Sous pression de lobbies corporatistes, le gouvernement s’apprête à détruire l’une des meilleures innovations des dernières années pour lutter contre le chômage.
Décidément, les socialistes ne comprendront jamais l’économie réelle. Pourtant, ce n’est pas faute de montrer patte blanche à l’économie globalisée, mais ils n’ont visiblement pas cette culture pragmatique qui veut que l’on garde ce qui est bon pour l’activité économique et qu’on jette ce qui a montré ses carences.
Un nouvel exemple concerne le statut des auto-entrepreneurs. Beaucoup de Français peuvent même dire, tout antisarkozystes fussent-ils le cas échéant, que c’était l’une des meilleures mesures du quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Mis en œuvre à partir du 1er janvier 2009 par son ministre Hervé Novelli (loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008), ce statut très particulier permet à des personnes, salariées notamment, d’avoir une activité commerciale annexe ou principale mais de faible envergure. Un supplément d’activité, compatible avec leur activité professionnelle principale, qui leur permet de mettre un peu de beurre dans le peu d’épinards qu’ils ont, ou un moyen simple et efficace de se lancer à son propre compte sans la terreur de la jungle bureaucratique de la création d’entreprise classique. Bercy a d’ailleurs éditer un guide détaillé de l’auto-entrepreneur.
L’auto-entreprenariat, une nouvelle forme d’activité
Favorisant ainsi les "petites" activités économiques, le statut impose une limitation du chiffre d’affaires à 81 500 euros pour les vente de marchandises et de 32 600 euros pour les prestations de services (seuils de 2012 reconduits en 2013). En contrepartie du faible CA, le régime permet une très grande simplification administrative et des avantages fiscaux sociaux : franchise de TVA (article 293B du Code général des impôts), prélèvements libératoires pour les cotisations sociales (entre 14% et 21,30% du CA selon les cas, sans franchise en cas de CA nul) et assouplissement du régime fiscal.
La création de ce statut a eu plusieurs objectifs : d’une part, encourager l’activité entrepreneuriale complémentaire à une activité salariée ou à la retraite, d’autre part, réduire le chômage en donnant aux demandeurs d’emploi la possibilité de se créer leur propre emploi, enfin, réduire le travail au noir.
Il a cependant quelques défauts pointés du doigt par ceux qui critiquent le statut.
D’une part, il aurait ouvert une concurrence déloyale aux entreprises artisanales existantes, notamment dans le bâtiment. Cependant, le CA très faible limite énormément ces capacités de concurrence et les entreprises déjà en place dans leur marché ont suffisamment de réputation pour faire valoir, même prix plus élevés, leur qualité et leur savoir-faire. Aucune étude n’a pu prouver que cet effet négatif existe réellement.
D’autre part, il aurait amplifié un mouvement général d’externalisation des services dans les grandes entreprises. En gros, en débauchant un certain nombre d’employés pour les "réemployer" sous forme d’auto-entrepreneurs dans les mêmes fonctions. C’est la seule et vraie faille du système, mais là aussi, limitée à un seuil de CA faible, donc pour des salaires antérieurs très faibles, et c’est surtout réprimé par la loi, considéré comme un détournement de contrat de travail et très sévèrement puni par l’URSSAF (requalification en contrat de travail et amendes élevées) et par la justice (délit de travail dissimulé, abus de vulnérabilité).
Un statut plébiscité par les Français
Aujourd’hui, près de 900 000 personnes ont le statut d’auto-entrepreneurs et ont généré environ 5,6 milliards d’euros de CA en 2012. Cependant, en fin février 2013, à peine 5% de ceux-là avaient un CA supérieur au SMIC, et seulement 10% avaient perçu un revenu. Il n’y a eu que 1% des auto-entrepreneurs qui ont quitté en 2011 ce ce statut pour créer une entreprise. Le statut d’auto-entrepreneur n’est donc pas le portail d’entrée pour un (vrai) projet d’entreprise.
Selon un sondage réalisé en décembre 2012 (à télécharger), ce statut a été adopté par toute la population française, tant en sexe (15% de plus de femmes que dans les créations d’entreprise classique)qu’en âge, dans toutes les régions et sur tous les secteurs d’activités du tertiaire et du bâtiment. 46% des auto-entrepreneurs n’ont que cette activité (essentiellement des chômeurs), 24% sont par ailleurs salariés, 24% des retraités, 5% des fonctionnaires et 1% des étudiants. Près de quatre auto-entrepreneurs sur dix sont ou ont été cadres.
Pour près de 20% d’entre eux, les revenus de leur activité d’auto-entrepreneur représentent plus de la moitié des revenus de leur foyer. Pour 53% d’entre eux, ces revenus sont absolument nécessaires à leur foyer, qu’ils soient des revenus principaux ou des revenus complémentaires. 90% des auto-entrepreneurs considèrent leur statut adapté à leur situation et 93% sont contre sa suppression, c’est donc un véritable plébiscite en sa faveur !
