habitués à des informations totalement impensables : l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn le 14 mai 2011 pour abus sexuel ou même la mise en examen de l’ancien Président Nicolas Sarkozy le 21 mars 2013 pour abus de faiblesse.
Les proches de Nicolas Sarkozy avaient d’ailleurs fait un peu trop de bruit pour clamer leur fureur à la suite de cette mise en examen, ce qui avait temporairement masqué le scandale (terrible) de la démission de Jérôme Cahuzac deux jours avant. Or, depuis mardi, le retour à l’affaire Cahuzac est très violent et en fait une affaire d’État, bien plus grave que l’affaire Sarkozy, ne serait-ce que parce qu’elle concerne le présent et pas le passé.
La "République irréprochable" du Président François Hollande repassera.
Pourtant, j’avais apprécié Jérôme Cahuzac. Dans ce gouvernement très peu préparé à l’exercice du pouvoir, il était l’un des rares ministres compétents qui tenaient la route, avec le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls et la Ministre de la Justice Christiane Taubira.
Le Président de la République va s’exprimer à la télévision après le conseil des ministres de ce mercredi.
Peu de citoyens français croiront François Hollande et son Premier Ministre Jean-Marc Ayrault quand ils répéteront, la main sur le cœur, ils ne savaient pas, qu’ils ne se doutaient de rien (Mediapart avait déjà sorti des preuves dès le 4 décembre 2012), et qu’ils n’avaient fait confiance qu’à la parole de leur ministre.
Sans doute Éric Woerth aurait souhaité avoir cette même confiance en été 2010, d’être cru sur parole par l’opposition socialiste de l’époque. Durant cette période, les socialistes s’étaient érigés en procureurs et même juges et l’affaire était entendue bien avant son instruction judiciaire, il était pour eux forcément coupable.
Le premier à soupçonner la sincérité de François Hollande n’est d’ailleurs pas sur sa droite mais sur sa gauche, avec Jean-Luc Mélenchon : « Où s’arrête la chaîne du mensonge ? Qui savait et n’a rien dit ? ».
S’il y a un critère pour juger un responsable d’équipe, qu’il soit Président de la République ou simple manager dans une entreprise, c’est le choix de ses collaborateurs. Avoir côtoyé une vingtaine d’années Jérôme Cahuzac n’aurait mis aucun soupçon à ses plus proches amis politiques, ne serait-ce pas étonnant ?
Qu’importe d’ailleurs la réalité, la sincérité du pouvoir aura du mal à être prise au sérieux par l’opinion publique et dans tous les cas, soit ils savaient et ils ne sont pas sincères (et pas irréprochables), soit ils ne savaient pas et ils ont au moins manqué de perspicacité dans leur jugement. Dans tous les cas, cela donne une très mauvaise image de l’exécutif et on sait qui cela va avantager.
Ce qui est en fait très éclairant, c’est justement la manière dont les plus proches amis de Jérôme Cahuzac le traitent. Et je dirais presque, sans le défendre bien sûr, puisqu’il a reconnu lui-même qu’il aurait apparemment enfreint la loi (ce sont les juges qui condamnent, pas les commentateurs), que ses amis sont bien cruels contre lui après l’avoir tant encensé.
Jean-Marc Ayrault a parlé, sur France 2 le 2 avril 2013, de trahison, que Jérôme Cahuzac avait trahi ses amis. Le mot est fort. Mais François Hollande est aussi sévère sinon plus en parlant d’une « impardonnable faute morale ».
Je ne peux m’empêcher de reprendre le mot "impardonnable" qui choque dans la bouche du Président de la République dans un tel contexte. Et je ne peux que le rapprocher de la visite du pape Jean-Paul II de celui qui avait voulu être son meurtrier. Oui, un meurtre est difficile à pardonner mais Jean-Paul II avait pardonné. François Hollande, lui, n’a pas supporté qu’on ait menti devant lui, et c’est pour lui impardonnable.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la "faute morale" semble plus être le mensonge qu’une éventuelle fraude fiscale qui doit être jugée avant d’être commentée. Cela paraît presque surréaliste…
De ceux qui ont réagi, c’est encore François Bayrou qui a su prendre le plus de hauteur, laissant de côté le "cas" Cahuzac et reprenant son leitmotiv de la campagne présidentielle, à savoir, la moralisation de la vie politique qu’il avait souhaité fixer par référendum dès le début du quinquennat : « Le scandale Cahuzac vient d’exploser en plein vol et, une fois de plus, les dégâts sont considérables et dévastateurs pour le monde politique français. (…) Qui ne voit que la moralisation de la vie politique devient un impératif d’urgence dans un pays où plus personne, si les choses continuent ainsi, ne va pouvoir donner sa confiance aux responsables de la vie publique. (…) Plus que jamais, ce dont notre démocratie a besoin, enfin, d’urgence et sans atermoiement, c’est de la vérité en politique. » (AFP, le 2 avril 2013). François Bayrou avait été le seul à proposer pendant la campagne de donner des règles de déontologie entre responsabilités politiques et responsabilités professionnelles.
Pour Jérôme Cahuzac, c’est maintenant la descente aux enfers. Le premier secrétaire du PS Harlem Désir vient même ce mercredi 3 avril 2013 de l’exclure du parti socialiste et lui demander de renoncer à tous ses mandats électifs. Il pourrait, théoriquement, redevenir simple député mais aurait tout intérêt à y renoncer.
Pire, il n’a plus d’issue. Ni politique ni humaine. Tout comme Dominique Strauss-Kahn il y a deux ans. La moindre décence de ses amis politiques aurait été de se taire, pas de le charger aussi fort avec des mots aussi durs. Ils sont d’autant plus durs que François Hollande n’a jamais été sincère une seule seconde lorsqu’il avait débité ses fameuses phrases "Moi, Président de la République". Avec Jérôme Cahuzac, il voudrait se dédouaner d’avoir trompé ses électeurs.
Bref, laissons la justice suivre son cours, que les délinquants soient punis comme ils le méritent, que les hypocrites se taisent, et méfiez-vous, anciens amis socialistes de Jérôme Cahuzac, si jamais, ce que je n’espère absolument pas, il devait advenir un suicide, l’impardonnable faute morale serait très faible à côté de l’immense bêtise morale qu’on est en train de vivre actuellement…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (3 avril 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Verbatim (les "aveux" publics sur son blog le 2 avril 2013).
Cahuzac et la taxe de 75% des hauts revenus.
Cahuzac en débat avec Mélenchon.
La dernière prestation télévisée de François Hollande.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/cahuzac-impardonnable-vraiment-133581