Principales innovations si la loi passe le filtre du Conseil Constitutionnel : la création de binômes homme/femme dans les cantons, l’élection directe des conseillers communautaires (dans les structures intercommunales), et quelques dispositions assainissant l’attribution des indemnités de mandats dans certains cas abusifs.
Mercredi 17 avril 2013, les députés ont adopté définitivement la réforme des scrutins aux élections locales (texte intégral ici), en particulier cantonales, régionales et municipales. Le vote s’est fait avec une majorité très faible, seulement 273 voix favorables (sur 577) contre 247 voix défavorables (un rassemblement hétéroclite de l’UMP, de l’UDI, du PRG et du PCF) et 20 abstentions (les écologistes).
Pour le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls, la discussion de ce projet de loi n’a pas été un long fleuve tranquille depuis quatre mois. Pas de tout repos puisque pour les trois lectures, son texte a été sèchement rejeté par les sénateurs, réunis dans leurs oppositions du centre, de droite et de gauche (rejeté en première lecture le 18 janvier 2013, adopté en seconde lecture mais sans l’essentiel le 14 mars 2013, rejeté en nouvelle lecture le 15 avril 2013). Heureusement pour le gouvernement, la Constitution donne aux députés le dernier mot.
Les élections régionales de mars 2010 et les élections cantonales de mars 2011 étaient destinées à être les dernières avec les scrutins "habituels".
Hollande défait ce qu’a fait Sarkozy (au grand soulagement des élus locaux)
Par l’article 5 de la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010, le Président Nicolas Sarkozy avait voulu innover en créant le mandat de "conseiller territorial" qui aurait remplacé les deux mandats locaux, conseillers généraux (pour les départements) et conseillers régionaux (pour les régions). L’objectif était d’élire un seul type d’élus pour gérer les deux collectivités territoriales sans forcément supprimer l’une des deux.
Pour cela, il fallait d’abord rassembler les élections cantonales et régionales en une même date. C’était prévu pour mars 2014 (l’année prochaine), le mandat des conseillers régionaux élus en mars 2010 ne durant que quatre ans (au lieu de six) et ceux des conseillers généraux élus en mars 2011 ne durant que trois ans (au lieu de six), seuls, les conseillers généraux élus en mars 2008 auraient terminé leur mandat normalement au bout de six ans. Une autre loi, la loi n°2011-871 du 26 juillet 2011, avait fixé le nombre de conseillers territoriaux de chaque département.
Cette réforme des collectivités territoriales, qui fustigeait essentiellement les élus locaux sans s’en prendre aux structures institutionnelles, a certainement été l’une des raisons de l’échec historique du centre et de la droite aux élections sénatoriales du 25 septembre 2011 et de l’élection (sans précédent) d’un Président du Sénat socialiste (le consensuel Jean-Pierre Bel). Les élus locaux (principalement grands électeurs) avaient voulu sanctionner un Président de la République qui n’avait pas voulu les écouter.
Les conseillers territoriaux morts-nés
D’ailleurs, trois sénateurs de gauche, François Rebsamen (PS), Jacques Mézard (PRG) et Nicole Borvo Cohen-Seat (PCF), n’avaient pas attendu l’élection d’un Sénat de gauche pour déposer (dès le 21 septembre 2011, quatre jours avant les élections sénatoriales) une proposition de loi (texte n°800/2010-2011) pour supprimer ces conseillers territoriaux.
Dès qu’ils ont eu la majorité, les sénateurs de gauche ont donc mis en discussion ce texte et la proposition de loi a été adoptée logiquement le 16 novembre 2011. Transmis à l’Assemblée Nationale, la majorité UMP n’a évidemment pas remis le texte en discussion. Mais après le changement de majorité à l’Assemblée Nationale, il fut finalement discuté et adopté le 20 novembre 2012.
Comme le texte adopté par les députés était légèrement différent de celui adopté par les sénateurs, il aurait fallu une seconde lecture. Cependant, cela faisait un peu doublon avec le gouvernement qui voulait présenter son propre texte. Le projet de loi de Manuel Valls adopté définitivement ce 17 avril 2013 fut donc présenté au conseil des ministres du 28 novembre 2012.