Le sondage avait également étudié les capacités d’évolution de ces auto-entrepreneurs vers un statut plus classique d’entreprise : 19% semblent motivés pour aller vers une entreprise classique, 20% très moyennement ("sans doute plus tard") et 61% pas du tout. Par ailleurs, si ce statut n’avait pas existé, 56% auraient renoncé à leur projet, alors que seulement 3% auraient renoncé à leur activité principale (pour s’investir dans le projet d’entreprise) et seulement 16% auraient créé une entreprise classique.
Ces derniers renseignements montrent que le régime de l’auto-entrepreneur ne mord qu’à la marge sur l’entreprenariat classique (entre 15 et 20%) et a surtout encouragé des activités économiques qui n’auraient jamais existé sans lui.
Limiter dans le temps, c’est tuer le statut
La Ministre déléguée chargée de l’artisanat, Sylvia Pinel, a reçu en début avril 2013, comme ses collègues de Bercy, un audit d’évaluation du régime de l’auto-entrepreneur demandé à deux inspections générales, l’IGF (finances) et l’IGAS (affaires sociales). Ce rapport (à télécharger) a reconnu l’apport général des auto-entrepreneurs dans l’économie, représentant la moitié des créations d’entreprise.
C’est à cette occasion que le gouvernement réfléchit sur la manière de réformer ce statut. Au cours de sa campagne présidentielle, François Hollande, qui n’a toujours pas compris l’intérêt du dispositif, voulait déjà le réformer profondément. Pressé par les organisations professionnelles du bâtiment, le gouvernement voudrait en fait casser le seul outil performant que l’État a créé ces dernières années.
En effet, le gouvernement envisagerait de limiter ce statut dans le temps, entre un et cinq ans, pour ceux qui en ont fait une activité principale. Pourtant, pour la plupart, ce sont des personnes qui ne perçoivent même pas le SMIC. Leur capacité de concurrence est donc très limitée.
Limiter dans le temps ce statut, c’est le détruire car c’était justement l’intérêt du dispositif, faire une activité annexe, même lorsque c’est l’activité principale. Cela a l’air d’être contradictoire, mais beaucoup de chômeurs ont pu retrouvé une activité économique grâce à ce statut (mais y renonceraient au bout de l’échéance si c’était limité dans le temps).
Comme le montrent les études présentées ci-dessus, les auto-entrepreneurs n’ont, pour leur grande majorité, aucune vocation à se transformer en entrepreneurs qui nécessitent beaucoup plus d’investissement personnel.
La personne, par exemple, qui, sans emploi, salariée ou retraitée, peut bénéficier du statut d'auto-entrepreneur pour vendre, parfois à l'autre bout du monde grâce à Internet, les pots de confiture qu'elle produit elle-même dans sa cuisine, n'a pas forcément vocation à se métamorphoser en chef d'entreprise impliquant des obligations administratives, juridiques, comptables, fiscales, sociales et environnementales qui la décourageraient définitivement de vendre sa confiture.
Pour favoriser la croissance économique, il faut déjà préserver ce qui fonctionne bien
François Hollande avait estimé que sa seule préoccupation était l’emploi et la croissance. En réformant le statut de l’auto-entrepreneur, non seulement il s’en prendrait à l’activité économique, mais il s’en prendrait aussi aux personnes les plus précaires qui ont réussi à trouver un nouvel équilibre de vie grâce à ce statut.
Bref, encore une décision complètement contreproductive et antiéconomique, simplement parce que ce gouvernement est incapable de résister à des pressions corporatistes. Rien n’est encore décidé et j’espère qu’il saura retrouver la voie de l’intérêt national.
Les ministres Pierre Moscovici et Fleur Pellerin sont en effet hostiles à toute réforme : « Dans le contexte actuel de l’emploi, il n’est pas possible de toucher aux auto-entrepreneurs qui représentent la moitié des créations d’entreprises. Ce serait se tirer une balle dans le pied. ». Il y a donc certaines personnes raisonnables dans ce gouvernement, pourvu qu’elles puissent faire entendre leur voix dans cette surenchère d’incompétence économique. Ce n’est pas gagné quand la logique idéologique et politicienne l’emporte sur le pragmatisme économique…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 avril 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le Guide des Auto-entrepreneurs par Bercy (à télécharger).
Audit du début avril 2013 chargé d’évaluer le régime de l’auto-entrepreneur (à télécharger).
Sondage OpinionWay de décembre 2012 sur les auto-entrepreneurs (à télécharger).
Portail officiel des auto-entrepreneurs.
Comment devenir auto-entrepreneur ? (par l’APCE)
Fédération des auto-entrepreneurs.
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/auto-entrepreneurs-comment-le-134161