L’intérêt juridique d’un projet sur une proposition de loi, c’est qu’il doit passer obligatoirement par le Conseil d’État. L’intérêt politique, c’est de laisser l’initiative au gouvernement.
Le principal objectif était donc d’éliminer la réforme de 2010, à savoir, de revenir à la différenciation des élus régionaux et départementaux, avec une petite nouveauté sémantique puisque l’ancien conseiller général s’appellera désormais conseiller départemental et le conseil général deviendra conseil départemental, ce qui est, effectivement, plus logique.
Mais la suppression des conseillers territoriaux n’aurait pas être très grave si une autre abrogation n’avait eu lieu de la loi du 16 décembre 2010. Nicolas Sarkozy avait voulu en effet attribuer à chaque instance territoriale des compétences bien définies afin d’éviter des doublons (budgétaires) régionaux et départementaux. Cette mesure qui paraissait pourtant du bon sens (celui de la réduction des dépenses publiques) a également été supprimée en rétablissant la compétence générale.
Quels sont donc les changements provoqués par le projet de loi de Manuel Valls adopté cette semaine, sous réserve de l’avis du Conseil Constitutionnel saisi par ses opposants (saisine des 18 et 19 avril 2013) ?
1. Date des prochains scrutins
En premier lieu (ce qui était déjà annoncé depuis une année), les élections régionales et départementales n’auront pas lieu en 2014, année déjà très chargée (municipales en mars 2014, européennes en mai ou juin 2014, sénatoriales en septembre 2014) mais en 2015, année à l’origine sans élection. Cela signifie que les conseillers généraux élus en mars 2008 auront un mandat prolongé à sept ans (au lieu de six).
Même si la loi n°2010 du 16 février 2010 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux est purement et simplement abrogée, il y aura bien concomitance de ces renouvellements et la confirmation d’un renouvellement total des conseils départementaux (jusqu’en 2011, le renouvellement s’effectuait par moitié tous les trois ans).
Mars 2015 sera donc la dernière grande consultation électorale avant la fin du quinquennat. Les socialistes espèrent que d’ici là, la croissance aura repris de la vigueur et le chômage aura diminué.
2. Les départements
L’innovation majeure a été de créer un binôme homme/femme pour gérer les départements. Concrètement, cela supprime l’intérêt du canton puisqu’il va falloir (ce n’est pas encore fait) charcuter les quatre mille cantons pour n’en laisser plus que deux mille. Chaque grand-canton se verrait attribuer un couple d’élus, un homme et une femme, issu de la même liste. L’idée des socialistes est bien sûr d’augmenter le nombre de femmes dans les conseils départementaux, actuellement, le taux est affreusement bas, 13,8% !
Mais l’UMP et l’UDI se sont opposés très fermement à cette idée car elle remet en cause le principe d’élus de proximité sur leur territoire. Si les cantons ne signifient plus rien en zone urbaine, ils sont au contraire essentiels en zone rurale, comme maillon essentiel contre la désertification. Or, le mise en place de cantons deux fois plus grands rendra ce maillon bien plus lointain qu’auparavant. Les élections sénatoriales de septembre 2014 donneront d’ailleurs une occasion, aux élus locaux, d’exprimer leur réticence vis-à-vis de ce projet. On voit aussi l’urgence pour le gouvernement socialiste de légiférer rapidement sur ce sujet.
De plus, comme l’a souligné l’ancien ministre centriste François Sauvadet, le redécoupage des cantons (dont les limites avaient été très peu modifiées depuis 1801) sera « le plus grand tripatouillage électoral de la Ve République ».
Le Front de gauche (dont le PCF) s’est lui aussi dressé contre ce principe du binôme car il renforcera la logique du scrutin majoritaire (deux élus d’un coup au lieu d’un). Il a donc voté contre le texte pour promouvoir le scrutin proportionnel aux élections départementales.
Autre conséquence de ce binôme : les conseils départementaux seront toujours à effectif pair, ce qui pourrait poser quelques problèmes pour certaines délibérations (des majorités à une voix près avaient déjà eu lieu dans le passé).
Le plus laudateur a été le suppléant de Manuel Valls, à Évry, qui a parlé d’une « petite révolution » et de sa fierté de l’avoir votée.
Il est d’ailleurs assez cocasse de voir que les députés ont adopté ce principe du binôme homme/femme quelques minutes avant de reprendre la discussion en seconde lecture du mariage pour les couples de même sexe. Cette contradiction apparente n’a pas semblé les gêner.
3. Les communes
Parmi les changements avec une règle ancienne (la réforme appliquée pour les municipales de mars 1983), il y a la réduction du seuil de 3 500 à 1 000 habitants, de la population de la commune à partir duquel il est nécessaire de présenter des listes aux élections municipales.
Avant, pour les communes entre 1 000 et 3 500 habitants, chaque conseiller municipal était élu sur son seul nom (éventuellement associé à d’autres noms), un peu comme les délégués de classe, ce qui permettait de connaître la popularité réelle d’un candidat sur l’autre. Cette possibilité restera pour les communes de moins de 1 000 habitants.
Ce seuil de 1 000 habitants, qui était aussi dans le texte originel du gouvernement, est d’ailleurs l’apport du Sénat (le président PS de la commission des lois au Sénat, Jean-Pierre Sueur, s’en est réjoui), non pas que les sénateurs voulaient le descendre, mais parce qu’ils l’avaient remonté par rapport à ce que les députés avaient voté initialement. En effet, le texte voté par les députés a d’abord évoqué le seuil de 500 habitants.
4. Les intercommunalités
L’autre innovation "révolutionnaire" à côté du binôme, c’est l’élection directe des membres des intercommunalités. Jusqu’à maintenant, chaque commune déléguait un certain nombre de conseillers municipaux au sein de la structure intercommunale à fiscalité propre dont la commune fait partie le cas échéant, pour former le conseil qui la gère (communauté urbaine, communauté de communes, communauté d’agglomération, etc.).
Concrètement, cette disposition apparaît un peu comme une usine à gaz car il n’y aura qu’un seul bulletin pour élire les représentants du conseil municipal et ceux de la structure intercommunale, selon des règles relativement alambiquées dont je cite les plus importantes (et simples) :
A. « Les candidats aux sièges de conseiller communautaire figurent dans l’ordre de présentation dans lequel ils apparaissent sur la liste des candidats au conseil municipal. »
B. « Tous les candidats présentés dans le premier quart de la liste des candidats aux sièges de conseiller communautaire doivent figurer, de la même manière et dans le même ordre, en tête de la liste des candidats au conseil municipal. »
C. « Tous les candidats aux sièges de conseiller communautaire doivent figurer au sein des trois premiers cinquièmes de la liste des candidats au conseil municipal. »
Même si elle est un peu "guidée" (un électeur ne pourra pas choisir ses conseillers municipaux et ses conseillers communautaires sur des listes différentes), l’élection directe ne pourra que donner plus de légitimité démocratique à l’intercommunalité, et cela signifie aussi que le rôle de l’intercommunalité prendra, dans les faits, une rôle politique de plus en plus important.
Par ailleurs, le mandat de conseiller intercommunal sera un vrai mandat électif et devra être pris en compte dans les lois sur le cumul des mandats (ce qui n’était pas le cas avant, ce qui permettait à un ancien maire de présider l’intercommunalité de sa ville et de rester encore le maître des lieux).
C’est pourquoi beaucoup de sénateurs, attachés au lien de proximité existant entre la commune et les citoyens, ont refusé cette réforme qui, inévitablement, conduira à terme à la disparition des communes au profit des ensembles intercommunaux (ce qui, à mon sens, n’est pas sans intérêt, l’existence de plus de trente-six mille communes, soit 40% de l’ensemble de l’Union Européenne, ne paraissant pas la meilleure façon de gérer les deniers publics).
Cette mesure d’élire directement les délégués intercommunaux a, au contraire de ces nombreux sénateurs, été largement approuvée par les députés écologistes (Paul Molac y a vu une "avancée"), ce qui explique même leur abstention au lieu d’avoir voté contre le texte.
5. Cerise sur le gâteau : les indemnités des cumulards
Depuis une vingtaine d’années, le cumul des mandats ne faisait plus trop recette aux élus portés uniquement par la vénalité puisque la totalité des indemnités de leurs mandats étaient plafonnées à un seuil donné (dépendant de la grille des hauts fonctionnaires).
Si bien que le député-maire d’une grande ville, par exemple, n’avait pas le droit de recevoir la totalité de ses indemnités en tant que maire et en tant que député à la fois. Il avait alors le droit de choisir laquelle des collectivités publiques dans lesquelles il était élu pourrait en bénéficier (en général, la commune, ou le mandat le plus local) et il attribuait ainsi le "surplus" d’indemnité à ses adjoints ou autres élus selon son bon vouloir.
Le député socialiste René Dosière, célèbre pour ses rapports rigoureux sur le budget de l’Élysée, a introduit dans le texte la fin de ce genre de pratique qui ne faisait faire aucune économie aux collectivités.
Le texte supprime donc cette possibilité et impose le choix de la collectivité qui en deviendra bénéficiaire : « La part écrêtée est reversée au budget de la personne publique au sein de laquelle le conseiller municipal [ou départemental, ou régional, ou communautaire, selon les cas] exerce le plus récemment un mandat ou une fonction. ».
De plus, il y avait aussi des abus sur les incompatibilités de mandats, sachant qu’il y a toujours quelques mois de cumul avant le choix définitif du mandat auquel l’élu renoncerait, délais parfois prolongé en cas de contestation sur les résultats électoraux (dans ce cas, c’est la date du jugement définitif qui fait foi, pour ne pas porter préjudice à un élu qui se verrait invalidé).
Les nouvelles dispositions ne changent rien sur les délais de choix du mandat, mais empêchent le versement des indemnités des deux mandats incompatibles pendant la période transitoire : « Tant qu’il n’est pas mis fin (…) à l’incompatibilité mentionnée (…), l’élu concerné ne perçoit aucune indemnité attachée au dernier mandat acquis ou renouvelé. ».
Ces deux règles sur l’aspect rémunératoire du cumul des mandats paraissent saines et normales, et on se demande encore aujourd’hui pourquoi il a fallu attendre 2013 pour les inscrire dans la loi (j’ai ma petite idée !).
Préoccupations essentiellement politiciennes
C’est clair que le parti socialiste, qui détient la majorité des collectivités territoriales, a peur de les perdre aux prochains scrutins, en raison de ses carences sur la politique nationale. Même le report d’une année des élections laissent perplexe (pourquoi reporter les élections ? ne serait-il pas plus pertinent, au contraire, dans le cadre d’une interdiction de tout cumul des mandats, de mettre toutes les élections locales à la même date ?).
Si le texte donne un signe encourageant vers la démocratisation des structures intercommunales (il y a vingt ans, on disait déjà que fusionner les communes serait plus compliqué que fusionner les États européens), il aboutit à une sorte de "verrue électorale" sans réalité du terrain avec cet étrange couple d’élus, homme et femme, qui laisse croire que le sexe est un élément majeur de différenciation politique. Il faudra espérer que ces femmes (puisqu’il s’agit d’elles, les hommes étant bien trop nombreux dans les instances départementales) seront élues sur leurs compétences et leur capacité à écouter la population que sur leur seul sexe…
En revanche, pour les tentatives de fusion de collectivités territoriales, il faudra repasser. L’échec du référendum du 7 avril 2013 en Alsace laisse un goût amer à tous les partisans d’une rationalisation des moyens de gestion des territoires. La réforme des collectivités territoriales reste donc à faire.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 avril 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Historique de cette réforme des scrutins locaux.
Texte intégral de la loi votée définitivement le 17 avril 2013.
Analyse du scrutin du 17 avril 2013 : qui a voté quoi ?
Les dernières régionales (2010).
L’occasion perdue des Alsaciens.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/scrutins-locaux-ce-qui-va-changer-134559